Brigitte Fontaine ne tarit pas de talent littéraire !

Brigitte Fontaine ne tarit pas de talent littéraire !

« Les hommes préfèrent les hommes » si j’en crois ce recueil d’histoires de Brigitte Fontaine et non pas les blondes, comme nous le suggérait le cinoche armerloche. C’est pas plus mâle en fait ! Elle tire sur les carcans moraux et sociaux à boulets de maux qui décapent et désapent la littérature nombriliste. 16 histoires à lire et à relire pour en apprécier la verve et le talent stylistique de l’artiste. J’avoue qu’elle m’a conquise, tout autant que certaines de ses chansons et elle connait la musique des mots. Elle les ciselle et les interpelle pour raconter des histoires pour le moins originales et si rares.

Brigitte Fontaine emmerde les critiques depuis sa première apparition sur scène. Ils l’affublent du sobriquet de déjantée au pied levé et se gargarisent depuis les années 2000 de ses passages médiatiques très remarqués et souvent incontrôlables, selon les codes de la communication en rigueur chez ces censeurs. Comme en son temps, avec un autre artiste hors norme : le beau Serge Gainsbourg caricaturé en Gainsbarre !
Ces caves, la Brigitte dans tous ses états, ils ne l’ont vraiment découverte que sous peu. Pour leur fiche à la gueule toute sa rage d’exister en tant que telle, Brigitte artiste authentique et naturelle, dès les années 60 annonçait la couleur de sa liberté de se montrer et de dire de toutes les façons ce qu’elle avait déjà à dire dans des brûlots bien sentis : Chansons décadentes et fantasmagoriques (1966) et Brigitte Fontaine est…. Folle ! (1968).

STOP aux étiquettes qui déforment une artiste et l’enferme dans un carcan ! Laissez la vivre, bordel !

Brigitte a toute sa tête et en plus sa tête est bien pleine quand elle s’engage pour le droit à l’avortement au moins à deux reprises, contre les guerres en Irak, quand elle exprime son esprit libertaire ras les murs des prisons et son soutien aux étrangers en situation irrégulière et j’en passe…

Faut dire, plus de 50 balais de chansons, de théâtre, de bouquins, elle carbure Brigitte à la création, avec comme il se doit ses hauts et ses bas débits.
Brigitte a de qui tenir la belle. Elle est issue au départ d’une double culture bretonne et française, d’un père instit de la laïque. Puis aux temps de ses amours, quand elle monta à Paname pour toucher du bois les planches des théâtres, c’est la culture kabyle, sous les traits du sublime Areski Belkacem, qui lui est tombée dessus. La barde bretonne et le musicien Kabyle, un sacré couple explosif que ces deux-là !

Faudra un jour qu’on m’explique, cette attirance quasi physique et culturelle qu’ont les kabyles et les bretons à s’aimer à l’unisson dans bien des cas ! J’ai eu beau poser la question autour de moi à toutes ces belles personnes des mêmes origines sur le pourquoi de ce déclic… Je n’ai jamais obtenu une réponse claire ! Peut-être que si Brigitte Fontaine, tu me lis et veux m’expliquer cette pulsion de vie créative qui unit deux individus si riches de sens, sur ce territoire précisément de la Bretagne et de la Kabylie, je suis preneuse.
Immanquablement je pense à cet autre grand personnage de la poésie textuelle mise en musique : Monsieur Marcel Mouloudji fils de Saïd Mouloudji un Kabyle et d’Eugénie Roux une Bretonne. Avec l’œuvre à la fois chantée et picturale de ce sacré artiste, qui me tient tant à cœur et engagé lui aussi par-dessus le marché !
Faut dire aussi que les Kabyles ont eu toujours à résister aux envahisseurs arabes et coloniaux de la franchouille. Ils ont gardé cet esprit rebelle et aussi cet amour des connaissances dans l’érection des premières universités en Algérie ! Hum, comme j’aime leur esprit frondeur et leur indépendance ! Je passe sur la résistance de leurs poètes assassinés par les barbus intégristes et toutes les autres exactions dont ils ont été victimes…. Ce n’est pas le thème de ma chronique, même si elle me tient très à cœur.

Brigitte je l’écoute depuis ses débuts par l’intermédiaire du Bartos. Ce déjà sale mouflet cassait les oreilles de ses darons à projeter la voix unique de la belle sur l’électrophone dans tout l’appartement de la banlieue parigote. Il me souffle à ce sujet qu’il éprouve une grande tendresse pour le disque Comme à la radio (1969) réalisé avec Areski et The Art Ensemble of Chicago (excusez du peu !). Même qu’encore aux jours d’aujourd’hui, pour apaiser certaines de mes angoisses existentielles loin de mes origines africaines, il me passe Le Bonheur (1975).

