Prison express pour Jean-Marc Rouillan

Prison express pour Jean-Marc Rouillan

Jean-Marc Rouillan ne passait plus que ses nuits et ses week-ends en prison depuis décembre 2007. Son régime de semi-liberté a été suspendu le 2 octobre pour « trouble à l’ordre public », suite à une interview accordée au magazine L’Express.

Plusieurs mois avant le « scoop » de L’Express, Jann-Marc Rouillan, double écrivain de Jean-Marc Rouillan, avait accordé une longue interview au Mague. L’entretien mis en ligne le 2 février 2008 revenait sur les années d’enfermement, sur les premiers contacts avec le monde « libre », sur sa vie littéraire.

Tout en assumant son passé, Rouillan a tiré les leçons de l’histoire. Il a tourné la page Action directe avec lucidité pour continuer sur d’autres chemins. « J’ai la ferme intention de continuer à rêver… et donc à lutter », nous déclarait-il. On peut douter que le futur Nouveau parti anticapitaliste (NPA) imaginé par la LCR soit la meilleure des chambres à rêves, mais Rouillan est libre de militer là où il veut après avoir payé pour ses actions passées. Plus de vingt ans de prison, dont un paquet d’années en isolement total, c’est une belle facture.

Depuis décembre 2007, Rouillant coulait des jours presque paisibles à Marseille entre les Baumettes et la maison d’édition Agone où il préparait notamment la suite de ses mémoires. La publication d’une interview dans L’Express et le tonnerre médiatique qui a suivi (au secours Rouillan « ne regrette rien » !) a mis des pelles de sable dans les rouages d’une réinsertion déjà difficile. Tout le monde y va de son couplet : « Rouillan rêve du grand Soir », « L’assassin indécent »... Les formules fusent et l’on se demande ce que les journalistes ont bien pu découvrir de neuf entre les lignes de cette interview assez banale. Les « révélations » de Rouillan ne sont pas un scoop pour qui suit un minimum ce dossier ou qui prend la peine de lire les livres du taulard écrivain.

L’une des raisons qui fait que le Parquet de Paris a finalement suspendu, le 2 octobre, la semi-liberté de l’ex-militant d’Action directe tient sans doute dans le titre d’un éditorial du journal La Croix : « Rouillan, terroriste non repenti ». Voilà toute l’affaire. Englués dans le catholicisme le plus étriqué, la justice, la classe politique et les médias ne laisseront jamais en paix ces militant-e-s qui refusent d’avancer à genoux, tête baissée, pour demander pardon. Rouillan devrait s’incliner plus bas que terre, se flageller et brûler des cierges pour qu’on le laisse tranquille. Quel article du code pénal prévoit qu’une personne qui a purgé sa peine (et même un peu plus…) doit, en prime, faire pénitence et se retirer dans un monastère ? Rouillan a payé sa dette. Basta !

Il faut de bonnes pinces à linge sur le nez pour surfer sur le net en ce moment. Il y a des commentaires particulièrement savoureux. Ils sont beaux tous ces bourreaux de salon qui aimeraient, plus ou moins secrètement, que l’on raccourcisse Rouillan. Pas de bol pour eux, la « veuve » est à la retraite. Grandes âmes, ces ardents défenseurs de la vie restent muets quand il s’agit de dénoncer les assassins à plein temps, fauteurs de guerres, marchands de canons, affameurs et autres escrocs financiers qui vampirisent le monde. Soyons certains que celles et ceux qui s’en prennent à Rouillan aujourd’hui sont en partie les mêmes que celles et ceux qui saluaient la libération « pour raisons humanitaires » de Maurice Papon.

« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir... », disait La Fontaine dans sa fable Les Animaux malades de la peste. C’est exactement ce que note en substance Jann-Marc Rouillan dans ses Chroniques carcérales. « Imaginez-vous Mitterrand exiger des regrets des généraux putschistes algérois avant de les amnistier ? Avez-vous entendu parler d’un juge ou d’un journaliste ayant osé poser la question à Papon ? à Aussaresses ? aux tueurs de l’OAS ? Sinon aux cadres de Luchaire et de Giat qui ont approvisionné en matériels de guerre les massacres de la guerre Iran-Irak ? Jamais ! Si vous avez massacré des milliers de personnes, vous recevrez tous les honneurs. Si vous n’êtes accusé que d’un ou deux assassinats, vous serez traité en criminel », ironisait l’ancien militant d’AD. Gloire aux industriels du crime qui font des montagnes d’or sur des milliers de cadavres. Au trou les amateurs qui refusent de courber l’échine après quelques égarements certes dramatiques, mais néanmoins limités.

