« Mad love in New York » ou « L’opéra de verre » d’un cinéma réaliste !

« Mad love in New York » ou « L'opéra de verre » d'un cinéma réaliste !

Carlotta Films, une nouvelle fois soutient le cinéma indépendant américain ! Les deux frères Safdie tournent la vie la dope de la jeune communauté SDF de New York à partir du récit de l’héroïne Harley. Elle incarne son propre premier rôle à l’écran, après avoir couché sur le papier, sans aucune fioriture, les turpitudes de sa vie mouvementée, qui prend sa source dans une forme de romantisme destructeur. Quand la réalité au ciné pique notre intérêt sans voyeurisme. A voir et encourager ce film ! A voir désormais en DVD.

Je n’étais pas vraiment préparée à voir ce film. Presque vierge dans mes sentiments, j’étais restée accro au cinoche des années 50 de Lionel Rogosin. Il avait la verve à coller le train des gens dans la mouise, qu’il aimait et ils lui rendaient bien. Je pense forcément à « On the Bowery » et les bas-fonds de New-York filmés en noir et blanc et avec respect : http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article7034
Quand la fiction dépasse le documentaire ! Comme ici, avec le film des frères Safdie qui repose sur le récit d’Arielle Holmes, actrice principale dans le rôle de Harley, mais aussi écrivaine du récit au quotidien de sa vie de junkie et SDF à New-York.

Coup de foudre cinématographique de Josh Safdie lors d’un repérage pour un autre film. Le déclic ou le récit de cette rencontre très forte.
« Un jour, alors que je me dirigeais vers le métro, j’ai vu cette belle jeune fille que j’ai prise pour une assistante d’origine russe. Je me suis approché d’elle pour voir si elle serait dans le film. J’ai commencé à lui parler et j’ai réalisé qu’elle n’était pas russe – elle avait un fort accent du New Jersey et s’appelait Arielle Homes – mais qu’elle travaillait bien dans le quartier. (…) On s’est revus une semaine plus tard ; elle était habillée complétement différemment, portant des vêtements en lambeaux et un gros sac sur le dos. J’ai rapidement découvert qu’elle était SDF. J’ai commencé à lui poser des questions sur sa vie et elle m’a raconté de nombreuses histoires bizarres et passionnantes, dont beaucoup tournaient autour de son mystérieux petit ami Ilya. (…) Quelques semaines plus tard, elle m’a dit qu’elle venait de sortir du Bellevue-Hospital – elle avait été hospitalisée pour une tentative de suicide. C’est à partir de ce moment-là que j’ai su qu’il fallait que je fasse un film sur sa vie ».
Après trois longs-métrages à leur actif dont deux seulement sortis en France, les deux frangins cinéastes appartiennent à la mouvance active « mumblecore » qui consiste à tourner et produire des films à très faible budget et dont les personnages sont tous des citadins entre vingt et trente ans et des acteurs non professionnels ou presque inconnus. La spontanéité transparait dans les dialogues presque toujours improvisés de ces films.
Pour « Mad love in New York », ils ne dérogent pas à la réglé. Ils rencontrent Arielle Holmes, alors âgée de 19 ans dans le quartier des diamantaires de New York. L’héroïne lui trottait dans les veines. Elle était sous la dépendance néfaste, voir morbide de son petit ami Ilya. Elle avait séjourné en hôpital psychiatrique suite à son suicide raté.

