Arthur Penn, le révisionniste du western avec Little Big Man !

Arthur Penn, le révisionniste du western avec Little Big Man !

Dustin Hoffmann interpréte un antihéros blanc devenu moitié indien, au contact des Cheyennes dans une tranche de vie picaresque porté à l’écran par Arthur Penn en 1970. De la comédie au drame lyrique, la Conquête de l’ouest est revue et corrigée sur un retour de vérités dérangeantes concernant le massacre volontaire des Indiens par les Blancs. Un film emblématique de l’époque des luttes contre la guerre du Vietnam ! Chez vous dès le 19 octobre !

Feignasse, je me soigne et j’en suis très jouasse. J’aurai pu reprendre mon précédent article concernant Little Big Man dans la rubrique cinéma et vous le recracher tout de go : http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article9191

Nada, la sortie DVD de ce film que j’adore chez Carlotta Films est agrémentée d’un livre très riche en textes et images de 157 pages avec en sus, comme à son habitude chez Carlotta Films, un second DVD en complément. J’ai puisé dedans une source d’inspirations nouvelles pour écrire mon présent article, histoire de partager avec vous moult informations passionnantes à propos de ce film, à partir de documents de l’époque : interview d’Arthur Penn durant le tournage au Canada et autres analyses…

Je sais pertinemment que sitôt le mot révisionniste apparait, il crée forcément un malaise. Car trop souvent accolé aux idées nauséabondes de la peste brune en action. Je pense aux négationnistes de la shoah et son cortège de Faurisson ou autres membres de la famille le Pen, du style : « Monsieur Durafour-crématoire, merci de cet aveu ». Mais aussi aux soutiens du parti de la haine à Poutine et autre Orban… qui veulent rallumer les fours pour les réfugiés et rétablir le pas de l’oie.
D’où vous l’aurez compris, ma stupéfaction à la lecture de l’article « La représentation des Amérindiens dans un western révisionniste » par Margo Kasdan et Susan Tavernetti proposé par Carlotta Films.
J’ai puisé dans mon gros Julie Larousse et ses dérivés cette définition : « Pour les historiens, le révisionnisme est un terme sans connotation particulière qui désigne une démarche critique consistant à réviser de manière rationnelle certaines opinions couramment admises en histoire, que ce soit par le grand public (le plus souvent), ou même par des historiens de profession non spécialistes de la période ou du domaine d’études considéré ».
Le domaine incriminé qui nous intéresse concerne la conquête de l’Ouest dans les Grandes Plaines entre 1865 et 1890, qui eut lieu juste après la guerre de Sécession. Dans l’histoire officielle, elle est représentée comme une période héroïque et faste qui a bâti le mythe américain. Les Indiens, premiers habitants, étaient considérés comme des sauvages à éliminer, exterminer pour s’approprier par tous les moyens leurs terres, au nom de l’essor de la civilisation blanche. Avec tous ses ressorts économiques, qui forgeront l’économie capitaliste, que l’on sait et toutes les misères qu’elle engendra pour les populations sur fond de racisme bien ancré.

Noam Chomsky, le linguiste anarchiste américain ne s’y est pas trompé. Dans son ouvrage « L’an 501 La conquête continue » réédité actuellement, il décrit justement l’infatigable élan d’hégémonie des Etats-Unis pour imposer à toute la planète son influence coloniale, jusqu’à créer dans ses propres états un nouveau tiers-monde.

Little Big Man, sous la conduite d’Arthur Penn, déjà à son époque remettait en question le mythe des Etats libres d’Amérique, en ce sens il revisitait l’histoire de la Conquête de l’Ouest. Il offre un autre regard sur les Indiens et les intentions des Blancs. C’est au nom de la civilisation blanche, au nom de la domestication du pays, des premiers habitants et de leurs terre, du soit disant progrès, de la Conquête de l’Ouest, tous ces facteurs conjugués ont engendré un vaste charnier et un véritable génocide à l’égard de la civilisation amérindienne. C’est au nom du profit et du pouvoir que se sont perpétrés des massacres et ceux qui suivront contre les nouveaux étrangers de tous feux et ceux qui le sont devenus contre leur gré.

Arthur Penn souhaitait juste remettre les pendules à l’heure, parler de la réalité du génocide indien et donner sa propre vision de la réalité qui s’est tramée.

