« Chroniques de résistance » toujours actuelles de Tony Hymas

« Chroniques de résistance » toujours actuelles de Tony Hymas

Le pianiste compositeur militant Tony Hymas bien entouré propose de se replonger dans la résistance, du point de vue des trop souvent oubliés… Les étrangers, Espagnols de la Nueve, les femmes, le maquis du Limousin autour de Georges Guingouin, par les voix de poètes et autres chroniqueurs engagés dans tous les combats de libération, pour se débarrasser définitivement du nazisme en France.
Coup d’éclat pour cet album de 27 morceaux, sur un travail conséquent de grand talent, tant dans les compositions des musiques diverses et riches, avec l’apport de textes bilingues (français / anglais) en soutien. « Hommage à la Catalogne » avait écrit George Orwell. Tony Hymas quant à lui rend un vibrant hommage aux résistant(e)s du passé, du présent et du futur. Histoire aussi aujourd’hui de se tenir debout dans la solidarité et la fraternité et demeurer vigilant(e)s contre toutes les formes des fascismes de la vie quotidienne.

Comme vous l’avez sans doute appris dans les manuels scolaires, c’est le général Charles de Gaulle qui a libéré la France et a failli demander l’aide des chars en 1968 pour mater la rébellion populaire.
Il avait la largesse d’un esprit ouvert et clairvoyant, au point même que certains politiques se réclament encore de son cadavre fumant. Faut dire, droit dans ses bottes, il devait au moins chausser du 46 ou 48, le grand homme. Bien avant le nettoyage au karcher des cités réclamé par le syndrome de Sarko, Charles dans son infinité bonté se contenta de réécrire son histoire, à commencer par une sacrée faculté de blanchiment. Non pas du blanchiment d’argent actuel, à la mode des tripes de chez nous, comme chez tous les grands capitaines des partis, qui ont des responsabilités au nom des suffrages démocratiques qui leurs incombent une vie confortable et respectable. Non, je veux parler du délit de sale gueule concernant les troupes bronzées des tirailleurs sénégalais, afin qu’ils ne libèrent pas Paname, de peur d’effrayer les populations locales trop sensibles. Marine lui en sera à jamais gréé. Ces soldats mécontents de leur solde divisée par deux seront renvoyés chez eux en Afrique et massacrés par les blindés français au camp de Thiaroye au Sénégal.
La France aux français, comme dans le fameux slogan qui refleurit régulièrement en leitmotiv régénérateur des fachos haineux. Ce sont des français de pure souche qui ont libéré Paname, si j’en crois le discours de Charles de Gaulle, le 25 août 1945. Paris « libéré par lui-même, libéré par son peuple, avec le concours des armées de la France toute entière, c’est à dire de la France qui se bat. C’est à dire de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle  ».

C’est forcément oublier bien vite toutes les composantes de la résistance et de l’Armée de la France libre composées de moult étrangers à l’Affiche rouge sang. Sans compter les espagnols de la Nueve qui rentrèrent les premiers dans Paname.
Anarchistes, socialistes, communistes, poumistes, ces Espagnols ne luttaient pas pour un drapeau, mais contre tous les fascismes de Hitler, Franco et Mussolini. La Nueve division de 150 hommes entièrement espagnole de la deuxième DB du général Leclerc (qui comptait 2000 Espagnols), fut à l’avant-garde de tous les combats avec d’ancien de la colonne Durruti tels Miguel Campos ou Fermin Pujol, des plages du débarquement de Normandie jusqu’au Nid d’Aigle de Berchtesgaden … (page32)

En 2015, retentit enfin cette autre vérité dans le livre CD que je brandis comme un poing, au nom justement de ces valeureux étrangers et de toutes et tous les résistant(e)s par trop absent(e)s du roman de libération, qui luttèrent de toutes leurs forces contre le nazisme et pour la libération de la France. On le doit entres autres à Tony Hymas musicien et compositeur pianiste militant et Jean Rochard créateur des disques Nato.

