Michel Desjoyaux s’embarque sur Le Mague !!

 Michel Desjoyaux s'embarque sur Le Mague !!

Le 7 novembre prochain, quatorze skippers s’élanceront dans la course la plus tarée de la navigation : le Vendée Globe. Dans une compétition où seul les meilleurs sont sur la ligne de départ, le défi est de taille. Pour sa sixième édition, ces forçats de la mer devront boucler un tour du monde en moins de trois mois dans les conditions les plus extrêmes. Aucune aide ni escale ne sont admises dans cette course en solitaire. Mais pour cette année, le Challenge est double : tout en affrontant les terribles ires de Poseidon, les marins devront également tenter de battre le record historique de Michel Desjoyaux, vainqueur de la précédente édition avec douze jours d’avance. Et rien pour vous, nous l’avons rencontré.

93 jours, 03 heures et 57 mn. Voilà le temps qu’il fallu à Michel Desjoyaux pour rentrer dans la légende. En gagnant le Vendée Globe en 2001, il pulvérise alors le record établi par Christophe Augin en 1997. Et non content de cette incroyable victoire, Michel Desjoyaux remporte également la Route du Rhum en 2002, et continue à voguer où bon lui semble. La quarantaine rayonnante, un reportage lui était consacré sur France 3 le 25 octobre dernier dans l’émission Thalassa.
A quelques jours du départ, le privilège me fut accorder de rencontrer la légende afin de recueillir ces impressions sur cette course...hors du commun.
Interview d’un marin au cœur rugissant.

1. Qui es-tu Michel ?

39 ans, pas marié mais c’est comme si, 3 enfants, navigateur, passionné de technologie, né au milieu des bateaux, tombé dedans avant d’être petit (excuse-moi Obélix, t’es battu)

2. De quand date ta première sortie en mer ?

Je suis né les pieds dans l’eau, puisque mes parents avaient un chantier d’hivernage et d’entretien de bateaux de plaisance, donc au bord de la mer (à La Foret Fouesnant), chantier dans lequel j’ai grandi. J’ai donc du aller sur l’eau très jeune, ma mémoire n’a pas gardé ce premier pas, snif.

3. Qu’est-ce qu’on peut attendre de mieux lorsque l’on fait son premier tour
monde à 18 ans sur le bateau d’Eric Tabarly ?

La vie est faite d’opportunités, à nous de les saisir. Vivre de sa passion est une chance
inouïe, raison de plus pour y aller à fond !

4. Quelle est la différence entre voyager sur un monocoque et un multicoque ?

Un multicoque est plus rapide, plus vivant, qu’un monocoque mais aussi
beaucoup plus stressant. On ne peut pas naviguer aussi pied au plancher en
multi qu’en mono, quand on est en solitaire, le risque de chavirage serait
trop important.

5. Comment se prépare-t-on psychologiquement avant une compétition ?

La voile est un sport mécanique et un sport où l’expérience est très utile. La
préparation technique est donc prépondérante. Si cette partie technique est
bien réalisée, l’aspect psychologique est simplifié ! Je n’ai pas de préparation psy spécifique (psychologue, sophrologue, préparateur mental,.).Par contre j’attache beaucoup d’importance à l’environnement familial et « socioprofessionnel », pour partir détendu, donc efficace !

6. Un marin suit-il un entraînement physique particulier, pour survivre par
exemple à une chute en eaux glacées ? J’ai entendu parler de douches froides
tous les matins. ?

Chacun fait comme il veut, mais cette pratique s’apparente pour moi à du masochisme. Les performances physiques du navigateur sont, certes, un des facteurs de la performance globale du couple homme-machine, mais certainement pas le facteur au dessus de la pile des
priorités. Je privilégie une « hygiène de vie » à « un corps d’athlète » !

