« L’année du dragon » crache le feu à Chinatown pour le meilleur du cinéma !

« L'année du dragon » crache le feu à Chinatown pour le meilleur du cinéma !

Mickael Cimino s’est surpassé, au point de pondre cette perle du cinéma. Un voyage à travers la rue principale de Chinatown avec son héros flic interprété de façon magistrale par Mickey Rourke traqueur des triades. Un film à trois héros récurrents qui vont se disloquer au contact des uns et des autres, quitte à perdre à leur culture d’origine au prix du sang. Du très bon Cimino au meilleur de sa forme dans un film coup de poing toujours aussi flagrant depuis sa première sortie sur les écrans en 1985.

Michael Cimino me rappelle un peu dans un tout autre style Terry Gilliam dans ses déboires avec le cinoche. Pas tellement lors des tournages, contrairement à Terry, mais dans l’interprétation de ses films par les critiques acerbes qui aiment le flinguer et à influencer le public à bouder ses films, sous des prétextes dépourvus de sens. Dans un précédent article, nous l’avions laissé en enfer devant « La Porte du paradis » : http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article8656
Heureusement pour nous il se relève toujours, cette fois avec l’appui du producteur italien Dino De Laurentis à qui on doit entres autres : « La Strada », « Dune », « Les trois jours du Condor », « Serpico » ou « Ragtime ». Il a mis toute sa confiance et tout son talent au service de Cimino. Grand bien, qu’il en soit remercié !
Il est toujours très intéressant de se pencher sur l’adaptation d’un roman au cinoche. D’autant plus, quand dans le cas présent, le livre de Robert Daley journaliste de terrain nous plonge dans la mafia chinoise à Chinatown, quartier de New York. « Tous les détails sont authentiques ; les tripots, je les ai vus ; les religieuses qui assurent les écoutes, je les ai rencontrées ». (in propos recueillis par François Guérif dans la Revue du cinéma de novembre 1990 in livret Carlotta Films pour le coffret).
Et comme de bien entendu, Cimino contredit les dires de l’auteur du livre et n’est pas tendre avec lui. A la question : « Que reste-t-il du livre de Robert Daley dans le film ? », il répond.
« C’est un livre qui a été écrit par quelqu’un qui n’est pas un policier de terrain, ni même un policier de carrière : c’est quelqu’un qui travaillait dans le bureau d’un district attorney, et la plus grande partie du livre a été écrite d’après des archives et dossiers. Lorsque nous avons commencé à rencontrer les gens à Chinatown, on nous a dit que personne n’avait vu ce type là-bas ». (in entretiens avec Mickael Cimino dans le livret Carlotta Films)

Qui croire ? Connaissant Cimino comme un perfectionniste visuel, il ne débute pas l’écriture d’un film sans un regard aiguisé sur ses personnages dont le héros. Car pour lui : « Tout commence par les personnages. Il n’y a pas de film sans personnages. Je n’ai pas appris le cinéma dans les livres ni dans les écoles. J’ai plus appris au contact de Clint Eastwood sur le « Canardeur » que sur n’importe quel film ».
http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article8830

Il n’aimait pas le livre au départ. « Je ne croyais pas au personnage. Je n’ai accepté d’utiliser le livre que comme point de départ, en imaginant une histoire différente, et il a fin (le producteur) a été d’accord ».
Et c’est la célèbre méthode Cimino qui a déjà fait ses preuves qu’il va affutée, avec le rendu que l’on sait à l’écran. Il a envoyé des personnes sur le terrain où était supposé se dérouler le film (Chinatown, Thaïlande…), avec en retour des images, des sons des textes, des rencontres avec les vrais gens extraits de la réalité qui vont représenter un outil de travail concret.
Il s’est adjoint Oliver Stone au scénario. Le héros du film interprété par Mickey Rourke a balladé ses rangers au Vietnam et a gardé chevillé au corps cet état d’esprit du guerrier flic redresseur de tort. « Une des raisons pour lesquelles j’ai travaillé avec Oliver Stone sur « Fear of the Dragon » est qu’il est un vétéran du Vietnam. Le vrai Stanley White (nom du héros flic émérite), qui était aussi un inspecteur de police criminelle à Los Angeles, est aussi un vétéran du Vietnam, un ancien Marine. J’avais besoin de cette influence pour travailler au scénario, d’autant bien sûr, en préparant simultanément la production, le casting et le scénario, on ne peut pas écrire tout seul ». Bonne pioche !
Le personnage principal dans le livre est un vieux croulant à l’aube de la retraite et la journaliste est blanche et a vingt ans de plus.