De ces années de totale liberté chez Saravah chez le très grand Pierre Barouh ‘deur de la chanson : http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article8141, je pense que Brigitte et Areski ont donné le meilleur d’eux-mêmes. Je dois avouer qu’à partir de l’album Kékéland en 2001, j’ai un peu décroché. J’y ai ressenti une certaine touche commerciale pour alpaguer les gogos. D’autant qu’il faut bien l’avouer, trouver des artistes originaux tels que la Brigitte et son Areski, c’était déjà pas facile à l’époque. Alors à plus forte raison en 2014 !
J’ai la nausée, quand je lis les palmarès de fin d’année des grands médias à la solde des annonceurs qui prônent la couleur blanche sans texture et déculturée. Les tous pareils qui se veulent tous différents vendus par France Inter, Télérama, les Inrocks, l’Obs et autres torchons de merde….

Le Bartos siffle la récré. Il me souffle son air fétide dans les bronches, ce cave ! Il veut absolument que je parle de la chanson : Ah que la vie est belle de Brigitte. Faut dire, je la connais par cœur. Je me la suis tapée durant tout son roman Bluty, en tant que personnage partageant la couche d’une femme vampire carnassière fan de cette foutue chanson à la Kong !

Retour à la réalité vulgaire . Pas facile de survivre quand une ou un artiste est gorgé(e) d’une personnalité originale. Combien ont disparu, avec les labels qui les soutenaient. Je pense à feu Boucherie Production de François Hadji-Lazaro label innovateur folk rock chanson française qui a fait émerger moult talents. A ce sujet qu’est devenue le groupe Les Elles issu de chez le François ? Cette création fulgurante d’un univers unique en hôpital psychiatrique avec Pamela et des personnages en blouse blanche et toute une tripotée toute aussi haute en couleurs musicales. Avec à la voix et aux commandes Pascaline Herveet et sa fameuse dégaine !

Juste pour vous dire aussi, qu’actuellement si Brigitte et Areski commençaient le taf en chansons, il y a de grandes chances que la porte des studios leur soient fermés.
Univers / Sale Zizique rouleau compresseur digère et recrache les artistes et leur retire leur âme, que ça en devient critique pour les chroniqueurs libres et honnêtes de leurs opinions. Brigitte et Areski bouffent à ce râtelier, comme bien d’autres auteurs compositeurs interprètes de talents. Je pense à Charlélie et son dernier album Immortel que je n’ai jamais pu recevoir en service de presse, pas plus d’ailleurs que J’ai l’honneur d’être de Brigitte Fontaine.
Je considère cette politique éditoriale comme une censure qui crache à la gueule des médias encore libres. Elle ne s’adresse qu’aux grosses structures médiatiques commerciales à leurs bottes. Donc, je suis le premier désolé pour Charlélie et Brigitte mais aussi pour les lectrices et lecteurs du Mague. Puisque Je suis dans l’impuissance de chroniquer vos albums récents. Il en va aussi de même souvent avec les grands éditeurs. Heureusement que chez Flammarion où est édité le présent ouvrage littéraire de Brigitte, ils me l’ont fait parvenir et je les remercie.

J’y viens, j’y viens à ce fameux livre. Je ne pouvais pas me lancer dans ma critique sans évoquer l’auteur(e) avec un (e) au bout, même si je sais que Brigitte n’apprécie pas la féminisation de certains termes. Je m’en fous, pardi. Encore heureux !
A ma décharge du peloton d’exécution, et pour être franche, c’est le premier livre sur ses 17 déjà publiés, que j’ai lu. Il me sera donc impossible de comparer avec les précédents. Mais, mon enthousiasme vierge est intacte et mon tact me disent que j’ai très envie d’en lire certains à l’énoncé des titres qui me chient à l’oreille : Genre humain (comme le titre de son album), Contes de chats et Portrait de l’artiste en déshabillé de soie.

Les hommes préfèrent les hommes, ça sonne comme le titre d’un film amerloche qui introduit la rivalité entre une femme brune et une blonde ou encore des hommes qui se travestissent en femmes comme dans Certains l’aiment chaud. Il y a de la comédie, du loufoque dans ces histoires, telles que les désignent Brigitte Fontaine. La plus longue en ouverture et celle qui a donné le titre au livre nous cause d’hommes qui aiment les hommes avec des héros aux noms impossibles : Viandox, Pignouf, Papa la Gogotte (terme créole qui désigne la bite).... Ce n’est pas un scoop, Brigitte ne se complait pas dans la norme. Comme dans ses chansons chevillées au corps où les mots incrustent notre subconscient dans un appel aux voyages à ses côtés. Son écriture littéraire se nourrit de ses mondes parallèles et elle se déchaine. Différents registres de la langue cohabitent entre les personnages qui s’en donnent à cœur joie. Comme pour sa noble personne, à laquelle elle donne l’importance à la sape. Ses personnages se différencient aussi par leur manière de déplacer et enluminer leur carcasse. Je passe sur les passages hilarants et ciselés concernant les caractéristiques physiques. « Ninon, malgré son âge frais, perdait ses légumes. Est-ce comme cela que l’on nomme un glissando d’intestins – ce qui n’était pas le cas – ou l’épouvante des gosses qu’on appelle une descente d’organe ? En tout cas, quelque chose descendait de son pubis en cuivre et elle en avait grand peur, c’était comme si un lychee énorme se frayait un chemin dans ses petites parties  ». (page 13) Admirez le style imparable et incomparable de la belle, j’adore, je m’en touche les gougouttes !