« Peu de temps après, on l’a chargé d’écrire sur sa vie, ce qu’elle a fait en se rendant dans les boutiques Apple à travers New York. Ca a donné un document de 150 pages dans un style totalement inédit. Un compte-rendu détaillé du quotidien d’une SDF toxico dans les rues de New York, avec son petit ami violent et une attirance inextricable pour le drame romantique. Jamais un temps mort, parce qu’un temps mort signifie la mort tout court ! On a adapté les pages pour en faire un scénario, puis on s’est ajouté l’acteur Caleb Landry Jones qui s’est plongé dans ce personnage de façon presque dangereuse, dans le rôle du petit ami. On a choisi Caleb car il avait la réputation de s’immerger de façon convulsive dans ses rôles. On savait qu’on avait aucun moyen de le protéger – nos caméras étaient souvent cachées loin derrière. On avait besoin de son dévouement, de sa façon de s’approprier la rue. Le but était de façonner le film de manière à ce qu’on puisse tourner de façon chronologique dans les rues de New-York en mélangeant les acteurs professionnels, clodos et légendes de la rue ».
Les deux autres personnages qui accompagnent à l’écran Harley ne sont pas des acteurs pros. Buddy Duress incarne Mike l’ami fournisseur de dope. Enfant des rues au charme désinvolte, « Il s’est révélé être un acteur rare qu’on pouvait pousser assez loin ».
Necro dans le rôle de Skully, l’ami un peu collant aux basques et au cul de Harley n’est autre qu’une légende du rap new-yorkais très célèbre dans le milieu underground. « Lorsque les gamins ont découvert que Necro allait jouer dans le film, c’était comme leur dire que Tom Cruise allait faire partie du casting » (l’Eglise de Scientologie en moins, tout comme les moyens pour tourner et le bourrage de crâne farci !).
J’écoute souvent ces temps-ci « Zappa in New-York ». La couverture du CD montre les rues enneigées en hiver. Les frangins Safdie ont tourné eux aussi par grand froid.
Chaque minorité accuse un langage propre, afin de ne pas être compris par les pékins moyens. L’argot est né sans que les keufs n’entravent que dalle à ce jargon, qui mettait à l’abri les Apaches de Paname. Il en est de même avec la langue des SDF et junkies. Josh Safdie nous confie : « Lorsque que j’ai entendu pour la première fois certaines histoires d’Arielle, je lui ai demandé un glossaire parce qu’il y avait des mots que je ne comprenais pas. Mais maintenant, je pourrais aller dans n’importe quelle ville d’Amérique et parler le langage des gamins ».
Tourner sa propre existence dans les rues et la recevoir en pleine tronche sur grand écran comme un retour de baffe. Ce n’est pas facile à accuser le coup, d’autant quand on est fragile et gracile. Arielle Holmes a accusé le coup. « Lorsque je jouais dans le film, je me sentais comme à l’extérieur de moi-même. Après avoir tourné une bonne partie du film et en avoir visionné quelques séquences, ça m’a vraiment donné du recul sur moi-même ».
Ame sensible s’abstenir si l’hémoglobine et les piquouses vous tourneboulent les sens à en gerber votre gouter. Même si en contrepartie les images sont léchées. Le chef opérateur a qualifié le film « d’opéra de verre ». Il n’a pas été avec le dos de la cuillère dans la facilité ! « Ca aurait été trop facile de filmer caméra à l’épaule. On aurait trop facilement exprimé l’idée qu’il s’agissait d’un film de rue. On trouvait que si l’on pouvait transmettre cette atmosphère à travers le jeu et de façon plus nuancée, ça aurait plus de force. On voulait de plus longues focales qu’on pouvait utiliser, à condition que cela reste quand même pratique. La raison est très simple. Les gens de la ville sont presque en fusion.

(…) Harley fait partie du trottoir comme elle fait partie des vitrines des grands magasins ». En effet également, le rythme effréné de Harley et ses amis dans les rues de New-York transparait à l’image dans leurs multiples déplacements incessants lié sans doute aussi à la forte consommation de drogues et la lutte contre le froid.

La bande son les accompagne autour de variations de différents thèmes de Debussy par le compositeur japonais Isao Tomita, qui nous bariole les esgourdes de sons électroniques. Clin d’œil peut être à « Orange mécanique » de Kubrick qui lui avait façonné une relecture de Beethoven. « Mad Love in New York » n’usurpe pas son surnom d’ « opéra de verre » !
Soutenez le courant du cinéma indépendant américain qui rame pour être connu ici et ailleurs même chez lui. Heureusement, on peut enfin le visionner en DVD.

Mad love in New York de Josh et Benny Safdie, master haute définition, disponible en BLU-RAY et DVD, distribué par Carlotta Films, sortie le 22 juin 2016