Seule note mesurée dans ce tintamarre, l’article publié par Libération le 2 octobre. Le journaliste Michel Henry a rencontré Rouillan après la sortie de L’Express et juste avant qu’il ne retourne en cellule. Il en ressort ce que tout le monde sait. Rouillan dit à Libé : « J’assume totalement mon passé, mais je n’incite pas à la violence » Tout serait dit en une ligne. Mais il faut mettre les points sur les i. « Je suis communiste insurrectionnel, même si ça me fait mal voir, dit Rouillan dans Libé. Je ne suis pas guévariste pour mettre le portrait du Che dans ma chambre. J’assume totalement mon passé. Mais je n’incite pas à la violence ! Je commettrais une erreur en lançant un appel à la lutte armée. Je sais qu’une lutte armée comme celle des années 70 ou 80 ne peut plus se faire sur les mêmes bases. Ces mouvements s’étaient développés dans une grande effervescence révolutionnaire qui n’existe plus. »

En fait, Rouillan n’aspire plus qu’à être un militant révolutionnaire de base dans la mouvance du NPA. Une démarche individuelle. « Je sais qu’ils sont contre ce que j’ai fait, tout mon parcours politique, explique-t-il encore à Libération. Et moi, je suis contre le leur. Mais je pense que le rapprochement peut produire quelque chose de différent. Ce qui m’intéresse, ce sont les contradictions. Plus il y en aura, plus le NPA va vivre politiquement. Il faut une saine pagaille. » La page AD tournée, Rouillan doit changer de grille de lecture pour s’acclimater dans un paysage politique nouveau. « Après 22 ans de cachot, j’ai besoin de parler, d’apprendre des gens qui ont lutté pendant ces années. Je voudrais qu’ils oublient qui je suis. » Une déclaration qui ne ressemble pas vraiment à celle d’un chef de guerre qui ferait l’apologie de la lutte armée.

Pour Jean-Louis Chalanset, avocat de Rouillan, la demande de révocation « n’est pas fondée sur le plan juridique. C’est un prétexte pour le faire taire. Le Parquet a toujours été contre sa semi-liberté, contre ses permissions. » Côté LCR, l’embarras de certains face à l’emballement médiatique est visible, alors on joue les pucelles effarouchées. Celles et ceux qui affichent le Che dans leur chambre sont un peu bousculé-e-s par l’arrivée de celui qui prit à la lettre le mot d’ordre guévariste « Créer deux, trois, plusieurs Vietnam ! » De là à penser, comme le dit François Hollande, premier secrétaire du PS, que « cet adhérent-là est vraiment encombrant »...

Ironiquement, ce pataquès a lieu en plein krach boursier. Au moment où les maîtres du monde montrent une nouvelle fois de quoi ils sont capables. Pire que pendant les années de plomb, les puissants de 2008 saignent les pauvres avec une arrogance et un mépris inqualifiables. Ça vous amuse les « parachutes dorés » ? Les populations et l’environnement sont sous le joug d’un capitalisme obscène et décomplexé. Le gouvernement aurait-il peur que Rouillan l’anticapitaliste viscéral mette le feu aux poudres ? Ce serait lui donner plus de pouvoir qu’il n’en a ! Un jour, la colère n’aura pas besoin des textes de feu-Action directe pour s’exprimer. Elle gronde ici et là. Des gens sans passé terroriste en appellent parfois « à l’insurrection » comme nous l’avons vu sur Le Mague avec la belle colère de l’écrivain-cinéaste Gérard Mordillat. Et cette insurrection hexagonale ne serait rien comparée aux émeutes qui peuvent surgir n’importe où, n’importe quand sur la planète en réaction contre les bandits capitalistes. Jusqu’à quand tiendront les exploités avant que n’éclate le commencement de la faim ?

Un juge d’application des peines révoquera ou non la semi-liberté de Jean-Marc Rouillan à l’issue de l’audience qui se tiendra le 16 octobre. Une date qui comptera dans la vie du détenu qui veut présenter une demande de libération conditionnelle en décembre... Sans avoir la moindre goutte de sang guévariste dans les veines, sans être communiste (du moins dans aucun des sens où l’entendent Rouillan, Besancenot ou Buffet), on peut estimer que la voix de Jean-Marc Rouillan mérite d’être écoutée. Aussi tortueuse et aventureuse qu’elle paraisse, cette trajectoire appartient à notre histoire commune. On peut admettre encore que nous sommes majeurs et vaccinés, donc en âge d’entendre certaines choses, d’en prendre et d’en laisser. Évoquer le « trouble à l’ordre public » pour faire taire une voix discordante dans le concert libéral très avancé, c’est prétendre qu’un chien a la rage pour pouvoir l’abattre en toute quiétude.

Le premier jeudi de chaque mois, le Collectif Ne laissons pas faire ! (Nlpf !) appelle à un rassemblement devant la Direction de l’Administration pénitentiaire (angle rue Beaubourg-rue de la Verrerie, Paris 4ème) pour exiger la libération de tous les anciens militants d’Action directe.

Plus d’infos sur le collectif Nlpf.

Photo : DR. Reproduction interdite