Cimino les a rajeunis et à redonner sa teinte dans le contexte à l’héroïne (Ariane dans le rôle de Tracy Tzu, sino américaine) en jeune reporter. Moins de 20 balais au compteur dans sa vraie vie, lors de ses défilés de mode en tant que mannequin d’un célèbre porte fringue de renommée internationale que je ne nommerai pas. Afin de ne pas lui offrir une pub supplémentaire dont il n’a nul besoin. Non mais sans dec de cacahuète ! Elle fleure la troisième génération dans le film en totale assimilation des valeurs amerloches, à tel point qu’elle est blanchie à la culture amerloche et en vient presque à renier ses origines et mépriser ses compatriotes asiatiques.
Dans le trio de choc de « L’année du Dragon », je voudrais le sublime John Lone dans le rôle de Joey Tai, alias un membre d’une triade influente qui en veut toujours plus pour gravir les échelons. Sacré beau bonhomme, le zigue ! Et pas que l’enveloppe, polope ! A dix ans, il est entré à l’académie de Chin Chiu qui est liée à l’opéra de Pékin où il apprend tous les arts de la scène.
Les triades chinoises sont les ancêtres de la mafia sicilienne, n’en déplaise aux puristes occidentaux. Cimino le rappelle dans son film. Joe, en parfait hypocrite, dans le vernis de son costume blanc immaculé, y va de sa réplique.
« Pourquoi dans les médias, vous renforcez toujours le côté Charlie Chan ? Parlez donc de la chaire d’histoire chinoise que nous avons fondée à l’université de Yale ! Ou de notre fonds social de 12 millions de dollars ! Des repas gratuits pour les vieux et les chômeurs… les choses positives. »
Sortez vos mouchoirs…


Tout l’intérêt du film provient aussi, comme très souvent chez Cimino drapé de son costume d’historien, de rendre aux immigrés qui ont fondé les Etats Unis sur le cadavre des Indiens d’Amérique, la vérité à propos de leur sort d’esclave. Clin d’œil non feint à plusieurs reprises, comme un hommage aux milliers de chinois qui ont souffert le martyre et en sont morts d’avoir construit le cheval de fer vers l’Ouest.
Quelques relents dignes du pétainisme dans lequel baigne le régime français actuel dans ses mesures racistes à l’égard d’une part de la population, on la retrouve dans le film. « Pour la première fois, dans ce film, on entend des gens parler de l’« Exclusion Act ». Personne ne connait cette loi aux Etats-Unis, personne ne sait que les Chinois ne peuvent pas être naturalisés américains, que Chinatown est une société de célibataires et que les hommes ne pouvaient pas faire venir leurs femmes aux Etats-Unis. » (Mickael Cimino)

Autre intérêt sur lequel repose toute la complexité des personnages dans les interactions qui se jouent entre nos trois héros. Le rêve américain s’est fissuré dans la richesse du melting pot des populations qui gravitent sur son sol. Elles engagent une lutte des classes pour survivre, une lutte entre les clans, les cagoules, où le chaos règne dans la violence sociale. Elles se mirent dans la misère toujours présente.
Le jeune chef de triade est chinois d’origine, la jeune et superbe journaliste de la télé est chinoise d’origine née en Amérique et le flic à la testostérone développée est polonais et a américanisé son nom.

