Engore engore « Alleluia », j’adore !

Engore engore « Alleluia », j'adore !

Ce second long métrage de Fabrice Du Welz ne peut pas laisser indifférent. C’est l’histoire d’un couple, interprété par le fameux duo d’acteurs : Lola Duenas et Laurent Lucas qui basculent dans la tragédie meurtrière.
Une équipe de tournage soudée. Des images d’une stupéfiante beauté sensuelle et sanguinaire nous touchent et nous percutent. Des paysages ardennais comme les seconds personnages du film. Une musique envoutante. Des actrices et des acteurs qui tiennent à la perfection leur rôle souvent très difficile. La mayonnaise prend et nous envoûte de la première à la dernière seconde. Je vous recommande chaleureusement ce film. « Alleluia » mes fragines et mes frangins cinéphiles !

Allergique à l’hémoglobine qui gicle sur l’écran par moment, si la vue du sang vous turlupine à jaillir vos tripes sur la tête d’une ou un autre spectateur qui partage votre goût pour les salles obscures, ce film n’est pas pour vous. Vous en sortiriez avec des sueurs froides et des boutons.
Alors que « Massacre à la tronçonneuse  » (1974) est à peine ressorti (distribué par Carlotta Films), Fabrice du Weltz le réalisateur de « Alleluia » avoue que ce film a servi de détonateur à sa passion du cinéma. Etonnant non ? A peine, ou pas vraiment ! Il s’en explique parfaitement. «  C’est un film décrié dont on a souvent une opinion fausse. Beaucoup de gens pensent qu’il est sanglant, alors que beaucoup de choses se passent hors champ. Tout est suggéré. Il m’a donné une envie viscérale de faire du cinéma  ».

Présentement, « Alleluia  » s’inspire d’un fait réel qui défraya aux USA les chroniques judiciaires et les carnets des fouille-merdes pas tentés. Même si comme moi, il se pourrait bien que vous ne soyez jamais nés dans les années 40, il n’empêche : Martha Beck infirmière et Raymond Fernandez gigolo des veuves se sont rencontrés par le courrier du cœur. Ils ont convolé l’opération du tarissement de moult palpitants durant deux ans, en faisant couler beaucoup de sang… On les avait surnommés les Tueurs de la lune de miel. Plusieurs cinéastes se sont essayés à les mettre en scène, avec plus ou moins de succès d’estime. Je pense au réalisateur Kastle Leonard (1970) en noir et blanc. Quel gageur ! Arturo Ripstein en 1996 sortit son Profundo Carmesi. Mais sans doute plus proche de l’affaire, en 2007 Todd Robinson, fiston du policier qui avait mené l’enquête sur le couple de tueurs, évoqua la traque menée par son père dans Lonely hearts.

Pas facile alors pour Fabrice du Weltz de se démarquer de ses aînés ! Et pourtant, il s’en tire très bien. Il réécrit à sa manière l’histoire des deux héros sanguinaires et les plonge au cœur de la forêt ardennaise, de ses bourgs et contrées uniques que le Bartos connait de par ses origines ardennaises franchouillardes.
Retour au bercail pour Fabrice et retour aussi en francophonie belge pour Laurent Lucas expatrié chez nos cousins du Québec. Dix ans après Calvaire, le précédent film de Fabrice du Weltz, Laurent Lucas y tenait le rôle principal, celui d’un chanteur itinérant qui tombait en panne entre les pattes d’un aubergiste pervers et sadique.
Autant en emporte le vent charnel de son cinéma qu’il ouvre cette fois à un couple fusionnel et passionnel : Laurent Lucas (Michel) et Lola Duenas (Gloria) égérie montante qui a sévit avec force chez Almodovar pour notre plus grand plaisir, avec humour et retenue. Même si ces deux-là ont failli répondre absent à l’écran, puisque Yolande Moreau, la célèbre actrice belge aux yeux de braise était appelée à se présenter. Mais, sans doute trop pudique, elle a décliné l’offre. (Ce qui n’est pas de ma part un jugement de valeur, puisque je respecte dans son intégralité cette actrice que j’apprécie beaucoup depuis qu’elle a quitté l’équipe des Deschiens qui me faisait aboyer à l’imposture d’un humour auquel mon sourire gercé répondait en montrant les dents). Là, en revanche, c’est un jugement de valeur marqué, j’avoue ! Béatrice Dalle a aussi été supputée. Mais encore une fois, nada. Tant mieux je dirai…. Elle nous avait déjà gratifié de sa force carnivore en 2001 dans Trouble Every Day de Claire Denis et je pense qu’elle n’aurait jamais eu la finesse et le cran de la belle espagnole Lola Duenas, parfaite dans le rôle pourtant très difficile à assumer. Enfin pour clore ce chapitre des refusés ou qui ont été refusés, la nuance est de toute première importance comme on va le voir plus bas, il faut évoquer le charmant Bouli Lanners qui m’avait chavirée dans Lulu femme nue (2014) de Solveig Anspach.

