David Lafore, révélation à cinq têtes

David Lafore, révélation à cinq têtes

« Cinq Têtes » pourrait très bien vivre dans un zoo. Un zoo de l’étrange et du décalé. Le maître des lieux au nom de David Lafore ressemblerait alors à un roi. Il prendrait la place du lion dans le règne animal. Avec ses chansons pince sans rire et son humour noir, il serait plus frondeur qu’un sans culotte culotté, prenant la haute irrévérence de vous charmer par son port altier. Ce mouton noir de la chanson française qui n’a rien de nouveau mais est tellement neuf qu’il est unique, je ne saurais trop vous demander d’y prêter attention en disque ou sur scène en sachant que l’essayer c’est l’adopter (dans une cage bien fermée chez vous entre deux enceintes).

Quel est donc cet animal à 5 têtes qui titre votre album ?

David Lafore : « Ce n’est pas le titre de l’album, c’est le nom du groupe : on est 5 sur scène et on travaille généralement à cinq. »

Vous avez fait les arrangements ensemble d’ailleurs ?

David Lafore : « Les arrangements de cordes je les ai écrits seul mais le reste est fait en communauté. »

L’amour est-il un bien qui vous laisse sceptique ?

David Lafore : « Hum... sceptique dans le cas où il y a des moments où l’on peut y croire et des autres où l’on n’y croit plus du tout. »

Vous semblez préférer chanter le « à plus tard » que la passion présente ?

David Lafore : « Généralement quand on est en train de le vivre on ne l’écrit pas ! On écrit quand cela ne reviendra plus. Ceci dit il y a par exemple la chanson ‘Au fond du Temps’ qui est plutôt une chanson du bonheur présent. »

Qui et quoi prendriez vous sur votre mule à travers les grands espaces ?

David Lafore : « Hé bien, je prendrais du liquide... »

Et personne avec ?

David Lafore : « Dans la chanson de la mule elle est quasiment une personne. »

Vos chansons sont des bijoux qu’il faut écouter attentivement pour les voir resplendir car vous prenez le parti-pris de ne pas prendre votre auditeur pour un con à qui il faut tout expliquer ?

David Lafore : « Oui. Je suis plutôt d’accord avec vous. »

On ne vous mâche pas aussi facilement qu’un Bénabar par exemple ?

David Lafore : « Je pense que ce n’est pas du tout le même travail. Je reste plus pudique dans le sens d’un discours direct qui avec moi sera plus détourné. »
La musique est-elle au service de vos textes quand vous composez une chanson ?

David Lafore : « Oui. Certaines chansons viennent de mon quotidien, plutôt de la vie en règle générale. Comme j’écris les textes en premier je ne sais pas si cela va être une chanson ou quoi que ce soit d’autre. J’écris car il le faut après il y en a certaines qui viennent de mon imagination comme ‘La Fleur du Rond-Point’. Certaines sont autobiographiques et d’autres non. »

Justement, l’idée d’une fleur de rond-point vous est venue comment ?

David Lafore : « Alors... c’est toujours délicat d’expliquer une chanson, c’est comme pour ‘La Mule’, dire que c’est une image de la personne avec qui l’on vit casse la féerie. Avec une interprétation de l’auteur on réduit le champ du possible. C’est dommage... alors je ne sais pas si je vais vous le dire. Mais si vous me promettez de ne pas l’écrire je vous dis ce qu’est la fleur du rond-point ? »

Allez y !

David Lafore : « Ca doit rester un secret entre nous ! Donc voilà : ‘La Fleur du Rond-Point’ j’étais avec ... [censure du journaliste ]... dans cet environnement qui est là et qui tourne. »

Vous vous sentez bien dans la société ?

David Lafore : « Par moment oui... ça m’arrive. Globalement plutôt oui... »

Les orchestrations naviguent entre tempos lents et rapides, mélancoliques et furieux. Est ce l’ouvrage d’Alain Cluzeau (Bénabar, Paris Combo) ?