L’histoire et le récit initiatique : Jack Crabb 121 ans se proclame le seul survivant de la bataille de Little Bighorn (25 juin 1876). Il raconte sa riche existence entre la culture cheyenne et blanche à un journaliste venu interroger dans un asile de vieillards. Agé de 10 ans, suite au massacre de la caravane de ses parents par des Pawnees, il est enlevé et élevé par des Cheyennes. Il vit avec eux jusqu’au début de son adolescence. Il apprend leurs coutumes tribales, leur langue, leur philosophie et leur morale. On lui donne le nom de Grand Petit Homme. Il est récupéré ensuite par l’armée américaine suite à une rixe avec sa tribu cheyenne et confié à un pasteur baptiste et sa jolie femme (Faye Dunaway. Il ressent pour elle ses premiers émois sensuels. Il reçoit une éducation digne d’un jeune homme blanc civilisé et apprend les forfanteries chrétiennes. Il découvre l’hypocrisie du couple, qu’il quitte assez rapidement. Jack s’essaie à différents métiers. Il se découvre la capacité de changer d’identité et diverses compétences qui lui seront bien utiles. Il épouse Olga une suédoise. Elle est enlevée lors d’une attaque de diligence par des Indiens cheyennes de la tribu de Jack sans qu’il le sache. Il part à sa recherche, en vain. Ses anciens frères le capturent et le ramènent auprès de la tribu. Il quitte le village indien et s’engage dans le 7ème régiment de cavalerie de Custer. Après avoir assisté à un premier massacre d’un village indien, il quitte l’armée écœuré. Il retourne vers les siens pour épouser une indienne avec laquelle il a des enfants. Suite au massacre de sa femme et de la plupart des membres de la tribu, il décide de se venger de Custer.

Des personnages blancs hauts en couleur sont décrits avec humour et dérision à partir de leur caractère éphémère. L’intérêt du film relate l’éternel aller et retour à travers le regard affiné de Little Big Man, entre le monde indien et le monde blanc et inversement. Cette innovation narrative dans le cinéma, on la retrouvera également dans les années 90 lors de l’épopée des nouveaux westerns.
Dans une scène Mme Pendrake (Fay Dunaway), la splendide épouse forcément frustrée d’un pasteur, dans sa seconde vie devient une prostituée. Wild Bill Hickok essaie de maintenir sa réputation précaire de tireur d’élite, dans une autre scène il est abattu par un blanc bec. L’escroc Meriweather paye de sa personne ses arnaques. Il apparait pour la première fois à l’écran avec une oreille et un bras en moins. Il repassera par là, avec cette fois allégé d’un scalp et d’une jambe. L’épouse suédoise, éteinte avec Jack, se révèlera, dans le camp cheyenne en mégère qui prend plaisir à soumettre son nouveau mari. Custer, le pervers général criminel endurci auto-gratulé avance crescendo dans sa folie meurtrière jusqu’à totalement perdre la raison sur un champ de bataille, qui lui sera fatal. Caroline la sœur de Jack, quant à elle est explicite et bipolaire. Elle a un appétit sexuel très prononcé depuis son adolescence, au point de regretter que les Cheyennes ne la violent pas. Elle a la faculté de passer sans répit d’un rôle féminin à un rôle masculin par ses facultés à affronter la vie dans le Grand Ouest. Quand elle retrouve son frère Jack, elle le pousse à devenir un flingueur doué de la gâchette dans des scènes tordantes et décapantes, mais c’est l’échec.

Côté indien, Le Heemaneh cheyenne homosexuel, Petit Cheval efféminé est toléré par les autres indiens qui l’acceptent bien volontiers. Cependant, ne vous attendez pas à un récit véridique sur la vie des Indiens, même si les amérindiens dans le film sont joués par des natifs, contrairement à bien d’autres westerns antérieurs. Cependant, l’homosexuel tourné en dérision pour ses manières efféminées exagérées, en réalité avait la possibilité de se marier avec un autre homme et était d’autant plus respecté pour ses contributions intellectuelles et spirituelles apportées à la tribu.
Ours Cadet, un guerrier devient « un contraire ». Il est dépeint comme un fou furieux qui procède dans ses comportements par tour faire à l’envers (marcher, monter un cheval…). Alors qu’en réalité, ces dignes personnes étaient appelées à jouer ce rôle sans le choisir de façon consciente suite à de lourdes épreuves endurées. Ils étaient considérés comme purs, du fait de leur contact privilégié avec les esprits sacrés.
De même que les femmes qui sont cantonnées au rôle stéréotypé de bobonnes indiennes à la popote, moquées en image et vivant une certaine liberté sexuelle. Rayon de Soleil, femme de Jack, parait forte pour donner seule naissance à ses bébés. Alors qu’en réalité, les Cheyennes étaient toujours accompagnées et assistées par leur maman ou une amie lors de l’accouchement. Ensuite, en signe de solidarité avec ses trois sœurs qui ont perdu leur mari guerrier et qui n’ont pas d’enfants, elle pousse Jack à aller les rejoindre pour le plaisir partagé rendant l’utile et l’agréable et la survie de la tribu, dans le pur style de l’amour libre des années 1960. Alors qu’en réalité elles étaient soumises à des règles de chasteté très strictes. La séduction pouvait durer plusieurs années, selon des directives très rigoureuses.
A part ces encoches à la réalité de la vie des cheyennes, le film est très intéressant et vivant.

