Lila, Victor et Clint, des héros de BD pour les mômes d’aujourd’hui !

Lila, Victor et Clint, des héros de BD pour les mômes d'aujourd'hui !

Les écolier(e)s ont l’immense privilège d’avoir des auteur(e)s qui parlent d’eux à la première personne du singulier, féminin ou masculin. Lila mais aussi Victor et Clint en sont la parfaite illustration des BD de qualité dont les deux dessinatrices de talent seront invitées aux prochaines Estivales de la BD de Monta les 21 et 22 juillet 2019. Avant de les rencontrer pour les dédicaces plongez-vous dans le grand bain de plaisir au cœur de leur album respectif. Humour, imagination et bonne humeur garantis… La chance !

Je vais vous dire un secret qui doit rester entre nous. Sosso la sorcière qui partage la vedette sur le visuel et qui m’accompagnera lors des scénettes que nous présenterons avec le Bartos lors des Estivales concernant justement les BD que j’aurai chroniquées, ne peut pas blairer les mouflets. Elle veut toujours les transformer en crotte de nez mais heureusement a la mémoire qui flanche. Donc pas de panique !

La littérature jeunesse comprend au rayon des pépites : les BD. La chance qu’ont les ados jeunes lecteurs de se mettre sous les mirettes des textes en images de qualité du même topo souvent que leurs petites sœurs ou petits frères avec les albums en maternelle et élémentaire. Leurs darons et les générations qui les ont précédés n’ont pas eu cette aubaine. Pour eux, c’était restreint à la portion congrue.
Les Estivales de la BD de Monta se devaient d’accueillir le fleuron de ces artistes. J’ai choisi de vous présenter deux moutures illustrées par des femmes.

Le Lila (tome 3 « Oh purée le collège »), met en scène une gamine de 11 ans qui entre au second degré avec toutes ses craintes et ses appréhensions bien naturelles mais aussi ses joies et ses peines. Séverine de la Croix est au texte et Pauline Roland au dessin, qui sera présente aux Estivales.
Je les positionne en parallèle avec Marion Duclos qui elle crée en cavalière seule pour son « Victor et Clint » un seul et même garçon, qui se dédouble dans l’imaginaire inventif du far-West tout près de chez lui à la campagne. Lui est encore élève à l’école élémentaire.
Une constance dans ces deux ouvrages, les mômes ont leurs parents séparés.

Lila la rousse ressemble par son pelage au cuir chevelu à ma cousine Tara orang-outang de Bornéo. Elle vit moitié chez sa mère et ses deux père. Tous deux ont retrouvé chaussure à leur pied pour partager leur vie. Elle a un frère qu’elle déteste et surnomme « Drisse le nul » du style de Brice de Nice mais en plus frime et plus gros dragueur. On la suit au jour le jour dans son journal ses démêlées au collège et ses petits soucis poussés en épingle d’une gosse qui grandit plus vite que son ombre, avec son cœur qui bat pour un garçon. Elle évoque forcément sa tribu de copines avec lesquelles elle partage ses petits secrets. J’ai été bluffée par la mise en forme des premières et dernières pages de l’album. L’écriture manuscrite y est très présente comme si c’était Lila elle-même qui avait apposé sa griffe et ses réflexions très réalistes d’une gamine de son âge, avec quelques remarques de ses copines et aussi des dessins explicites où les petits cœurs en rose raniment sa flamme.
Sa principale angoisse consiste à se trouver parmi les petits 6 ème comparés aux 3 ème qu’elle considère comme des géants. Elle l’exprime forcément en confidence pour son journal. « Moi qui voulais tellement entrer chez les grands, c’est horrible parce que depuis depuis que j’ai vu les autres, je me sens toute petite. C’est même pire que ça : j’ai l’impression d’avoir rétréci !! ». (page 6)

