Dépendance Day de Caroline Vié, Jc Lattès

Dépendance Day de Caroline Vié, Jc Lattès

Lire un livre de Caroline Vié est une expérience hors norme, un moment extra-ordinaire (ou pas ordinaire, mais extra) dans le sens où l’auteur nous plonge dans un roman qui est aussi un film - et non pas un livre qui fait penser à un film. Mais en même temps on est en plein dans la Littérature, une littérature qui ne singe pas le cinéma, ne l’imite pas ou ne s’en inspire pas non plus. Il y a là, au contraire, la création à part entière d’un autre langage voisin. Tout cela est extrêmement déconcertant et excitant et nouveau car des gens qui écrivent comme ça, ça n’existait pas avant Caroline Vié. L’auteur de "Brioche", qui a connu un beau succès d’estime pour un premier roman, récidive avec un ouvrage extrêmement dense, drôle, étonnant, précis, fouillé, et incroyablement bien construit, en forme de petit chef d’oeuvre. Explication(s).

Le Pitch de l’Editeur

Je me laisse tomber sur un banc, le souffle court. Je ne sais plus où je suis. À Paris. Dans une rue. Elles se ressemblent toutes. J’ai rendez-vous. Je suis perdue. Je tente de me calmer. La respiration abdominale n’a pas été inventée pour les caniches, comme dirait ma copine Véronique. Inspirer. Expirer. Je me répète la date, mon nom, celui de mon mari, de ma meilleure amie et du président de la République. Commence à m’apaiser.
Ce n’est pas pour aujourd’hui. Ça n’a pas encore commencé. Je me suis juste égarée. Non, ce n’est pas pour maintenant. La malédiction qui a abattu ma grand-mère et ma mère ne m’a pas encore frappée. »

Elles s’appellent Lachésis, Clotho et Morta, comme les Trois Parques. Elles filent leurs propres vies, entre joies familiales et blessures d’adultère. De génération en génération, surtout, elles se transmettent le même rouet, la même malédiction : l’oubli, la folie, la perte de soi – ce que l’on appelle aujourd’hui Alzheimer. Clotho a dû enfermer Lachésis. Morta, la narratrice, sait qu’un jour elle devra à son tour enfermer Clotho.
De mère en fille, le même amour, la même impuissance.

Notre avis :

Elle du style Caroline Vié. Un style faussement simple, où chaque mot est au plus juste, précis, dosé et fait un effet boeuf. J’ai envie de dire qu’elle a une gouaille littéraire incroyablement intemporelle et marquante. A la fois très années 80 et très moderne ou alors qui est nourrie de plein d’époques pour former un monde référentiel à part.
Du coup, il y a cette histoire, ce vrai scénario très abouti centré sur malédiction familiale autour d’Halzeimer mais ce qui est jubilatoire chez elle, c’est sa liberté avec le mot, le syntagme, la phrase qui fait que Caroline Vié raconte des histoires avec une voix propre, un charme inimitable et une focale vraiment vraiment vraiment très pertinente.

Pas envie de résumer ni de paraphraser "Dépendance Day", ça ne servirait à rien car il faut découvrir ce texte, s’y plonger en confiance, se laisser entrainer dans ce voyage original, percutant, bluffant à certains endroits. C’est terriblement malin, curieux, jamais misérabiliste, facile ou consensuel. Ca ne plaira certes pas aux Véronique susceptibles qui, c’est vrai ont vraiment un prénom godiche, mais à tous les autres et à part ça c’est magnifiquement nourri par le réel, les expériences intimes, la famille... la vie quoi !

Elle utilise de drôles de noms de personnages, Caroline Vié, elle regarde le monde avec de drôles de lunettes, elle est marrante, elle manie l’auto-fiction à merveille à travers des anecdotes des gens, des évènements et des actions qui ne sont pas forcément biographiques mais qui ont été vécus par très loin d’elle ou alors dans ses vies antérieures. Caroline Vié elle sait de quoi elle parle, "elle sait de quoi elle écrit"

Du coup "Dépendance Day" nous plonge dans un joli ovni réjouissant, étrange dans la meilleure acception du terme, on est chez une sorte de grande cuisinière expérimentatrice et à la fin du repas littéraire, on a le ventre bien rond, on a été bien nourri de milles vies et gourmandises.

Gros coup de coeur pour ce roman singulier, pluriel au coeur de l’oubli, de l’intime, du secret, de la mémoire, de la famille, de la France, de la fratrie, "Dépendance Day" mérite un prix, pas un prix mondain mais un prix du public, un prix du coeur. A lire absolument. Un écrivain est au bout du fil narratif. Un écrivain qu’on va suivre très longtemps, car on aime follement son univers.

https://www.youtube.com/watch?v=k06Xh1dZuL8&feature=youtu.be

DEPENDANCE DAY, Caroline Vié, Jc Lattès, 214 pages, 17 euros