On frôle le polar à Paname …. C’est l’histoire de deux hommes faits pour se dégommer les prépuces, qui tombent amoureux l’un de l’autre à grand renfort de corps à corps animés. Les nanas à côté, c’est de la compote. Jusqu’à l’autodérision de ses héros…. Lors d’une manif en faveur du mariage Gay, « Viandox s’insurgea en prenant la voix la plus haute qu’il put : - Ouais, même là, les femmes sont discriminées. C’est la teuhon !
Un mec genre gros viril tatoué lui cria : - Va te faire trouer, broute minou, ça te donnera des couleurs !
 » (page 19). Toute l’histoire est rocambolesque. Nos héros aux pays du froid des Lapons à l’hôtel palace de glace, où la télépathie crache son zèle dans les moments critiques. Des vicaires patibulaires, un prêtre déviant vague curé homosexuel travesti et prostitué, croisent dans les parages entre les pages une certaine Brigitte Hitch Fontaine avec sa basse en bandoulière qui partait au taf. Vous saurez tout sur la petite mort exquise à la lapone… Et le retour au bercail berce les ouailles au doux nom de Bretagne.
Bravo Brigitte pour cet exercice des styles qui se lit d’un trait les zygomatiques parés à virer à l’éclat de rire.
Les quinze histoires qui suivent sont quant à elles très courtes, trop courtes même parfois. J’aurai aimé que Brigitte en délie certaines.

On retrouve certains thèmes chers à Brigitte et son goût immodéré de fumer partout où il lui plait et même une Nuit d’hiver. Le mode de circoncision vu par Brigitte vaut le détour tout en finesse. J’ai adoré l’histoire du médecin gentleman très délicat pratiquant vorace des anesthésies totales sur ses patientes avant de les violer, sauf certaines, cas d’école. La vision écornée de Mouloud pour ses sardines en famille. Est-ce que c’est grave si certaines personnes se permettent de rire de tout ? Aladin has been avec sa femme qui apprécie la compagnie des quarante voleurs. Dans Les brunes préfèrent les blondes, on découvre une Yang Tsé aux cheveux bleus qui a un faible pour une blonde. Clin d’œil non feint au bandeau de couverture du livre où une Brigitte aux cheveux bleus apparait croquée par Enki Bilal. Dans Les sacs, Brigitte s’autorise tout pour notre plus grande joie. Elle termine l’histoire avec une parodie bretonne du poème l’Affiche rouge. Le point de vue de l’interviewée à propos entre autre de Jean-Luc Godard, qualifié de vieux chieur. Prendre l’air et son envol définitif dans Un coma impossible, une fois de plus tout est possible avec Brigitte Fontaine. Le zigue qui essaie de convaincre sa compagne que tout est fini entre eux un beau Matin de la fatalité avec une chute comme je les adore, hum quel délice ! La nouvelle version de Boucle d’or avec sa dégaine incroyable : son plus bel œil de verre, une large jupe en fourrure et des Pataugas. Rien d’autre. Elle avait malgré son jeune âge un rendez-vous galant avec le plus admirateur cerf du quartier et plouf ! Quand je serai grande… non ce n’est pas moi qui le dit mais l’héroïne de Futur. Elle énonce toutes ses tenues et même le gros manteau cintré comme dans La Femme piège de Bilal. Les tickets de restau, ça sert à tout. Brigitte exulte une fin grandiose à ses histoires avec Enki et Miss Fatma Conte de Noël en alexandrins. Une pure merveille de sensualité digne de la belle Fontaine qui se coule des vers si bath !

Variété, variété ces histoires ne se lisent pas au sens de la chansonnette pour bluettes désabusées. Nada ! Les hommes préfèrent les hommes, recueil d’histoires parfois loufoques, parfois tristes et mêmes sensuelles à la pelle vous élargit des sourires et des torpeurs. Ca vous touche à tous les orbites et ça vous clique l’humus du tendre terreau à vous calfeutrer le ciboulot et à vous demander : mais où va-t-elle chercher tout ça ? Macaque bonobo, de toute façon, ça ne nous regarde pas. Elle dit un grand MERDE à tous les nombrilistes sans aucune imagination, ces écrivailleuses et écrivailleurs ternes qui embouchent tous les salons du livre et les médias torves avec leurs jérémiades de la médiocrité.

Merci encore Brigitte pour cette bouffée d’oxygène littéraire et pour ton univers qui donne une bonne claque aux conventions sociales amères et littéraires de bon aloi.

Brigitte Fontaine, Les hommes préfèrent les hommes, histoires, éditions Flammarion, 2014, 142 pages, 17 euros