Cet ouvrage très vivant cible un public bon lecteur qui peut tout à fait s’identifier à Lila, qu’il soit garçon ou fille, même si forcément les filles y retrouveront plus leurs billes dans les propos évoqués. Mais en même temps les garçons pourront aussi piger comment fonctionnent les filles, ce qui peut pas leur faire de mal à force de toujours vouloir pour la plupart se comporter en mâle et macho. Heureusement il y a des exceptions, comme l’amoureux de Lila très respectueux d’elle et son mode de fonctionnement. Ouf !
Autre point vraiment très bath, au fur et à mesure que Lila découvre les affres du collège sous la férule autoritaire de certains adultes. Des fiches permettent aux jeunes lectrices et lecteurs de décrypter le rôle par exemple du CPE, des pions au collège.
Avec ses copines durant un certain lapse de temps à la cantine, elles se font chouraver en direct leurs desserts par des grands de troisième. Une page est consacrée au harcèlement.
Autre point important à souligner et qui forcément me plait beaucoup, l’humour et la dérision sont très présents entre les pages de cette BD. A la fin on a même droit à la bouille des autrices à l’âge de Lila, avec l’une qui se trouvait minuscule et l’autre qui ne pouvait pas piffer ses grands pieds.
Séverine de la Croix au texte bien inspiré et qui touche au réel a un sacré bagage derrière elle et un avenir tout tracé. Tour à tour en poche une licence d’histoire, psychologie et management et nouvelles technologies. Elle a également suivi une formation en sexologie et théâtrale, elle est aussi l’auteure de thrilleurs. Rien que ça youp la boum !
Pauline Roland est tout aussi bien outillée question talent de dessinatrice. Tour à tour pour des court-métrages animés où elle remporte des prix, mais aussi en tant qu’illustratrice.
Lila qui se projette cosmonaute dans un avenir proche, se prend aussi pour une super héroïne aux pouvoirs surnaturels pour déjouer les méchants qui accaparent son réel comme les braqueurs de désert
En cela elle rejoint Victor alias Clint qui lui se rêve en cow-boy héros volontaire.

Lila, tome 3, Oh purée le collège de Séverine de La croix et Pauline Roland, 72 pages, ed Delcourt, 14,95 euros

Visuels : Copyright Lila : © Éditions Delcourt, 2018 – de la Croix, Roland

Il suffit à notre héros de se couvrir le chef d’un Stetson pour travailler du chapeau. Ce Victor devient alors Clint, sans doute en hommage à Eastwood convoqué en hâte dans un film du grand Sergio Leone tourné à Almeria en Andalousie.
Même si dans les dialogues elle fourrage sec, quand le héros se présente : « Je m’appelle pas le cowboy. Je m’appelle Clint ! Et rien à voir avec cette fillette d’Eastwood ! » (page 86)
Il faut vous dire que l’Espagne est chevillée au corps de Marion Duclos son auteure. Ce n’est pas un hasard vain, si bénéficiant d’une résidence pour artiste, non loin des fameux studios du génie du western spaghetti, son esprit fertile lui souffle le personnage de Victor et Clint.
Suite à des études scientifiques, elle s’inscrit à une école d’audiovisuel et de graphisme à Bordeaux et se forge les pinceaux.
Elle reçoit en 2016 à Angoulème un prix section jeunesse pour son premier album.


Quand Victor se fait braquer son vélo et sa boite de bombecs par les frères Ringo, célèbres brutes de l’école, tout de suite il embraye et se transforme en super héros, le Clint pour se tirer de cette galère.
Quand il se réfugie chez l’homme des bois revenu de la civilisation et du contact des hommes, il apprend à se confectionner un lance pierre beaucoup plus efficace dans sa vraie vie qu’un vulgaire pistolet de pacotille. Et quant à la place des pierres, il charge des prunes bien mures. Ca fait mouche à coup sûr.
Même qu’aussi chez lui en famille avec sa daronne et ses deux darons, la réception de ses frasques émotionnelles dans son imaginaire fécond n’est pas prise au même degré. A tel point qu’un de ses pères bien intentionné lui demande quand est-ce qu’il va commencer à grandir. A force on le taxe de « perturbé ». Mais infatigable il continue sur sa lancée même à l’école où il sème le vent de la discorde.

Les mines patibulaires, les gros plans des visages croqués par Marion ont tout du western et des premiers plans du « Il était une fois dans l’Ouest », quand les tueurs attendent leur victime et tuent le temps comme ils peuvent quitte à vouloir flinguer une mouche un peu trop entreprenante.
On lit la BD et on devient Victor et Clint. Dans la verve du père Twain et son Tom Sawyer et sa clique.
Très réussie et loufoque cette BD jeunesse ravira les petits et les grands qui sont restés petits. Histoire de vivre ou revivre des moments d’enfance enfouie.
Marion Duclos a le talent par le trait et les dialogues de nous replonger dans des rôles que l’on a aussi joués à un moment ou un autre, même si le Bartos déjà barré se prenait pour un Indien solitaire, le cave. Et vlan dans ses ratiches, c’est mérité.
Cette BD de 2015 n’a pas pris une ride.
Sur sa lancée et quelques années plus tard après un travail acharné, Marion Duclos nous est revenue en 2017 avec « Ernesto », album hommage à la communauté des réfugiés espagnole fuyant le franquisme. J’y reviendrai forcément.


Victor et Clint de Marion Duclos, 104 pages, 2015, ed la Boite à Bulles, 15 euros

Visuels : Copyright Victor et Clint : © Éditions la Boite à Bulles, 2015 – Marion Duclos