Alexandre Marius Jacob : honnête travailleur « Voleur et Anarchiste »

Alexandre Marius Jacob : honnête travailleur « Voleur et Anarchiste »

A notre époque de guerre sociale larvée en France et particulièrement en Grèce, où la propriété du grand capital et des oisifs règnent et imposent l’esclavage et la servitude volontaire au troupeau, comme seul modèle d’existence…. A la Belle Epoque, époque merdique et déjà très moche, « un parfait honnête travailleur* » refusa de perdre sa vie à la gagner et créa une association anarchiste des Travailleurs de la nuit, adeptes de la reprise individuelle. Jean-Marc Delpech, l’auteur de cet ouvrage, nous raconte l’histoire vraie de Marius Alexandre Jacob, honnête cambrioleur qui paya de 19 ans de bagne sa vie d’engagements et d’homme, qui se voulait libre solidaire, généreux et grand partageur de la cause libertaire.
* Travailleur signifie cambrioleur en argot.

Vous allez me dire, encore un ouvrage consacré à Alexandre Jacob, (1879 / 1954) comme si ça ne suffisait pas ! Jean-Marc Delpech à la fin de son livre en annexe s’en explique. Il nomme ses sources et ses prédécesseurs. Il s’est forcément inspiré des écrits très riches de Jacob pour coller au plus près de la réalité. Comme tout bon historien, il a fouillé les archives et autres mines de documentations pour écrire un livre qui ne ressemble à aucun des autres, qui eux se sont cantonnés au personnage de voleur et d’aventurier. A la limite du romanesque d’un Maurice Leblanc qui aurait blanchi Alexandre Jacob, en le transformant en gentleman cambrioleur de pâte à papier, pour détendre les gogos des faits divers et engrosser un éditeur. C’est tellement facile de coller au cul d’un Arsène Lupin, personnage d’opérette, qui teinte l’arsouille plein les fouilles pour sa pomme et le comparer à Alexandre. De l’Huma à Michel Onfray et j’en passe… Tous ont trahi Jacob. « Pour en finir avec Arsène Lupin », (j’espère une bonne fois pour toute), Jean-Marc Delpech s’y active en annexe, dans une analyse critique qui tient la route.
« Alexandre Jacob, quant à lui n’est pas un justicier au sens romanesque du terme. Il ne cherche pas à réparer ici et là, quelques torts commis envers l’un ou l’autre. C’est un militant libertaire et un théoricien de l’illégalisme, comme le prouvent ses écrits et, surtout, sa fameuse déclaration « Pourquoi j’ai cambriolé », qui cherche à renverser l’ordre de la société en faveur du plus grand nombre. Il n’est pas comme Lupin d’origine noble et bourgeoise. C’est un homme du peuple conscient et politisé, qui s’est donné un moyen de lutte contre la société capitaliste : le vol ». (page 182).
Jean-Marc Delpech connait son sujet. Il a soutenu une thèse en 2006 et publié en 2008 un premier ouvrage à l’Atelier de création libertaire. Il anime aussi un blog très complet consacré à Marius Alexandre Jacob.
http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob/