Ces 27 fragments dédiés aux résistant(e)s de toujours ont été conçus sur le plateau de Millevaches, (bastion des maquisards durant la seconde guerre mondiale), lors d’un spectacle donné en août 2013 au festival de jazz Kind of Belou à Treignac en Corrèze.
Je les considère comme un hymne à l’amour et à la fraternité en hommage à « Des femmes, hommes et enfants, français et immigrés sans caution, sans modèle, s’insurgèrent devant l’insupportable au péril de leur vie et, pour bien des survivants, de leurs rêves d’un monde meilleur. Un monde où l’on aimerait dire « Je t’aime plus que tout  ». (Jean Rochard in Chroniques de résistance, page 7)

Quelques mots à propos de Tony Hymas : http://www.natomusic.fr/artisans/jazz/artisans-detail.php?id=73 Ca ne va pas être facile d’être bref, tant le sacré bonhomme est multiforme. Je vais forcément effectuer des omissions, qu’il m’en excuse !
De formation classique, il étudie le piano. Il exerce tour à tour le métier de musicien de studio, musicien, producteur, arrangeur et compositeur. Il accompagne en créations le guitariste Jeff Beck sur 6 disques. Il croise sur son chemin Frank Sinatra, Stanley Clarke (parmi les plus connus). Il interprète Brahms, Beethoven, Debussy, Prokofiev…. Il compose des partoches symphoniques…. On le retrouve pianiste virtuose sous les notes bleues de Jacques Thollot avec, Hélène Labarrière et même John McLaughlin…. Il fonde le groupe rock The lonely Bears  : http://www.natomusic.fr/artisans/jazz/artisans-detail.php?id=74 avec notamment Terry Bozzio le célèbre batteur qui fit craquer de plaisirs musicaux le très regretté Frank Zappa ! Il compose aussi des musiques de films… Il improvise avec Bernard Lubat et d’autres musiciens de sa trempe…. Il rend un hommage à 12 chefs amérindiens, participe aussi à un album dédié à Durutti http://www.natomusic.fr/catalogue/musique-jazz/cd/nato-disque.php?id=119. En 2010, il enregistre : « De l’origine du monde » dédiée à Courbet et à la Commune de Paris : http://www.natomusic.fr/catalogue/musique-jazz/cd/nato-disque.php?id=272 .

On retrouve dans sa production musicale, l’éventail des sympathiques canailles qui brisent les tabous des normes dans des musiques éclectiques et très engagées, un peu dans le même esprit du Liberation Music Orchestra de Charlie Haden et Carla Bley des années 70. Salut à ce cher Charlie Haden qui vient de nous quitter cette année et fraternité.

Dernièrement je discutais avec mon ami Philou, pianiste compositeur interprète professionnel qui avait accompagné au piano Anna Prucnal lorsqu’elle chantait Brecht sur des compositions d’Eisler et Weill. Il m’arrive de percevoir certains accents musicaux proches de cet univers dans cet album. Selon des partitions de Tony Hymas sophistiquées et donc forcément interprétées par des musiciens virtuoses comme lui.

Mais n’allez pas imaginer que Tony Hymas travaille seul et que cet album ne repose que sur les touches de son piano. Ce serait aller un peu vite en besogne et ignorer son esprit foncièrement collectif dans toutes ses œuvres.
C’est aussi l’écho des mots concernant des personnes actives dans la résistance qui induisent la charge émotionnelle de ses musiques et de la grande humanité du bonhomme qui la compose et la met en actes.

Le livret bilingue (français / anglais) de 148 pages donne la part belle à des textes forts (lettres, poèmes, paroles de chansons…), mais aussi à des illustrations d’époques (photos) ou œuvres plastiques autour d’une équipe soudée de musiciens, comédiens chanteurs interprètes (au féminin comme au masculin)…

Avec à la voix Nathalie Richard, Frédéric Pierrot, Elsa Birgé, Desdamona, également chanteuses et les musiciens autour de Tony Hymas, ceux du trio Journal intime : Sylvain Bardiau trompettiste, Frédéric Gastard saxophoniste et basse, Mathias Mahler trombone, François Corneloup saxo baryton et le batteur Peter Henig. Avec des illustrations de Vincent Bailly, Daniel Cacouault, Sylvie Fontaine, Stéphane Levallois, Jeanne Puchol, Vaccaro. (J’espère sincèrement n’avoir oublié personne et n’avoir écorché aucun nom !)

On entre de plain-pied dans une chronique de « Demain » pour finir dans un « Autre demain ». Entre les deux, la richesse des textes scande des notes et des intonations qui nous touchent aux tripes.

Je ne peux pas hélas évoquer tous les textes fragments dédiés aux résistants du passé, du présent et du futur, contenus dans cet album. Ce serait un trop vaste domaine d’investigation. Ce que je peux dire en revanche, c’est qu’aucun ne m’a laissé indifférente et que j’ai dû opérer un choix drastique, en fonction bien entendu de mes humeurs déclarées du moment.