David Lafore : « Les orchestrations étaient prêtes avant d’entrer en studio, Alain est intervenu à quelques endroits. C’était un réalisateur mais ce terme est un peu générique... Je l’ai intégré pour son expérience, ses compétences en son. A des moments il m’a été très précieux comme oreille extérieure. Il a donné un jugement constructif. Il m’a apporté beaucoup de liberté tout en sachant qu’il était derrière pour assurer, parfois aussi me rappeler à l’ordre. »

Souvent quand un chanteur reprend le texte d’un poète il utilise une musique minimaliste alors que vous essayez de faire swinguer des vers d’Arthur Rimbaud ?

David Lafore : « Dans le texte de Rimbaud il y avait déjà ce premier vers « Mon triste cœur bat à la poupe » qui me fascinait et puis la construction du texte en triolet donnait une structure en refrain intégré à l’intérieur du couplet pour faire une allure de chanson. »

Je sais que vous aimez le cinéma, et à l’écoute de votre album, vous mélangez dignement des ambiances dignes des films de René Clair mais aussi du punk anglais qui aurait grandi ?

David Lafore : « Je suis quelqu’un de varié en matière musicale, cela peut aller des Clash aux Pogues voir même Mickael Jackson. J’ai beaucoup écouté Bob Marley aussi, du jazz, de la musique classique. Je n’ai pas de style adoré précis, à partir du moment où le compositeur a quelque chose à faire passer et emploi les moyens justes pour le dire cela me passionne. Presque mécaniquement cela résonne en moi. »

Cette reprise de Michael Jackson que vous faisiez sur scène c’était quoi ?

David Lafore : « Billie Jean. Musicalement c’était fait sérieusement mais moi je faisais quelques pas de danse assez clownesque derrière. Je faisais ces pas mais tandis que lui au bout d’un tour arrive pile à prendre son micro moi, ne pouvant me demander pareille performance, j’en rajoutais dans l’autre sens, je faisais un tour et je butais dans le micro. »

Vous aimez bien vous mettre en scène ?

David Lafore : « Me mettre en scène non mais j’aime être sur scène et m’amuser sur la scène. Même si j’ai des procédés qui reviennent sur scène, c’est l’improvisation qui me plait. »

Vous êtes assez railleur sur scène, cela vous a parfois joué des tours avec le public ?

David Lafore : « C’est le jeu des fois on taquine et c’est mal pris. C’est comme de jeter un objet pour s’approcher le plus près du mur sans le toucher... ben des fois on touche (rire). Mais c’est bien de prendre des risques, sinon on jette l’objet juste devant soi et il n’y a pas vraiment d’intérêt. »

Heureusement pour vous, il vous arrive beaucoup plus souvent de faire l’unanimité dès la fin de votre « prestation » ?

David Lafore : « J’aime bien quand les gens se demandent s’ils ont assisté à un concert. Si tout était normal ! Des fois j’arrête une chanson au milieu parce qu’il y a une petite erreur, je suis quelqu’un qui recherche la justesse alors au lieu de serrer les fesses et de faire comme si de rien n’était je préfère arrêter la chanson au milieu. Du coup les gens sont étonnés. C’est un acte quasiment anti-professionnel je le reconnais, mais je ne suis pas là pour faire un acte de prestation académique : c’est à dire de jouer bien, d’enchaîner bien. Le spectacle est plus émouvant quand il se passe des choses imprévues qui nous empêchent à nous artiste de nous faire paraître forts. Je pense que l’on peut être très fort par contre quand l’on se dégage de toutes ces choses qui font parties du paraître plutôt que de l’être. »

Vous étiez acteur pour enfant il y a encore 3 ans, préférez vous le monde des enfants ou celui de leurs parents ?