7. Quelles courses ont le plus compté pour toi ?

Par facilité, je pourrais parler du Vendée Globe, mais j’avoue que j’ai un
faible pour la Transat 6.50 que j’ai fait en 91, sur un bateau que j’avais
racheté et qu’on a, avec une bande de copains - bien aidé par mes frères -
complètement reconditionné, dans un temps record. Une vraie aventure, avec,
au bout, une victoire dans la deuxième étape, la traversée de l’Atlantique.
C’était ma première transat en solo, et ce bateau a laissé des traces dans
cette classe de prototypes, mais aussi chez les 60pieds qui font le Vendée
aujourd’hui !

8. Tu as remporté le Vendée Globe en 2001 qui est la course la plus
incroyable en matière de navigation. Seulement une vingtaine de marins
participent à ce tour du monde tous les quatre ans. Qu’est ce qui motive un
départ seul en mer et sans aucune assistance pendant trois mois sur un
monocoque ?

Il ne faut pas oublier que personne ne nous oblige à participer, c’est une démarche volontaire, c’est ma passion, c’est devenu mon métier. Je ne suis pas parti faire un voyage intérieur, une quelconque quête du Graal, je suis parti faire une course, avec des règles, une ligne de départ, un parcours, une ligne d’arrivée, des concurrents, avec un bateau qu’on a conçu, construit, et mis au point pour cette course. Je suis un compétiteur, pas un aventurier, j’ai été bien servi !

9. Revient-on différent après un tel défi ?

Cette course est un condensé devie, humaine, maritime et sportive, et quand on en revient, on n’est bien sur plus le même, on a grandi, on est plus dur au mal, on est « blindé », ce
qui ne nous empêche pas de savourer de grands moments (comme l’arrivée aux
Sables), à leur juste valeur !

10. Pense-t-on à ses concurrents lorsque l’on passe des caps difficiles ?

Le rapport aux concurrents est quotidien et omniprésent. Chaque décision est
pris « par rapport » aux concurrents, c’est la tactique, c’est la base mais
aussi la finalité de la compétition. Je ne crois pas que les moments
difficiles soient des moments à part dans le déroulement de la course.

11. Quels obstacles as-tu défié en mer pour pulvériser le précédent record
de 12 jours ?

Tous les jours, on a des obstacles à franchir, des petits, des
moyens, des gros. La seule chose qui nous intéresse, c’est de les franchir
« le moins mal possible » . Prendre les bonnes options météo, réussir à
démarrer son moteur en se servant de la grand voile (le moteur diesel du
bord sert, en course, de groupe électrogène pour la principale source d’
électricité, indispensable pour le pilote automatique, le « troisième bras
du solitaire », je suis tombé en panne de démarreur à mi course, après 1mois
et demi de mer), réparer son rail de mât, ça devient presque un lieu commun.
Ceci dit, le record n’est qu’une cerise sur le gâteau, et, conditionné par
tellement de paramètres que je n’y attache pas vraiment d’importance. Je
préfère avoir gagné sans améliorer le temps que faire second en améliorant
le temps de course. Maintenant, j’ai fait les deux, tant mieux !

12. Le danger paraît-il plus important lorsqu’on est seul ? La plus grosse
peur : la casse ?

Le solitaire est un exercice passionnant, et parfois stressant mais, en tant que skipper, être responsable de son équipage est plus dur à (sup)porter. Quand on est seul, on est seul pour tout, pour les erreurs comme pour les jolis coups, à nous d’assumer les premiers pour
profiter des seconds, et je vous promets, ça vaut le coups ! Quand on vous parle de risque, c’est presque toujours vis à vis de la course ou de la préservation du bateau. Je n’ai pas le sentiment de prendre plus de risque en mer que sur les routes.

13. Comment fait-on pour éviter les icebergs en Antarctique alors que l’on s
’accorde un moment de sommeil et que l’on est seul sur son bateau ?

On a aujourd’hui des moyens simples d’éviter les zones d’iceberg : la température
de l’eau. On a donc le pouvoir d’éviter ces zones de glace. Maintenant, si
on transgresse, on joue à la roulette russe

14. Comment se passent les jours qui suivent ton retour sur la terre ferme ?

J’avoue que « ça fait du bien quand ça s’arrête » ! L’arrivée d’une course
est une sensation proche de celle qu’on a quand on rend sa copie, si ce n’
est qu’on connaît sa note quand on coupe la ligne d’arrivée.