L’album s’ouvre sur les deux poètes en résistance Robert Desnos et René Char dans l’action d’écrire ce qu’ils vivent et ressentent.
Ce n’est pas la poésie qui doit être libre, c’est le poète. (Robert Desnos)

Le philosophe John Holloway depuis le Mexique en 2013 rédige sa Lettre aux héros de la Résistance française.
Vos noms changent, vous n’êtes plus seulement Jean et Marie, mais désormais Ahmed et Leïla et Eloina et Katherina et Bandile et Yun et Sabu et Hans et tant d’autres de plus en plus et de plus en plus.

Je suis à peine étonnée de retrouver la griffe toujours aussi militante de Serge Utgé-Royo sur ses propres paroles en hommage à Ponzàn militant anarchiste espagnol en accord avec ses actes, avec la devise de Durruti : La liberté ou la mort.

La Nueve est forcément aussi évoquée. C’étaient des individualistes, des idéalistes, vaillants, qui firent preuve d’un courage insensé. Ils n’avaient pas l’esprit militaire, ils étaient même antimilitaristes, mais tous étaient de magnifiques soldats. Ils ont embrassé notre cause parce que c’était la cause de la liberté. (Raymond Dronne) Sur une mélodie inspirée en partie par El paso del ebro chanson populaire de la Colonne Durruti durant la guerre d’Espagne.

Comment ne pas évoquer Buenaventura Durutti qui fut assassiné par le bras vengeur de Staline lors de la défense de Madrid en novembre 1936, mais dont l’œuvre révolutionnaire perdura ! Même si en février et mars 1939 lors de la Retirada : 500 000 Espagnols fuyant l’avancée des franquistes se réfugièrent en France par les Pyrénées. Parmi lesquels : 264 000 seront internés dans les camps de concentration, dont au moins 7500 seront déportés à Mauthausen par les nazis. Au moins 12 000 réfugiés de la Colonne Durutti ont été enfermés en 1939 au camp du Vernet en Ariège. Les autorités françaises les traitèrent comme la chienlit et leur refusèrent le droit de se battre contre les nazis dès l’entrée en guerre. Les compagnons de Durrutti rejoignirent les maquis. Leur but ultime fut de retourner en Espagne. Foi d’anarchistes, le fascisme en Europe ne sera jamais totalement éradiqué tant que Franco sera au pouvoir. Un autre général des Gaules, celui-là, en décidera autrement…. Tout comme avant lui, le Front Populaire en France ne prêta aucun soutien à la révolution espagnole….

On peut reconnaitre dans la bande son un fameux arrangement musical de El cant dels ocells, chanson populaire catalane devenue grâce à Pablo Casals une chanson des réfugiés espagnols en France.

Cet album n’aurait jamais vu le jour sans le soutien énergique de Jean Rochard et du festival de jazz Kind of Belou à Treignac dans la région limousine où il ne pousse pas que des bagnoles de luxe comme à Cadillac en Gironde ! (Désolée pour ce jeu de mots emberlificotés qui prouve encore une fois que la création libre et militante ne se situe pas seulement à Paname… Mais dans les hauts lieux de la résistance, encore une fois ! Je referme la parenthèse).

Cet album pourrait être dédié à Georges Guingouin instituteur communiste figure héroïque de cette région et maquisard de la première heure, sans attendre la rupture du pacte germano-soviétique. Il fut stigmatisé par les cocos pures souches staliniennes de « fou qui vit dans les bois  ». Et après la guerre, au nom de sa liberté d’action hors des carcans politiques convenus, du PC à la SFIO jusqu’à la police de Vichy ayant virée sa cuti sous l’uniforme du Général, ils voudront tous lui faire la peau… Etonnant non ?
Autour de lui il y a eu aussi Henri Nanot jeune paysan qui a écrit « Scènes de la vie du maquis », dont on retrouve un extrait poignant de la réalité au quotidien. Il a clamé son combat pour la libération de l’Algérie du pouvoir colonial français, au nom comme toujours chez lui d’un « amour fou de la liberté ». Il le payera cher et sera voué à la calomnie jusqu’à son emprisonnement et sa mort à l’hôpital psychiatrique de Limoges en 1962. Quel gâchis manifeste encore une fois !
Des jeunes apprentis paysans et jeunes travailleurs du lycée Gay-Lussac de Limoges entreront aussi en résistance à leur façon très courageuse et rebelle.

