« Corps et âme » et si on te punissait en te changeant de sexe !

« Corps et âme » et si on te punissait en te changeant de sexe !

Dans le milieu des truands et parmi celui du fric roi, comme pour le scandale des « Panama Papers », il se signe souvent des contrats de mort à trépas contre des concurrents. C’est là, qu’intervient Frank tueur à gages et héros de « Corps et âme ». Forcément avoir les mains sales de sang, ça fait désordre et cela attire des haines féroces. Franck en prendra pour son grade en devenant une femme, comme l’expression de sa punition.
Une BD qui se décline sous le blaze de deux auteurs et un dessinateur qui s’accordent parfaitement pour nous décliner une histoire sensuelle trés bien ficelée qui dépote.

Boris Vian visionnaire, qu’il était déjà à son époque, nous avait déjà chanté et prédit « Bourrée de complexes », où l’histoire d’une femme qui avait changé de sexe.

« Corps et âme » s’accroche à cette thématique sous le reflet d’un autre miroir.
Ici on nage ou surnage en eaux profondes dans le roman visuel très noir.
Déjà, chose particulièrement rare, ce sont trois personnes qui sont aux manettes de cette BD.
Tout d’abord, les auteurs, Walter Hill est producteur réalisateur et scénariste américain. Il a aimé dans ses tournages mélanger les genres, entre films d’action qui auraient pris l’air de westerns. Il fut aussi le producteur d’Alien et ses dérivés. Si des dédicaces sont envoyées sous forme de fleurs à Sigourney Weaver, ce n’est certainement pas un hasard ! Il a touché aussi des scénarios qui ont été adaptés en BD chez les éditions Rue de Sèvres.
Matz, second auteur touche à la BD depuis plus de 20 ans et scénarise des jeux vidéo en parallèle. Il vit à Paname.
Jef est le dessinateur de cette œuvre à couper le souffle tant son trait transcende la réalité. Il a partagé son talent avec d’autres confrères et a publié une biographie de Jim Morisson. Chez Rue de Sèvres il collabore avec Matz sur des scénarios du cinéaste Walter Hill et est lyonnais.

Les trois compères se sont retrouvés à travailler ensemble après « Balles perdues »,
Actuellement, Walter Hill adapte « Corps et âme » au cinoche. A suivre, comme on dit.... Sigourney Weaver et Michelle Rodriguez sont de la partie à virevolter leurs bouilles sur grand écran. Ca promet des belles et des moins belles...
D’autant que toute la BD tourne justement autour de la tyrannie des apparences trompeuses.

Frank Kirtchen, beau brun très fin à la queue de cheval, s’avère être un tueur à gages à toute épreuve. Son sens légendaire du sang froid lui a ouvert une certaine renommée dans le milieu qui l’honnore de moult contrats.
Cette fois, rien de plus facile, il doit assassiner Sebastien Kaye mannequin et designer au cours d’un défilé de mode. « Mais je n’étais pas là pour reluquer les plus belles filles du monde. J’étais là pour affaires. A cause d’un type. Un type pas très malin » (page 6). Un type qui doit rembourser un paquet de fric...
Une dernière snifette avant la chute irrémédiable dans les limbes de l’obscurité définitive.
Frank cynique et impétrant blasé nous confie ses états d’âme : « C’est ça mon boulot. Assassiner des gens, les dessouder, les refroidir. Les buter ou quelle que soit la manière dont vous voulez le dire. Je sais que c’est une chose qu’on n’est pas censé faire... Que c’est contraire aux lois de la société et aux principes de l’humanité telle qu’elle devrait être... Et je sais qu’à un moment ou un autre, il faut payer l’addition. Je l’ai toujours su ». (page 13)

« Le chariot de foin », triptyque de Jerôme Bosch qui j’ai eu l’immense plaisir d’admirer en Hollande ces jours-ci, est inspiré d’un proverbe flamand qui symbolise l’avidité. On y zieute la populace qui s’étripe à gorge déployée à ses pieds pour s’accaparer d’un brin. Cette allégorie picturale colle comme à une particule aristocratique à la BD où l’avoir trépasse tous les êtres, ses esclaves !