Je vous ai présenté les personnages, maintenant quelques mots sur l’histoire. Stanley White vétéran du Vietnam et flic renommé est muté à Chinatown, suite à l’assassinat d’un représentant de la communauté chinoise. Il a gardé son esprit guerrier et ses méthodes musclées qu’il applique dans la rue à la chasse des Triades qui perpétuent le trafic de drogue et tout ce qui s’en suit. Il attaque de front les représentants de ces triades vérolées dans l’œuf, dont le jeune et superbe Joey Tai s’aiguise les ratiches pour devenir calife à la place du calcif. Sauf que des califes, il ne devait pas y en avoir beaucoup dans la communauté asiatique. J’ai dû me mélanger dans mes notes !
Toujours est-il, que c’est un véritable western urbain sur un pont qui se déroule sous nos yeux. Avec à la fin, un duel en apothéose entre les deux héros.
Mickey Rourke s’est donné à fond pour ce film et s’est révélé un dur à cuire dans son rôle sur mesure qu’il a endossé avec toutes ses tripes, si j’en crois sa propre ressenti : « Il faut entrer en guerre. Il faut aller voler le rôle »


Je ne parle même pas des centaines de figurants et autres acteurs inconnus qui ont composé ce film. Sans compter l’équipe artistique. Le directeur de la photographie, Alex Thomson, technicien émérite. La monteuse Françoise Bonnot aux doigts de fée. Et enfin sans oublier le compositeur David Mansfield, déjà présent dans la musique de « La Porte du paradis ».
Je ne le dirai jamais assez, le cinéma représente un travail d’équipe.
Il était forcément impossible de tourner dans le quartier de Chinatown sans le bloquer durant de longues semaines.
Pour la première fois Cimino a travaillé la plupart des scènes du film en studio pour reproduire Mott Street, l’artère principale de Chinatown, dans ses moindres détails. Au point même que Kubrick fin cinéaste à l’œil de lynx a été bluffé. A la plus grande joie méritée de Cimino, apprenti sorcier de l’image, pas peu fier de son art en trompe l’œil se coulant avec la réalité.
Chapeau l’artiste et à toute son équipe !
Chapeau également de nous avoir permis en nocturne d’embrasser vu du ciel un panoramique entre les deux ponts principaux de New York. Avec en filagramme le corps svelte et nu du personnage de Tracy. Depuis son loft où se dessine en ombre chinoise (même pas fait exprès !) la femme drapé d’un paysage urbain unique et démesuré !
« Nous avons cherché pendant très longtemps et nous avons enfin trouvé un endroit situé entre les deux ponts le Brooklyn Bridge une des plus belles constructions du monde et le Manhattan Bridge. Nous avons trouvé cet immeuble très haut, complétement délabré, qu’on était en train de rénover. Nous sommes allés sur le toit. Une vue fantastique de New York : Brooklyn Bridge, Manhattan Bridge, une vue plongeante sur Chinatown, l’Empire State Building : c’est là qu’il fallait tourner. (…) Dans mon idée, ce lieu devait représenter un royaume chinois céleste et légendaire, baigné d’une lumière magique, où l’on garde une jeunesse éternelle. C’est un monde à part, complètement différent de celui de Stanley, de Chinatown ». (Cimino in livre du coffret ultra collector)

Du bon, du très bon Cimino, pas comme dans un autre film de commande raté dont je ne parlerai pas dans une prochaine chronique.
La finesse du regard de ce grand réalisateur nous entraine dans Chinatown filmé comme jamais et si proche de la réalité, que le public chinois se rua voir « L’année du dragon », signe objectif que Cimino avait visé juste.
Même moi qui suis née en Afrique, j’ai accroché à l’intrigue, aux personnages contrastés et forcément riches qui défigurent la pureté d’une Amérique propre sur elle. Cimino aime et s’amuse des clichés. 134 minutes, pas une de moins, durant la durée de ce film où le suspens et les rebondissements nous scotchent de Chinatown à la Thaïlande, dans un plaisir jamais démenti, depuis sa sortie en 1985.
Et à plus fort raison actuellement dans l’écrin de son édition Unique Blu-Ray ou DVD, agrémenté d’un livre de 208 pages, avec le film en nouvelle restauration HD, des suppléments comme toujours très riches chez Carlotta Films, la bande annonce et des visuels superbes.

L’année du dragon de Mickael Cimino, distribué par Carlotta Films, le 9 mars sur les écrans chez vous en coffret ultra collector ou simple DVD.