D’autant plus, que Les Blancs sont toujours avides et hypocrites. Tous leurs actes s’articulent autour d’une philosophie morbide. Alors que les Indiens perçoivent sur terre le souffle et la source de vie. On reconnait l’axe d’un discours humaniste dans la verve des écologistes et hippies de l’époque. Toute cette contre-culture dont la grosse machinerie hollywoodienne avait pris soin d’occulter. Old Lodge Skins, le chef cheyenne, grand-père adoptif de Jack demeure très conscient de la situation historique : « Tout est vivant, mais les Blancs croient que tout est mort… Ce qui essaie de vivre, le Blanc l’anéantit ». Les Indiens croient en un centre de la vie, d’essence spirituelle autour duquel chaque élément naturel tourne, ce qui leur donne un équilibre à l’existence. La cible du temps, des saisons et des journées faisant partie du grand cycle de la vie. L’aspect du cercle est un primordial dans leur culture. De la disposition du camp, à la forme et la construction des tipis, tout est circulaire. La nature harmonieuse représente le motif du cercle et se démarque immanquablement des Bancs au funeste destin morbide.

Le film est inspiré librement du roman de Thomas Berger (400 pages) publié en 1964. L’écriture du scénario et son adaptation à l’écran durera 6 ans, avant d’être tourné dans le Montana et au Canada.
Arthur Penn parle de sa collaboration avec son scénariste sur le mode de la complicité et le choix de ce roman à adapter.
« Nous avons eu un dialogue ouvert et très riche. Je crois très fécond, au cours de plusieurs années de ce travail. Mais ce n’est en aucune façon un film d’auteur. Ce n’est pas du tout cela. C’est un film qui fait partie d’une œuvre littéraire par un très bon écrivain et, en ce sens, je n’y mets pas de signification péjorative, c’est plutôt un film hollywoodien classique ».
Calder Willingham scénariste transforme le Jack Crabb du roman, personnage ambigu et pas vraiment sympathique, en héros volubile et très vivant qui offre au regard, un point de vue auquel le spectateur peut facilement s’identifier. Le scénariste attribue plus de personnalité aux Indiens qui avaient un caractère pour le moins ternes, entre les pages. Il les transforme en personnages fraternels, mais aussi en victimes pour lesquels le public de l’époque se retrouvait en empathie et solidarité contre l’armée américaine et ses massacres perpétrés au Vietnam. Les spectatrices et spectateurs de l’époque ne sont pas dupes avec les ressemblances troublantes entre My Lai en 1968 au Vietnam et le massacre de Wahita un siècle auparavant.

Arthur Penn a réalisé trois westerns : Le gaucher en 1957 / Little Big Man en 1970 et the Missouri Break 1976. Avec le gaucher il s’attaqua déjà à une légende de la frontière pour tourner en dérision le personnage de Billy the Kid. 13 ans plus tard, il remit le couvert en faisant subir le même sort au général Custer avec Little Big Man. C’est avec Missouri Break qu’il mit le feu aux poudres, à l’heure de la conquête de l’Ouest, comme Hollywood avait trop tendance à en donner un portrait tissé de mensonges et d’inepties à la gloire de la civilisation blanche.

Ne l’oublions pas et c’est très important, les Cheyennes se surnommaient : « Les Etres Humains » ! Ce qui prend tout son sens, dans leur philosophie de l’existence et le rapport à autrui et à l’univers naturel qui les entouraient, sous un regard bienveillant et respectueux.
Enfin, et pour finir, un HOURRA à Dustin Hoffman, grand acteur qui crève l’écran durant les plus de deux heures et nous offre à travers les multiples facettes, le métissage de son personnage adepte de la double culture indienne et blanche, capable d’interpréter un héros de 17 à 121 ans.

Little Big Man d’Arthur Penn, collection coffret ultra collector numéro 4, nouvelle restauration HD, disponible BLU Ray + double DVD + livre 160 pages, version originale sous-titres français, Couleurs, 140 minutes, 1970, distribué par Carlotta Films, + nombreux suppléments… sortie le 19 octobre 2016