« Panique à Needle Park » un bon shoot cinématographique !

« Panique à Needle Park » un bon shoot cinématographique !

Je ne suis pas fan des films en forme de piquouse et ces temps-ci je suis servie ! Il n’empêche, quand le cinoche d’un Jerry Schatzberg culmine presque au documentaire dans le milieu des toxicos à New York dans les années 70. Qu’un Al Pacino pour une première apparition sur les écrans nous crève les yeux. Et qu’en plus, Kitty Winn, jeune actrice enlaidit le minois de son personnage par amour pour Al. J’explose mon enthousiasme sans borne. Summum de la joie, lorsque le DVD avec ses suppléments est présenté dans l’écrin d’un coffret ultra Collector par Carlotta Films, avec un livre de 200 pages... Je craque !

Chez les franchouilles, un Antoine Blondin, écrivain et poivrot bien sympathique s’exclamait : « Je ne me drogue pas car on ne trinque pas avec une seringue ». Le regretté Daevid Allen australien d’origine et cosmopolite guitare du Gong psychédélique de la floating anarchy et ses dérivés musicales, ne fumait pas des bananes.
L’excellente série « Sur écoute », subversive à souhait transfuse les milieux des gangs de la drogue dans les rues de Baltimore, aux prises avec les flics et les politiques plus ou moins véreux.

Al Pacino, comment en est-il arrivé à ce qu’il est et surtout comment va-t-il réussir à passer à travers les filets de la dope dure ? Incarnation de tous les personnages qu’il a interprétés, il explique qu’être acteur c’est comme être addict à une drogue : « Il s’avère que je ne suis pas tombé dans la drogue. J’ai eu de la chance. Je suis devenu accro assez tôt du métier d’acteur ».
Toutes les voix du saigneur ne sont pas impénétrables et qu’elles que soient les modes d’ingestion pour se surpasser les neurones et rugir comme un faune, nous nous intéresserons uniquement aux toxicos à travers ce film. D’autant que le phénomène des héros et héroïnes qui se piquent malgré eux jusqu’à l’apothéose. Parfois même à l’overdose solitaire qui fourmille sur tous les trottoirs de Manille, Berlin, Paris et toutes les métropoles depuis très longtemps.

J’ai déjà évoqué récemment les miasmes d’un jeune couple au cinoche dans : « Mad love in New York » (qui sort en DVD en même temps que cet excellent coffret). L’histoire d’un couple de junkies sans domicile fixe se déchire dans une attraction destructrice. La condition du junkie n’a guère différé entre les deux époques de ces films tournés à New York.
En revanche Al Pacino et Kitty Winn, les interprètes de Panique ne vivent pas eux sans un toit sur la tête.

Al s’était déjà illustré sur les planches dans « L’Indien cherche le Bronx », la célèbre pièce de Horovitz. Le cinoche ayant flairé le filon avait déjà racolé Al pour un premier rôle, sauf qu’il avait décliné huit tournages pour se consacrer à la première apparition qui correspondait à ses attentes. « Panique à Needle Park », quelle veine lui ouvrit une carrière fulgurante au cinéma.
Le Bronx, Al a connu son ambiance très chaude durant son enfance et il doit une fière chandelle à ses grands-parents de l’avoir préservé, sinon, il aurait pu sombrer dans l’univers du shoot. « Le quartier était tellement dur qu’ils ne me laissaient quasiment pas sortir, sauf pour aller à l’école. Plus tard j’ai eu des amis qui sont devenus toxicos. Pour une raison ou une autre, je n’ai jamais été tenté. Peut-être parce que je n’aurai jamais pu regarder mon grand-père dans les yeux après ça ».
Et pour tous les jeunes friqués ou fils à papa, qui se prennent pour des acteurs et qui dépensent leurs sous dans les écoles de la société du spectacle, Al, après chaque séance de cinoche passé le soir avec sa maman leur donne sa recette. « J’imagine que c’est pour cela que je suis devenu acteur. Le lendemain, quand je restais à la maison, je rejouais tous les rôles du film que j’avais vu la veille ». A chacun sa méthode, l’épreuve de la réalité sociale vous décalque un bonhomme à se muer dans la peau de n’importe quel personnage, sans écoper tous les états de souffrance endurées.
Entrer dans la peau d’un junkie au point même que les toxicos du quartier s’y méprennent. « Hé, ce type-là a l’air vrai. C’est pas un acteur. Il est cool... Il doit planer. J’aimerais bien prendre sa place ». Sauf que jouer son propre rôle c’est assez facile, mais jouer un rôle en devers et totalement contraire à soi, il faut du talent et le talent ça se travaille, mon potos ! Pas vrai Al ?