Du fric, il en pleut à la pelle dans son escarcelle, quand son feu s’enflamme. Mais Frank est bien seul. Pro de chez pro, il préfère se réfugier dans un trou à rat à San Francisco, dans le quartier chinois plutôt que dans un palace. Sans doute par souci de discrétion.
Prochain contrat assez banal, un certain Robert Chow rival et créditeur de son commanditaire… C’est comme ça qu’il a foncé tête la première dans un piège.

Au réveil après plusieurs semaines de vaporisations existentielles, Franck doit temporiser au sortir de son corps. Boris Vian le chantait concernant une femme qui devient homme. Mais le contraire est aussi vrai.
Frank se réveille dans le corps d’une superbe femme ! Plutôt que de lui ôter la vie, le médecin qui l’a retenu prisonnier a préféré obtempérer l’opération de la transformation de son hôte contraint. Il pensait sans doute crever toutes les certitudes de Frank et le rendant eunuque, lui ôter toutes ces capacités de rébellion et son art consommé de la mort en décor.

Ce basculement sans transition dans le cœur du récit accroche le lectorat. Car les traits de caractères ne sont pas gommés par un simple coup de baguette magique, comme par enchantement. L’homme devenu femme garde en lui la haine contre celui qui l’a changé de corps. Sans doute aussi que le titre de la BD « corps et âme » se porte très ajusté au héros.

Vous l’aurez compris, toute la seconde partie de la BD tourne autour de la vengeance implacable et sanguinaire de Frank.

Les seconds couteaux et les seconds rôles ne sont pas exits d’intérêt, puisqu’ils sous-tendent les actions du héros.

Si le rouge vermillon vous va au teint, « Corps et âme » revêtira votre seconde peau. Le travail de Jef, le dessinateur, est époustouflant tant il entre par la petite porte des détails, les sens aux abois. Je regrette juste que le regard de Frank soit un peu trop statique pour asseoir sa stature de beau mec devenu femme sublime. Le « Cri » à la Munch page 47, quand Franck découvre sa nouvelle enveloppe charnelle me botte. Le coup de crayon dans les sinuosités des corps est impeccable.
136 pages pratiquement de rebondissements entre New-York et San Francisco, on voyage à l’œil dans les aventures de Frank sans le lâcher d’une semelle.

J’ai pris beaucoup de plaisir à lire cette BD et j’avoue que je suis très curieuse de zieuter le film qui en sortira des images animées. D’autant que l’impression sera très différente que pour l’adaptation d’un roman, où les lectrices et lecteurs ont la capacité d’imaginer les visages et les corps des personnages, leur voix. Avec la BD, tout est différent. Les personnages ont déjà un physique pré déterminé.
Sans vouloir être désagréable, Sigourney Weaver a passé l’âge de se rajeunir pour jouer le / la héros / héroïne de la BD. A moins qu’elle n’interprète la psy… Ca lui ressemblerait plus.
En revanche, je reconnais que Michelle Rodriguez, franchement ressemble vraiment beaucoup à Franck devenu femme. N’étant pas très fan des films d’action amerloche, je ne la connaissais pas avant la rédaction de mon article. Michelle et son merveilleux métissage se sont ouverts les arcanes de ses ancêtres qui lui vont comme une seconde peau chamarrée.

A suivre donc, comme un feuilleton.

En attendant, rien ne vous abstiens de vous plonger dans ce monde interlope et violent de cette BD qui bannit tout sentiment de prendre la balle du flingue au bon.

Bonne lecture de « Corps et âme » !

Corps et âme de Hill / Matz et Jef, éditions Rue de Sèvres, octobre 2016}

Visuels, copyright : de Hill / Matz et Jef, éditions Rue de Sèvres