Né à Marseille en 1879, d’un père boulanger navigateur revenu alcoolo de ses virées et d’une mère Marie aimante, qui le soutiendra de toutes ses forces dans tous ses combats et surtout lors de ses périodes d’enfermement. A onze ans il quitte l’école et devient mousse. Il prend le large et va voir du pays… A 13 balais, à bord de paquebots, des dames, pour la plupart protestantes s’octroyaient ses charmes à le vider de sa substance parfois jusqu’au sang. Il embarqua aussi avec des pirates… et finit pas déserter.
C’est bien connu (du moins surtout à l’époque), les métiers de l’imprimerie mènent à l’anarchie. Alexandre devenu typographe à Marseille s’éveille l’esprit. La propagande par le fait et l’explosion des marmites mènent à la répression et aux lois scélérates. L’idée de reprise individuelle germe déjà dans sa tête. Les causeries, les conférences, les brochures alimentent son intelligence fertile.
A 19 ans, il écope de 6 mois ferme, alors qu’il a été piégé pour explosif fourni par un agent provocateur. L’Etat le plus froid des monstres froids commence sa charge héroïque pour le broyer. Il est inscrit à l’état vert des anars à surveiller sous l’étiquette « dangereux pour l’ordre public ». Dès lors à l’embauche, un inspecteur zélé prévient le patron. « Tout cela m’aigrit et me révolta, et c’est ainsi que j’entrai en lutte ouverte contre l’autorité » (page 36). Ca se comprend pardi !
A 20 balais, l’esprit alerte et l’humour toujours, le 1er avril 1899, avec des compagnons, à Marseille ils détroussèrent un préteur sur gages (celui qui prête aux pauvres qui remboursent mal), de façon légale. Avec tout le tralala, grimés jusqu’à se ceindre d’une écharpe tricolore. « Tout Marseille rit à s’en tordre les boyaux. Le commissaire Jules Pons et ses trois policiers ont disparu dans la nature avec un magot estimé à environ 400 000 francs. Une mise en scène audacieuse, extrêmement bien réglée, pensée dans les moindres détails et orchestrée d’une main de maître ». (page 41) Il est jugé par contumace et écope de 5 ans de cabane et 50 francs d’amende. « Alexandre Jacob, anarchiste, est devenu un illégaliste recherché. La cavale commence ». (page 44)
Honnête travailleur à la sueur de son front, Alexandre apprend vite les arcanes de la cambriole et signe ses méfaits d’un billet d’humeur sous le pseudo d’Attila. Du style : « « Sale aristo, sois heureux que nous n’ayons pas assez de temps, sans quoi ton coffre-fort serait allégé passablement. A la prochaine fois, il faut espérer que cela ira mieux ». (page 47) Autre fameux exemple parmi tant d’autres de son trait d’esprit. Après avoir fracturé l’hôtel du tabernacle d’une église, Jacob s’épanche de cette maxime : « Dieu tout puissant, recherche ton calice ». (page 89)
Un copain le donne au flic et il en prend pour 1 an + les 5 ans déjà jugés = 6 ans tout rond. Il se fait passer pour fou et s’évade avec la complicité d’un infirmier de l’asile d’Aix en Provence.
Pour vous mettre dans le bain de sa caboche et de ses théories anarchistes sur la question de la reprise individuelle. « Il faut une bagarre d’envergure contre le capitalisme et ses privilégiés et ne plus s’attaquer comme Ravachol, Henri et Caserio, à des symboles, mais au fondement même de l’injustice sociale : la propriété et le coffre-fort. La marmite a fait couler le sang et le sang bourgeois se paie trop cher pour un seul individu. Avec la pince-monseigneur, en revanche, on peut vivre et propager nos idées. » (page 58)

Bientôt une association bien ficelée des Travailleurs de la nuit écréma et tissa une vaste toile sur tout l’hexagone, se déplaçant en train et détroussa les « parasites sociaux ». Avec tout ce pognon, l’or, les bijoux confisqués, cézigues vivaient dans des palaces et buvaient le champagne au petit dej, en trinquant à la santé de leurs compagnes et compagnons qui trimaient à la mine. Nada. Alexandre Jacob revendiqua plus de 150 casses et vécut toujours de façon très simple, détaché des biens matériels. Les honnêtes travailleurs prenaient les décisions collectivement et reversaient au moins 10% du butin pour l’effort de propagande et de solidarité à la cause anarchiste. « Si la propriété était le vol, alors les voleurs pouvaient être des travailleurs honnêtes et hâter la révolution tout en vivant dignement des fruits de leur prétendu délictueux labeur ». (page 61)
Jacob soustrayait certaines professions qu’il respectait de ses reprises individuelles. Ainsi, les écrivains, les professeurs, les médecins… étaient considérés comme utiles socialement. Une nuit, s’apercevant qu’il cambriolait Julien Viaud, alias Pierre Loti, « plutôt littérateur qu’officier de marine » (page 91), il préféra passer son chemin.
En plus de son humour et de sa joie de vivre, Jacob était aussi un homme ingénieux, à toujours créer de nouveau outils pour faciliter le travail des monte-en-l’air. Comme l’invention de cet appareil pour fermer les portes et donner ainsi l’illusion que la porte est bien fermée de l’intérieur. Il fallait y penser, pardi !