Je passe sur les massacres opérés par la Division Das Reich les 9 et 10 juin 1944 dont celui d’Oradour-sur-Glane pour terroriser les populations et incriminer les résistants. Ces assassins en uniforme ne seront jamais inquiétés pour leur actes de barbarie en ex RFA sauf en ex RDA !
Je ne sais plus quel président récent a jacté : plus jamais ça, d’un air si sérieux qui sentait le sapin de commisération … C’est oublier la mort de Rémi Fresse et les autres massacres perpétrés au nom de la Raison d’Etat partout dans le monde à Wounded Knee, Maillé, My Lai, Sabra et Chatila, Sebrenicia et sous le pouvoir colonial français en Algérie à Sétif, Guelma et Kherrata..... Sans compter les retombées radioactives dans le Pacifique de la bombe …

Une place importante est accordée aux femmes, les bien trop souvent oubliées !!!! Suzy Chevet, cette instit à graine d’ananar organisatrice d’une filière d’évasion à Jersey occupée. Celle qui devint la compagne du célèbre militant anarchiste Maurice Joyeux de la fédération anarchiste qui fête à l’instant les 60 ans de sa presse : Le monde libertaire.
Marianne Cohn juive allemande qui prit part à l’action clandestine de sauvetage d’enfants juifs et qui finira assassinée à coups de pelle et de bêche par la Gestapo à l’âge de 21 ans. On ne présente plus Germaine Tillion qui résista en tant que déportée à Ravensbrück en concevant en secret une opérette satyrique sur les airs des classiques. Quel force humaine encore une fois chez toutes ces femmes !

Les étrangers ne sont surtout pas oubliés. J’en ai déjà parlé. Entre les tirailleurs marocains, les antifascistes allemands entrés dans le maquis et la M.O.I. (main d’œuvre immigrée) évoquée avec le brio que l’on sait par le poète Aragon. Olga Bancic du groupe Manouchian aura la tête tranchée à Stuttgart le 10 mai 1944, le jour de ses 32 ans. Les nazis avaient pris un certain plaisir dans l’affichage d’exécutions publiques, avec la mise à mort des femmes, pour marquer encore plus fort les esprits.

Nos frangines et frangins, cousins et cousines des Antilles se mutinèrent contre le pouvoir colonial qui avait rallié Vichy. Certain(e)s embarquèrent même pour la France et s’engagèrent dans la résistance. C’est seulement en 2009 que leur rôle dans la résistance fut enfin reconnue !

Heureuse également de retrouver Maurice Rajsfus, le célèbre historien chroniqueur au Monde libertaire sur tous les fronts qui touchent la police. Ses parents ne reviendront jamais d’Auschwitz. Enfant, il réchappa de peu à la rafle du Vel d’Hiv.
Il est l’un des visionnaires qui n’oubliera jamais le gommage de la honte collaborationniste, les étrangers oubliés à dessein colonial, l’enfer des déportés, la trahison des idéaux des résistants.... A lui tout seul, mais aussi en compagnie de toutes les personnes qui ont participé à ce travail faramineux de mémoire en musiques autour de Tony Hymas, il exprime le leitmotiv de cet album. Cette dédicace fraternelle et sincère aux résistant(e)s du passé, du présent et du futur.

Cette œuvre foisonnante de Tony Hymas et de toutes les personnes qui ont participé à cette si riche création s’achève sur la question primordiale qui doit nous convaincre de toujours agir : Un autre futur est-il encore possible ? : « Un autre demain  » poème de Alfred Cat, Nathalie Richard, Desdamona et Frédéric Pierrot (français / anglais).
« Voulons-nous, pourrons-nous vivre demain ? »

Un autre futur est possible, il ne tient qu’à nous de nous battre en gardant en mémoire les résistances des Espagnols, de la région limousine, des Etrangers, des Femmes et de toutes les forces vives présentes dans cet album grâce à Tony Hymas et toute sa fervente équipe bien vivante et motivée.
Un grand merci aussi pour cette publication à toute l’équipe de Nato, sans laquelle rien n’aurait été possible.

Tony Hymas : Chroniques de résistance… Suite de 27 fragments dédiée aux résistants du passé, du présent et du futur, une publication chez Nato, distribution par l’Autre Distribution, septembre 2014