15. Pourquoi avoir écrit « L’enfant de la vallée des fous » suite à cette course
(éd.Gallimard) ?

En fait, Eric Coquerel, mon attaché de presse, a compris après la course que beaucoup de moments-clé de ma course avaient leur fondement ou explication dans l’histoire, la mienne, celle de ma famille, de l’endroit où je vie, des gens qui y travaillent. Il a voulu raconté ça, et
Régine, avec qui je vis depuis mes débuts en voile, connaît bien cet environnement. Ce sont eux deux qui ont fait ce livre, et ça a été pour moi un jeu que de revenir sur ces souvenirs, même si c’est parfois difficile de parler de soit, pire, de l’écrire.

16. Qu’est-ce qui fait la force des marins français selon toi ?

La volonté, la culture du large et du solitaire, et peut-être aussi le plaisir de faire
rêver, de pouvoir partager par ce biais-là.

17. Je sais que tu as pratiqué toutes sortes de courses, en solitaire, en
double ou en équipage. Laquelle préfères- tu ?

J’aime bien tout sinon j’aurais changé de métier ! En solitaire on fait tout soit même, mais on n’
apprend pas vite et on fait tout moyennement ; en équipage les tâches sont
réparties, les responsabilités et les lauriers aussi.

18. Et quelle est la différence au niveau de la vie à bord ?

En solo, on n’a pas le regard de l’autre, on peut donc vivre, à son rythme, à sa guise, avec
ses humeurs, on passe par toutes les couleurs de l’arc en ciel. En équipage,on ne peut se permettre un tel comportement individualiste, sous peine de déstabiliser « l’efficace », ou même seulement « l’acceptable ».

19. Comment vous détendez-vous en mer ?

Je profite du spectacle, je lis, je filme, mais ces moments sont rares, 20 heures de films, 12 bouquins en 93 jours de course, c’est peu, mais on n’est pas là pour ça.

20. Que penses-tu de l’utilisation du GPS pour se repérer en mer ? Quelle
place lui accordes tu ? Utilises-tu encore des méthodes traditionnelles ?

Aujourd’hui, refuser le progrès, c’est comme ramer à l’envers. On peut faire
ce choix mais ça n’est pas cohérent avec la technologie mise en ouvre sur
nos bateaux. Il y a encore à peine 20 ans, le problème numéro un du
navigateur au large, c’était « Où suis-je ? » Avec l’arrivée du GPS, qui
nous positionne à 3mètres prêt toutes les secondes, tout autour du globe, ce
problème est résolu. On peut se préoccuper de choisir sa route, mais savoir
utiliser un sextant peut encore servir .Je crois que j’y arriverais encore.

21. La mort tragique d’Eric Tabarly a prouvé qu’une simple inattention
pouvait être fatale en mer. As-tu l’impression de pratiquer un sport extrême ?

Non, le pire qu’il puisse arriver quand on vit, c’est de mourir, et il n’y
a pas besoin d’aller sur la mer pour ça, alors autant en profiter (pas de
mourir bien sûr mais de vivre, et d’aller sur la mer si c’est ça qu’on aime).

22. Quelle a été ta pire rencontre en mer ? Des Pirates ??

Oh non alors, mais il paraît qu’on peut faire de mauvaises rencontres. C’est un peu comme les
icebergs, on sait à peu près où c’est, à nous de les éviter.

23. Le prochain départ du Vendée Globe est pour novembre 2004. On se revoit
là-bas pour souhaiter bonne chance à la nouvelle génération de skippers qui
s’y présente ?

Je ne suis pas du style nostalgique, mais revenir aux Sables d’Olonne 4 ans après, sans pression permet de profiter d’émotions à côté desquelles on était peut-être passé dans le feu de l’action. Bien-sur, le 7novembre, il y en a quelques-uns que j’irais saluer et encourager plus
particulièrement.

« L’enfant de la vallée des fous », Gallimard

« L’enfant de la vallée des fous », Gallimard