Seulement, il est arrêté le 23 avril 1903, enfermé deux ans avant d’être jugé par la cour d’assise d’Amiens du 8 au 22 mars 1905. Au total, 23 accusés siégèrent. Alexandre Jacob avec sa verve habituelle apostropha la cour, la railla, la tourna en dérision et profita de l’ampleur du retentissement du procès au niveau national et international, pour propager ses idées anarchistes. Il est à noter que pour couvrir maintes de ses compagnes et compagnons, il prit à sa charge leurs actes.
Jacob fut condamné aux travaux forcés à perpétuité ainsi que 7 autres compagnons de sa libre association, qui seront envoyés au bagne de Cayenne. Seul Alexandre n’y perdra pas la vie. Puisque le bagne était considéré par les condamnés comme une guillotine sèche et la durée de vie maximale était évaluée à 5 ans. Il attendit désormais son transfert à « l’établissement zoologique » de Saint-Martin de Ré avant la longue traversée, en principe sans retour.

Il ne baissa pas les bras pour autant et adressa une missive au ministre de la justice le 3 avril 1905, sous forme de menace et de révolte contre le sort réservé à sa mère.
« C’est à dessein que je termine cette protestation, sans parler d’autres personnes, notamment de ma pauvre mère ; la force l’as proclamée coupable en la condamnant à cinq ans de prison. Qui a tort ? Qui a raison ? La violence le proclamera prochainement”. (page 127)

Les bagnes coloniaux franchouillards inspireront les camps de la mort chez les nazis et les goulags en Union Soviétique. Ils fonctionnaient sur le même principe d’épuiser jusqu’à la mort des hommes et des femmes ayant encore la force de travailler, pour les remplacer par un nouveau cheptel. La boucle était bouclée ! Ce système d’esclavage réglé comme une horloge allait engraisser les grands groupes industriels à la solde du Grand Capital, les mêmes actuellement en Allemagne qui affament le peuple grec.
Alexandre, sur ses 20 ans de bagne, passa au moins onze ans de cachot en prison. Quelle était sa recette pour résister à la camarde qui le narguait ? Il avait le droit d’écrire une fois par mois (en langage codé, il va sans dire) et il s’en privait pas. Cette longue correspondance salvatrice représentait son seul lien avec le monde libre. « Durant toutes ces années, Jacob tient, résiste. Il sait ne pas s’avilir et ne pas se rabaisser, comme le font tant d’autres. Il ne joue pas. Il ne boit pas. Il ne délatte pas. Il ne se prostitue pas. Il en impose à ses camarades détenus. Il en tue un ou deux qui ont cherché à l’empoisonner. Il en aide d’autres à se défendre contre les agents de la Tentiaire (Administration pénitentiaire). Il lit et possède une connaissance encyclopédique. Il apprend et maîtrise le droit. Il en impose à l’A. P. Par sept fois il passe devant le tribunal et gagne cinq de ses procès. » (page 146)
Il rencontre sur place le docteur Rousseau, homme humaniste et indigné par la condition de détention au bagne, qui écrira un livre pour la dénoncer, mais aussi Albert Londres. S’en suit une campagne en France pour le faire libérer qui aboutira à une grâce présidentielle le 14 juillet 1925. Il purgera à son retour encore une peine de 2 ans. Il retrouva enfin sa mère. Sa compagne est morte en prison. Finalement il est transféré à la centrale de Fresnes où il croisa trois compagnons anarchistes espagnols dont Buenaventura Durruti ! Le monde est petit ! Le 31 décembre 1927, Alexandre Jacob recouvre enfin la liberté.

Liberté chérie, enfin !
« Le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend » (in son fameux texte : « Pourquoi j’ai cambriolé » (1905). Plus de vingt ans plus tard, il n’a pas oublié et sait rester digne de ses idées.

