Portrait de Nadine Monfils

Portrait de Nadine Monfils

Next (F9) vous propose des portraits de personnalités connues ou inconnues, des poètes ou des vendeurs de boutons, des gauchos ou des gauchers. L’important est de rêver. Chacune des personnalités est contactée personnellement, décide de sa photo à publier et raconte à Patrick Lowie un rêve marquant. Précision d’usage : ce portrait est un portrait onirique, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie.

Il pleut des cordes. Je ne sais pas si c’est fiable : il paraît qu’en anglais on dit qu’il pleut des chiens et des chats. La porte est entrouverte, je n’ai rien forcé. Une belle femme, en chemise de nuit rouge, étonnée de me voir, de me voir là, je suis planté comme une asperge dans un champ de coquelicots à perte de vue. Trempé jusqu’aux os. J’inonde le carrelage de la pluie qui ruisselle de partout. Je dis : bonjour, je viens visiter la maison mise en vente. Nadine Monfils semble à peine troublée, elle me regarde : déjà ? Je ne l’’ai encore annoncé à personne. Elle jette un œil par la fenêtre : mais, quels stoemenboeren [1] ces nains de jardins, ils se sont barrés en moto, bourrés sans doute. En effet, on pouvait voir des nains de jardins humides jusqu’aux genoux s’enfuir en moto miniature, comme des voleurs.

Elle respire profondément, soupire même, fait semblant de prendre une posture zen devant une assiette de frites sauce andalouse et s’assied en me proposant d’en faire autant. Vous êtes inquiétant : je viens de rêver que j’allais vendre cette maison, je me réveille et vous êtes déjà là pour la visiter, pour l’acheter. Je n’y comprends rien. J’ai un insecte bleu saphir sur l’épaule. Je lance, d’un air stoïque, une citation de David Lynch : on n’est pas obligé de comprendre pour aimer. Ce qu’il faut c’est rêver. Sur l’appui de fenêtre, de petits pots d’arbres à oreilles. Sommes-nous sur écoute ? Chère Nadine Monfils, je rêvais d’une maison face à l’océan, mais j’avais l’air con, je préfère avoir un neurone qui scintille devant cette bassine [2] en zinc, je sais je sais,… ne dites rien, je fais référence à votre littérature, s’inspirer ne veut pas dire copier, bref, la visite de la maison n’était qu’un prétexte pour vous rencontrer. Je me présente, Patrick Lowie, motivateur de rêves. Je sors mon microscope, j’observe le couvain de fourmis jaunes, individus non matures d’une colonie en friche. Elles vont se tuer. La journée fut courte, moins d’une heure de lumière. Le crépuscule perpétuel nous enferme comme dans une galerie d’art, les portes claquent. Nous étions d’un coup vêtus de noir. On mange des frites encore. Elle ne dit rien. Je lui demande si elle se souvient de tous ses rêves, elle m’en raconte un mais elle n’est pas sûre que c’était en dormant. Dans un rêve, elle a entendu une voix lui répéter trois fois de suite : les arbres ne sont pas faits pour souligner les étoiles…La nuit glacée s’installe pour toujours, les bestioles se crispent avant de tenter un élan loin. Comme plongés dans un océan, le plancton brille pour éclairer ce que nous ne voyons plus. Vous savez, me dit-elle, c’est un arbre coupé qui a déclenché mon envie d’écrire quand j’avais huit ans et cette phrase, cette phrase « les arbres ne sont pas faits pour souligner les étoiles », comme une phrase à l’envers, m’intrigue et me hante depuis toujours. Et j’ai senti un souffle glacé près de moi. Je voyais la lumière dans ma chambre. J’ai vraiment senti la présence d’un fantôme bienveillant, mais ça m’a quand même flanqué les jetons. 

Un œil dans l’oculaire du microscope, observant la colonie. Champs de bataille. L’autre colle à la paupière inférieure, en essayant de l’ouvrir, je l’entends craquer, un son bizarre sort de mon œil, comme un couinement. Je saute pieds joints dans la bassine au liquide saumâtre.

Photo : Mélania Avanzato

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