David Lafore : « On retrouve les deux dans les deux. Les enfants, notamment en spectacle, n’ont pas encore cristallisé toutes les conventions comme « on ne parle pas pendant le spectacle », « on applaudit à tel moment ». Il y a une intelligence naturelle chez eux. Chez les adultes des fois tu crois qu’il y a une grande écoute parce qu’il y a du silence mais finalement tu t’aperçois qu’ils se font chier mais qu’ils sont polis (rire). Ceci dit, une fois que c’est enclenché avec les adultes on peut pousser le bouchon beaucoup plus loin que bien évidement je ne pouvais pas faire avec leurs mômes. »

Votre bestiaire me fait penser à un autre artiste qui aime les mouches : c’est Daniel Helin qui utilise aussi de jolies métaphores pour parler de ses congénères humains ?

David Lafore : « J’ai quelques animaux dans mon placard, certains qui ne sont même pas sur l’album, je ne compte pas faire ça tout le temps mais là cela me permettait d’approfondir le trait sans être méchant, en étant plus léger. »

Votre première chanson vous l’avez composée à 15 ans, c’était une sorte d’hommage à vos grands-parents ?

David Lafore : « Oui, cela disait ceci Pépé et Mémé sont restés sur le bord de la cheminée, ils ont cramé. Et dans l’autre couplet c’était Papa et Maman nous ont donné à manger, une mémé bien grillée c’est bon à bouffer. »

Cela passait comment dans la famille ?

David Lafore : « A part ma sœur qui a dû l’entendre, je ne l’ai pas chanté à ma grand-mère. (rire) »

Que faut-il brûler dans la vie pour faire un bon album ?

David Lafore : « il faut cramer des journées et des journées... des cigarettes aussi. D’ailleurs j’en allume une. »

Vous permettez que j’en fasse autant ?

David Lafore : « Faites, faites ! »

Maintenant que votre album est sorti, vous vous en tirez comment avec la notoriété, les hôtels, le champagne et les groupies ?

David Lafore : « Je vous dirais ça plus tard pour ce qui est de la notoriété. Le champagne ce n’est pas ma passion et les groupies j’ai des amis et quelques personnes qui m’apprécient mais ce n’est pas encore pressant au point de prendre un garde du corps. »

Vous triturez la rime au même titre qu’un Gainsbourg, avez vous peur de devoir faire du Gainsbarre pour avoir un succès grand public ?

David Lafore : « Gainsbourg a eu de grand succès avant d’afficher Gainsbarre. »

De par votre métier d’acteur, vous créez vous un personnage ?

David Lafore : « Sans doute. On touche à une ambiguïté. Par exemple ce que l’on est en train de faire n’est pas très naturel. Je ne vous connais ni d’Eve ni d’Adam et vous me posez des questions. C’est quelque chose qui arrive très rarement en définitive. On est en train de tenir un rôle. C’est étrange, mais finalement c’est plutôt amusant. Le sujet c’est ce qu’on fait dans le travail, après ce que l’on dit ça a peut d’importance par rapport à la chanson en elle-même. Il faudrait plutôt m’interroger dans le cheminement de la pensée pour arriver à l’objet. »

Qu’en est-il de ce roman que vous aimeriez finir d’écrire ?

David Lafore : « J’en ai commencé un mais je ne sais pas où il en est. En tout cas dans ma vie je souhaite en écrire au moins un. »

C’est plus important que de sortir un disque ?
David Lafore : « C’est une forme différente tout aussi importante. Pour être grossier c’est une forme plus grosse (rire). »

Vous êtes parti du Nord vers le Sud et vous revenez dans le Nord faire un concert, à quoi peut on s’attendre ?

David Lafore : « Géographiquement, à part les paysages qui peuvent me donner des bouffées de joies et de tristesse mélangées, la géographie est finalement, surtout dans une salle de spectacle, réduite à l’endroit où je joue. »

David LAFORE, Cinq Têtes, PIAS

David LAFORE, Cinq Têtes, PIAS