Encore une fois, tout n’est que littérature et Alexandre le prouve une fois de plus !
A Paris, il rend souvent visite à Jeanne et Eugène Humbert, couple anarchiste naturiste, militants du mouvement néomalthusien. Ils lui proposent de se marier avec une femme antifasciste italienne dont le mari a été assassiné par les sbires de Mussolini. Il accepte enthousiaste et « Jacob l’aide à retranscrire un manuscrit illisible d’un certain Louis Ferdinand Destouches. Sans le savoir, Jacob est le premier lecteur du Voyage au bout de la nuit de Céline ». (page 151)
Il participe au Cercle des objecteurs de guerre, un groupe pacifiste et rencontre Léo Malet. Décidément, il a l’art de côtoyer les sacrées plumes de son époque !
Il finit par quitter Paname et s’installe en Touraine et devient Marius, camelot sur les marchés. Sous le barnum où est inscrit son prénom, il vend des tissus, chaussettes étoles avec l’accent du Sud. Clin d’œil encore littéraire avec le prochain roman d’Eric Holder à paraitre fin août et dont forcément je vous reparlerai bientôt, qui met en scène justement des camelots sur un célèbre marché du Médoc. Et toc. !
En 1936, Marius délaisse son commerce. Etonnant non ? La révolution espagnole lui ouvre les bras, pardi ! Il rencontre un trafiquant d’armes de Monte-Carlo pour fournir des munitions aux combattants. Les compagnes et compagnons là-bas n’acceptent pas le marché. Marius reviendra totalement dépité et dira d’eux : « Ce sont des fadas ». (page 153).
« La France nouvelle et libérée lui cherche des poux fiscaux quand même. Jacob est condamné par le tribunal d’Issoudun pour non présentation de factures concernant l’achat de rouleaux de tissus. Il passe un mois en prison. Pas un bon souvenir. Mais, au fond, il s’en fout. Marie n’est plus là ». (page 155)
Il rencontre un jeune couple d’instits de la Drome, Robert et Josette. Le courant passe si bien entre eux, que Marius leur confit ses souvenirs et archives. Le couple pratique l’amour libre et c’est tout naturellement que Marius éprouve du béguin pour Josette. Nous sommes dans les années 50. Cette parenthèse amoureuse et charnelle dont Alexandre Jacob a tant manqué durant son existence de bagnard le tint encore en vie.
« Apprécier le plaisir qu’il y a de partir en bonne santé, en faisant la nique à toutes les infirmités qui guette la vieillesse. Elles sont toutes là réunies ces salopes prêtes à me dévorer. J’ai vécu, je puis mourir ». (page 157)

Le 28 août, Marius Alexandre Jacob met fin à ses jours en homme libre et conscient. Mais auparavant, dans un dernier geste de sa bonté naturelle et fraternelle de grand partageur anarchiste, il offre un repas aux enfants pauvres de Bois Saint-Denis.
Comme l’écrit avec beaucoup de pudeur, Jean-Marc Delpech : « Il s’est endormi avec son chien. Il a réussi sa dernière évasion ». (page 157)
Outre le fait que Jean-Marc est un historien, qui a su raconter la vie de ce cher Jacob pour la rendre audible et lisible par tout un à chacun. Il a un autre talent que j’ai beaucoup apprécié. Celui d’introduire son ouvrage comme un cadeau d’un père qui raconte à son fils l’histoire de Jacob à Noël et lui offre un « Jacobil » unique !
Tous les chapitres commencent d’ailleurs par un dialogue entre ces deux personnages qui s’approprient à leur façon la vie de Marius Alexandre Jacob.

Livre passionnant, très respectueux de son héros libertaire, avec des annexes très ouvertes. Un livre que je vous recommande chaleureusement.
Comme m’a dit dernièrement mon ami Jacques de Pauillac en découvrant l’existence d’Alexandre, « des Jacob il en faudrait beaucoup actuellement ».
Je laisse le mot de la fin provisoire, (car un film est en tournage), à Marius Alexandre Jacob, avec tout l’enthousiasme qu’il donne toujours de vivre et se battre et rester et solidaires.
« Anarchiste révolutionnaire, j’ai fait ma révolution, vienne l’anarchie ». (page 188)

Alexandre Marius Jacob Voleur et Anarchiste de Jean-Marc Delpech, avec de nombreuses illustrations, éditions Nada, mai 2015, 200 pages, 16 euros