Kitty Winn, l’héroïne (pas la substance, c’est pour tester si vous suivez toujours et que vous ne chatouillez pas trop les pattes d’araignées au plafond, bandes d’humanos !). Elle est issue de la classe moyenne américaine. Après avoir brûlé les planches dans son interprétation d’une Jeanne d’Arc incarnée, elle est passée presque sans transition à l’aune d’un autre personnage tout aussi perturbant : une certaine Helen, qui devient accro par amour pour Bobby, un dur à cuir des rues de New York.
Kitty ne connaissait rien des filles ressemblant à son personnage. Elle s’est inspirée de Maryann qui a commencé à se droguer à l’âge de 18 ans En cure de désintoxication elle provenait du même milieu social et se destinait comme elle à la peinture. « C’est vraiment étrange, je m’étais dit : qu’est-ce que je peux bien avoir comme point communs avec une fille qui devient droguée ? Mais ensuite, progressivement, je me suis mise à assembler les pièces qui composent le personnage. J’ai commencé par cet intérêt commun pour l’art qui se trouve être une coïncidence, puis j’ai compris qu’Helen se sentait seule et qu’elle avait besoin d’amour comme nous tous ».
Marvann a livré tous les ressorts de la junkie en survie et toujours en manque de sa dose. Avec tous les aléas que cela suppose, quitte à vendre son corps...
« Je voulais faire comprendre à Kitty ce qu’on ressent en devenant justement insensible, en volant, en faisant le trottoir, pour avoir sa dose. C’est pour cela que j’apprécie le scénario de ce film : il montre la fille « avant » que cela se produise, il montre qu’elle est comme des milliers de filles, jusqu’à ce que les problèmes apparaissent lorsqu’elle s’enfonce plus profondément dans la drogue. Tout le monde se dit comme Helen : Oh non pas moi, je ne serai pas accro ! En fait, la drogue anéantit toute les défenses qu’un individu peut avoir et il voit ce qu’il pense de lui-même ».

Jerry Schatzberg le cinéaste représente lui aussi un oiseau rare dans sa profession. Avec son parcours atypique, il s’est focalisé d’abord à l’objectif d’un appareil photo avant d’embrasser les mouvements de caméra à raconter des histoires au cinéma.
Après avoir photographié des duchesses au nom comme des chaussettes et tout le gratin du butin mondain.....Jerry se refait une santé en côtoyant la vraie vie des marginaux.
Photographe spécialisé dans la mode, il a gagné le respect et l’admiration de ses clients, des personnes les plus connues au monde : le duc de Windsor, les Beatles, Ted Kennedy les Roling Stones.
Lors du tournage de son long métrage il opère un virage à 180 degrés avec son existence passée.
J’ai une affinité particulière pour les histoires de marginaux. Ceux qui sont dans l’incapacité à faire face à la société ou à s’y adapter, craquent intellectuellement et émotionnellement ».
Alors forcément à plus forte raison, d’où son intérêt pour les toxicos qui touchent le fond du caniveau et se révèlent sans aucune volonté au point de balancer l’être aimé.
« Helen donne le garçon à la police parce que, comme je l’’ai dit, les drogués acceptent aveuglément qu’on leur dicte leur conduite. Ils sont faibles comme des enfants : on peut les manipuler car la seule chose qui compte pour eux, c’est se procurer de la drogue ».

Certes, partant de ce constat, mais alors comment filme-t-on en décor réel dans le lieu de vie des vrais toxicos au risque de se mélanger et déteindre sur eux ? C’est là qu’intervient le génie créatif et le regard acéré d’Adam Holender, le chef opérateur qui s’était déjà illustré pour Macadam Cow-boy, autre grand film original de la même époque tourné également dans les rues de New York.
« On plaçait la caméra d’un côté de Broadway, alors que Pacino se trouvait à deux pâtés de maisons, de là, pour jouer son rôle sur le trottoir au milieu des piétons. Personne ne savait qui il était et ce qu’il faisait. Cela donnait une certaine texture au film »
Et pour que l’image transcende le réel au point de vraiment s’y croire et suivre les personnages dans leurs décors naturels, comme si on était auprès d’eux, c’est encore Adam Holender qui s’y colle. « Je voulais que ce soit très réel. Pour cela on a tourné en ouvrant beaucoup les diaphragmes. Il a fallu beaucoup de filtres pour que les diaphragmes puissent rester ouverts. Et dans de nombreux cas, pour avoir du grain, j’ai forcé le développement du film – une ouverture diaphragme ou une ouverture et demie. En termes d’éclairages, il y a très peu de moment dans le film avec une lumière agréable, chaude. (…) On abordait un sujet froid, une froide réalité de la vie. Ces gens sont mal à l’aise, tristes. Je voulais que la lumière illustre cela ».

