Interview de Michèle Sultana à propos de "L’Architecture d’une pécheresse" (Penta)

Interview de Michèle Sultana à propos de "L'Architecture d'une pécheresse" (Penta)

C’est une belle et grande voix de Femme de Lettres qui s’exprime dans un style ciselé, efficace, inventif, pluriel et inspiré. Une architecture de mots est ainsi fort bien maîtrisée du début à la fin du récit et on prend beaucoup de plaisir à balader son oeil et son coeur dans ce monde parallèle et historique. Michèle Sultana est une féministe dans le meilleur et le moins galvaudé sens du terme, dans le sens où elle fait honneur aux femmes en étant celle qui dit en lignes et en chapitres leurs sentiments secrets intimes, leurs rêves, leurs douleurs, leurs fantasmes et leurs combats. Une femme très femme qui aime passionnément les hommes, même si certains hommes sont des abuseurs, des monstres, et qui nous organise un merveilleux voyage dans le(s) Temps. "L’architecture d’une pécheresse" est un livre qui nous a tant plu que nous avons eu envie de converser librement autour de la spiritualité, de la philosophie, du Possible, du défaitisme, du Temps, et de mille choses enrichissantes et fortes avec son auteur.

1. Bonjour Michèle Sultana quel était le projet initial de ce livre sous titré « Récit » mais qui lorsqu’on le lit attentivement mélange subtilement le romanesque, une réflexion intellectuelle et des éléments personnels voire très intimes de la part de son auteur ?

L’occasion "explicite" est datable : la médiatisation de la question du Mariage en 2013. Avec un arrière fond : mon exaspération face aux dogmatismes haineux à l’égard des homosexuels ...et face à la méconnaissance ( de tous bords ) des souffrances amoureuses des couples non conformes aux idéaux des religions .

2. D’où vous vient cette fascination pour la cathédrale d’Amiens ?

La cathédrale d’Amiens est un élément réel de ma vie : sa splendeur était présence quotidienne. J’avais 9 ans lorsque je suis arrivée à Amiens : découverte et émerveillement....même si je m’ennuyais fortement à la messe (!) ...je ne pouvais pas ne pas admirer l’extraordinaire architecture au-dessus de ma tête. Et très tôt ( en classe de quatrième je crois )je me suis intéressée à l’architecture ( cela persiste !) et j’ ai appris à regarder les édifices en profitant des leçons des grands maîtres architectes.

3. Est-ce un plus d’être une philosophe lorsqu’on écrit un roman, une fiction ou une auto -fiction, plutôt qu’un « simple » écrivain ?

Etre un(e) philosophe... est position d’esprit dont il faut savoir user avec légèreté (!)... s’il y a danger c’est celui de la démonstration trop rhétorique...mais si je précise mon idée je peux répondre mieux : la philosophie est méditation et recueillement. Appropriation existentielle. Aussi Kierkegaard et Nietzsche m’accompagnent sans cesse .Tout autant que les grands poètes - ils sont AVEC EUX.

4. Il y a partout dans votre livre cet amour des pierres, de la grandeur, du beau, du baroque, du sublime et du coup une certaine spiritualité laïque.. non ?

Oui vous parlez très justement...et cette spiritualité est éminente, selon moi, chez Marcel Proust, notamment dans son écrit magnifique sur la Bible d’Amiens.Mais je me demande si cette spiritualité, ou, même , cette transcendance n’est pas liée foncièrement au mode de présence de l’oeuvre architecturale.

5. A ma lecture de votre ouvrage, j’ai eu le sentiment que vous pourriez écrire pour le théâtre car vous avez un grand sens de la mise en scène…

En effet..cela me tente...même si j’ai surtout écrit des poèmes et des récits. Je suis très passionnée par l’entrelacement des propos lors des rencontres entre les personnes. Ne pas oublier que Platon ( un de mes premiers maîtres ..) est un écrivain dramaturge... je crois à la puissance de la parole vive et le théâtre me semble école de la vie et non artifice littéraire !

6. Il y a ce sempiternel voyage entre le passé et le présent dans votre livre, comme un voyage permanent entre deux époques, quel est le sens de ce dialogue synchronique ou diachronique ?

Question centrale...je vous remercie de l’avoir posée ! c’est un aspect très important du récit...,je voulais absolument ( oui ...obstination et entêtement) manier le temps en divers sens tout en restant dans un registre réaliste... comme une exigence de vérité poétique par delà les dates historiques...C’est ce qui a demandé la plus de travail. Car le risque était la surcharge imaginaire. Il me fallait ne pas quitter le sol...( au sens du sol de la danseuse...!)

7. Il y a un auteur mais beaucoup de voix dans ce récit, des voix qui nous racontent de multiples histoires, c’est ainsi que c’est un livre dense qui touche de manière intense et profonde, était-ce un travail conscient dans l’écriture ?

J’ai voulu insérer l’intime dans la suite du récit...sans tomber dans le spectaculaire de la confidence (notamment pour la question des violences sexuelles infligées aux fillettes et aux femmes). Très difficile. Trouver les mots pour dire la violence subie lors de l’enfance est travail éprouvant...qu’un cheminement psychanalytique a dynamisé .

8. Si vous aviez un Empire qu’en feriez-vous ?

Empire ...n’est pas un de mes mots ...ou alors empire sur soi ! l’artiste a de l’empire sur lui-même ?? Je me méfie des positions de puissances gloutonnes(!). J’aimerais croire que "la beauté sauvera le monde"...la beauté au sens fort du terme ; révolutionnaire et militante .. avec prises de risque des paroles et des images. Il faut être plusieurs pour tenir tête au nihilisme : union des empires ( sur soi ) artistes et collusion des révoltes militantes . Union sacrée des images et des paroles ...dans un monde menacé par le mercantile spectaculaire. Vous êtes, vous même, en première ligne et en belle posture quant à cette lutte il me semble ..

9. De quoi parleront vos prochains ouvrages ?

Je crois bien que je parlerai toujours et encore d’architecture et de grands peintres et de grands artistes ! et toujours et encore du temps ! Du temps qui ne passe pas. Du temps créateur. Et de la mort qui persiste ...mais que l’amour ne cesse de transmuer. En somme je compte bien toujours et encore soutenir l’impossible. Et lutter contre toutes les formes de défaitismes.

10. Je vous laisse le mot de la fin, chère Michèle Sultana.

Le mot de la fin ...c’est l’importance de la danse ...que j ai pratiquée très tôt ( je l’ai découverte en même temps que la Cathédrale d’Amiens ) et dont les leçons d"existence ont été essentielles. Le corps est merveille à préserver. La danse est libre prière du corps, Mes paroles sont gestes de célébration d’une pensée dansante.

Michèle Sultana, professeure agrégée, enseigne la philosophie et la littérature. Elle a été lectrice chez Gallimard et publie ses poèmes dans la revue "Conférence". Elle travaille actuellement à l’écriture de deux romans.

Michèle Sultana, L’architecture d’une pécheresse, Récit, Penta. Postface de Tony Brachet.

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