"Réserve naturelle" un court métrage qui en dit long !

"Réserve naturelle" un court métrage qui en dit long !

Depuis Le dernier combat de Luc Besson, nous n’avions plus jamais joui de si près dans la contemplation d’images piquées sur un support noir & blanc, striées verticalement par intermittence comme pour nous évoquer les vieux films d’antan, rayés de trop de visionnage, que l’on consommait sans modération dans les salles enfumées du milieu des années 1950 ...

Et voilà que l’iconoclaste Frédéric R. Vignale nous démontre qu’il a plus d’une corde à son arc : on le connaissait critique littéraire, puis directeur de journal (Le Mague), organisateur de festivals (Terranova), et fin interviewer (E-terviews, le livre), enfin trublion du Paf et du Net avec ses articles qui déchirent et qui grattent, disséminés un peu partout ... voilà donc que l’insolent se joue aussi d’une caméra. Ne manquait plus que cela ! Tant pis pour vous, tant pis pour nous, nous devrons boire le calice jusqu’à la lie, et c’est un régal de voir enfin du cinéma d’auteur qui pimente les yeux, qui glace le ventre et coule dans la bouche comme du miel. C’est tendre. C’est brutal. C’est violent. C’est vibrant. C’est envoûtant ...C’est magique, aussi, d’une certaine manière, car cela nous oblige à regarder autrement ; et c’est bien là l’utilité - si tant est que l’art soit utile - de ce film que de nous imposer une autre manière de ressentir, de penser, de respirer notre quotidien en prenant le temps d’une pause. Le temps. Ce qui nous manque cruellement par les temps qui courent ... Alors, oui, prenons tous le temps de voir ces seize minutes de rêverie maniérée pour permettre aux idéaux de survivre ...

Attablé, un homme mange une tartine de confiture sur du pain de mie, il est déjà contaminé par la culture jetable ; adieu donc la baguette croustillante de nos aïeux ; mais néanmoins l’espoir est présent, matérialisé par la marguerite qui trône dans son vase miteux, gardienne de la fenêtre ouverte, non pas sur les voisins, mais dans l’esprit d’Edouardo qui note son nom sur un Post-it pour ne pas l’oublier ; encore un produit marchand qui s’impose en lieu et place des anciennes enveloppes au dos desquelles on écrivait nos notes par le passé ... Edouardo qui erre de rue en rue, de place en place, portant sa carcasse comme la marionnette consumériste qu’il se refuse à être. Il prend le temps de mirer son reflet dans les vitrines, quand une attire son attention, cette "Réserve naturelle" qui affiche des prix ronds et un sautoir à 2.90 euros, on n’entre pas sans une arrière-pensée ... Lui, si, Candide au pays des vautours, il n’en a cure du Cac 40.

Les images nous abreuvent de clins d’œil, de beauté, de manifestations occultes qui dérangent notre œil en le forçant à regarder différemment, oui, cette différence qui dérange tant ces temps-ci, puisque si vous n’êtes pas blond aux yeux bleus et que vous n’aimez pas la France, va falloir dégager vite fait ... Cette différence qui doit nous nourrir et qui nous divise, nous les fils de la terre des Droits de l’Homme ... Alors Frédéric R. Vignale nous offre son manifeste pour le droit à être différent. Tout simplement en filmant d’une autre manière, dans un premier temps, puis en imposant un non héros comme le messager de son cri silencieux, ici simplement accompagné au piano ... Ici c’est le droit citoyen à ne pas travailler et à aller dans tous les sens. Servi par une mise en scène où pointe cette légèreté si familière à Kundera : les images sont des tableaux, tel ce patchwork du bas du blouson, vue de dos, dans le quart inférieur de l’image, en opposition au petit bateau qui suit les rides de l’eau dans le bassin du Luxembourg.

Puis Edouardo s’attarde au marché aux fleurs de l’île de la cité, désenchanté de voir ainsi la nature offerte en pots, domestiquée alors qu’elle n’a de sens que sauvage dans la brûlure de sa véracité ...

Aucun dialogue, car largement inutile dans cette mélodie en images servie par une musique allégorique au piano. Parfois accompagnée d’une cantatrice, l’ambiance musicale sert à merveille ce mariage des sens qui n’avait pas été montré au cinéma depuis bien longtemps ... Frédéric R. Vignale maîtrise parfaitement son sujet, maniant la caméra sur les traces de ses pairs, et ce n’est pas Luc Besson qui nous dira le contraire ... Plans larges, plans américains, travelling, fondus et inserts sont architecturés dans un camaïeu d’une rare poésie pour ponctuer un propos candide mais indispensable à nos humeurs. Cette balade dans Paris sur des airs de Prévert et de Cartier-Bresson nous rappelle aussi, comme par clin d’œil au Festival de Cannes qui a lieu en ce moment, qu’un certain Wong Kar-Wai nous avait littéralement sublimés avec son In the mood for love suivi d’un 2046 extraordinaire ...

A quand un long métrage monsieur Vignale ?

Avec l’envoi qui ponctue cette promenade désenchantée au Cinétière de Montmartre, Vignale nous rappelle que le plus bel endroit de Paris, clair obscur à la méditation et au repos de l’âme c’est bien ce cimetière baigné par la nature. Ici bien plus qu’ailleurs, c’est bien du corps broyé de la ville tentaculaire qu’il est question comme d’un reflet des hommes à jamais perdus. Au Père Lachaise on croise l’Histoire, on y suit Eduoardo, une rose à la main, qui affronte la laideur des graffitis en lui opposant la beauté absolue d’une fleur d’amour que l’on devine rouge carmin ...

"Réserve naturelle", Court-métrage de Frédéric R. Vignale

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Reprise d’un article publié préalablement sur Oulala.net

Reprise d’un article publié préalablement sur Oulala.net