Jerry Schatzberg cinéaste a préféré la simplicité de façon volontaire pour son second film tourné en décor réel dans les rues de New York et principalement entre l’Avenue Broadway et la 72e rue à Manhattan désormais appelé Sherman Square, point alors de ralliement des héroïnomanes. En guise de square, il faudra oublier nos visions bucoliques habituelles d’un petit coin de verdure. Il s’agit d’un modeste banc flanqué aux quatre vents. « Needle Park » signifie parc de la seringue. Et puisque on entre dans la veine du lexique des toxicos, l’équipe de tournage a revisité son langage pour être à la page du quartier. Les marques d’aiguille appelées « cookers » (gazinières), les « spikes » (aiguilles), les doses du matin, le « nolding » et tout le verbiage courant des toxicomanes. Au point même de tourner plus vrai que vrai, des junkies ont servi d’agents techniques et consultants.
Poussant le détail au paroxysme de la réalité brute de brute. Herman Buchman, maquilleur que rien n’arrête, a observé les différentes expressions dans la chair marquée par les aiguilles dans les hôpitaux. A tel point d’utiliser une solution au doux nom de Flexible Collidion, comme une gravure dans les bras de Kitty et Al. « Je n’ai pas utilisé de maquillage pour la peau. Les toxicomanes ont tous l’air d’avoir la grippe quand ils ont besoin d’une dose. Comme on travaillait dehors, ça a résolu ce point-là. Les toxicomanes ont les yeux gonflés, les pupilles contractées, d’où le terme « pinned » (en aiguille = avoir des pupilles aussi petites que des pointes d’aiguille), un signe plus subtil pour les profanes que les marques de piqûres aux bras ».

Moi qui ne supporte pas la vision d’une seringue et à plus forte raison une aiguille qui s’enfonce dans une veine, Jerry a été assez avare sur les shoots. Je me suis passée du sac en papier pour dégobiller mes bananes. J’ai dû cacher mes quinquets sensibles à quelques reprises pour échapper à l’horreur de certaines scènes. Mais je suis toujours vivante ! Jerry ne privilégie pas le gore au corps à corps avec la substance qui mine les zombies du soir au matin. La journée d’un toxico est ponctuée par au moins quatre moments cruciaux, ses shoots.

Et si Jerry Schatzberg résumait en quelques mots son film à travers l’amour vache qui lie ses deux héros. « C’est une histoire d’amour, même si elle a des ingrédients tragiques. Les gens comprennent les histoires d’amour, parce qu’ils ont déjà été amoureux et veulent être aimés. Si les spectateurs s’identifient avec cela, peut-être qu’ils se montreront plus compréhensifs, et qu’ils voudront aider les victimes, pas seulement restreindre leurs libertés »

Vaste vision en effet qui ne peut nous laisser indifférents. Je compatis avec lui, d’autant que son film est à l’image de ses objectifs, avec ce plongeon en apnée dans le monde des toxicos, plus vrai que nature, sans fards ni artifices.
Un film coup de poing où Al Pacino se pique de jouer à la perfection son personnage tout cabossé. Soutenu par Kitty Winn qui reçut le prix d’interprétation bien mérité au festival de Cannes.

Autre point qui me réjouit, moi la mélo girl invétérée que je suis, il n’y a pas de musique de film sur les images. Tant mieux, car de notre temps, la zizique pollue le sens des images, à part bien entendu chez un Leone ou un Fellini qui travaillait de pair avec leur compositeur fétiche : Monsieur Nino Rota. Vous devrez vous contenter des sons de la rue sur les voix des héros.

Alors que la police en France rentre dans l’état de droit. C’est la démocratie qui se retrouve en danger par la diminution des libertés et du droit de manifester au nom de la sécurité.

Contrairement à notre petit chez nous actuel où les rues pullulent de flics. Dans le film, c’est un inspecteur en civil, belle gueule qui tente de faire tomber Al dealer et consommateur d’héroïne. Par le truchement d’Helen amoureuse transie.

Il y aurait encore tant à dire à propos de ce film très riche qui transcende les lois du genre à propos des images qui sont diffusées des toxicos.
Prenez-vous au jeu de le visionner à votre tour chez vous sans mauvais sang. Histoire de donner votre propre avis. En ce qui me concerne il m’a touchée au vif.

Panique à Needle Park de Jerry Schatzberg, 1971, 110 minutes, couleurs, nouvelle restauration 2 K, disponible en coffret ultra collector BLU-RAY + 2 DVD + livre 200 pages, sortie le 22 juin

Egalement disponible en simple DVD ou BLU RAY