Je ressens chez Fabrice du Weltz une volonté de porter un grand respect envers ses actrices et acteurs qu’il a choisis pour incarner ses personnages si branques et pourtant si naturels, qui peuvent aussi dans un état de désarroi un jour nous ressembler. Il exprime son immense respect pour Laurent Lucas, je pense le seul et unique qui a pu jouer ce rôle dans Alleluia.
« Tous les autres acteurs que j’ai approchés ont refusé le rôle parce qu’ils ne parvenaient pas à se projeter dans le personnage de Michel, veule et lâche. Laurent ne s’est pas pausé la question. Il n’a pas hésité une seconde. C’est un acteur qui aime les challenges. J’aime le trouble qu’il véhicule dans Alleluia. Il est impressionnant. Il parvient à être à la fois ambigu, drôle, effrayant, sensuel et perdu. Il a une haute conception de son métier. Il ne chercha pas à faire carrière. Je le situe quelque part entre Willem Dafoe et Martin Landau. C’est un acteur qui est libre. Il ne juge pas son personnage. Ce qui est rare. J’ai un immense respect pour lui  ». (Fabrice du Weltz)

Vu de mon fauteuil de spectatrice attentive, tous ces compliments sont humblement mérités. Encore bravo Laurent Lucas pour sa prestation et pour sa force de l’acteur de savoir se mettre en danger. Il nous avait déjà habitué mais pas à ce point-là. Il s’est surpassé.
Bon, je pense que vous vous dites à ce moment précis de la lecture de ma chronique, c’est bien beau toutes ces considérations…. Et l’histoire précise que nous raconte Fabrice du Weltz, c’est quoi au juste ? Je vous sens nerveux à vouloir me faire cracher le morceau. Youpi ! J’écoute en ce moment Joue pas avec mes nerfs de François Béranger. Ca m’inspire (rires). Fini la récréation de la provo et au boulot ! Au secours…. C’est encore le Bartos qui me pousse à écrire…

Gloria (l’épatante et troublante Lola Duenas) délaissée par son mari vit seule et élève sa fille. Un jour en manque d’amour, elle contacte Michel (l’époustouflant Laurent Lucas) en répondant à une annonce d’un site de rencontre. Elle exerce le métier de nettoyer les morts à la morgue pour les rendre présentables. Michel est gigolo de profession et escroc, extorqueur de fonds chez ses naïves victimes féminines. Il se réclame de l’arnaque à la veuve. Michel a déjà derrière lui une sacrée formation entre les cuisses de sa maman où il appris tous les recours au plaisir qu’une femme est en droit d’attendre d’un homme bien intentionné et doué de tous les pores de son corps. Autrement dit, il est très compétent, c’est un excellent coup. Gloria découvre la supercherie du bonhomme, mais follement amoureuse accepte son rôle. Gloria se fait passer pour sa sœur. Sauf que la sœur possessive pète les plombs et folle de jalousie va jusqu’à tuer et effeuiller la Marguerite en morceau et au couteau. Faut qu’ça saigne chantait Boris Vian dans un autre contexte guerrier, on n’est pas très éloigné non plus du Tango de bouchers de la Villette, avec un léger décalage géographique. De plus, de par son métier, Gloria, s’y connait en cadavres exquis et on ne lui fait pas la leçon de chose. Parbleu !

On savait déjà que chez les surréalistes L’amour fou, ça pouvait rendre timbré. Mais de là à transmuter tous les codes du genre amoureux, Fabrice du Weltz s’en donne à cœur joie. Sans jamais aucune vulgarité. Les scènes d’amour entre Michel et Gloria, Michel et ses victimes, des femmes portées à maturité qui ressemblaient peut-être à sa daronne frisent l’esthétisme d’une image très travaillée. Une fois débitées en morceaux de choix et forcément dépitées de ce qui leur arrive par la main vengeuse de Gloria, la bien nommée, ces femmes se liquéfient, se vident de leur sang et Michel sombre entre deux maux de tête entre les seins soyeux de Gloria. Gloire, gloire à Gloria qui revêt son amour absolu et résolu à ne jamais partager le corps de son amoureux. Au point même que lorsque celui-ci tombe aux mains d’une créature enchanteresse (Helena Noguerra), il va jusqu’à chercher un subterfuge pour taire la passion assassine de sa Gloria. Je ne vous en dis pas plus, sinon à quoi bon voir le film.

On n’est pas dans le meurtre organisé. Seules les victimes sont triées sur le tas en fonction de la richesse qu’elles peuvent apporter au couple. Les actes de tuerie sont imprévisibles. Gloria ne peut pas contrôler ses pulsions de mort à l’égard des femmes, qui pourraient représenter une ombre à son tableau idyllique du couple qu’elle forme avec Michel. On déraisonne la fougue sensuelle. Il est une scène où Gloria et Michel dansent nus dehors près d’un feu. Les flammes lèchent leur corps et rougeoient comme du sang à leur peau dans une étreinte effrénée.
En plus du jeu de toutes les actrices et acteurs parfait(e)s, Fabrice du Weltz, esthète de l’image léchée aime caresser le grain de peau de ses personnages jusqu’au très fond de leurs regards en gros plans. Et comme pour s’adjoindre une contrainte supplémentaire, il a tourné sur un support péloche en 16 mm. Ce qui traduit plus selon lui « la beauté d’âme ». Je souscris et j’applaudis. Et pour couronner le talent de Fabrice du Weltz et de toute son équipe, il est mélomane ! Il a retrouvé le compositeur Vincent Cahay qui s’était déjà illustré au piano dans Calvaire. « On lui a demandé une maquette. Il est arrivé avec une version plus féminine de ce thème, quelque chose proche de Philp Glass, avec des sonorités années 80. C’est un thème très précis, avec une vraie dimension. Il m’a déjà donné énormément de matière  ». Et quand le son embrase l’image au corps à corps des personnages, ce sont tous nos sens qui entrent en effervescence. Nos regards choqués parfois enlacent les soubresauts du sang qui gicle à la figure des héros malgré eux, pris dans l’engrenage de leur amour fou.

Sujet pour le moins extrêmement ardu à traiter à l’écran, sans tomber dans le pathos et le voyeurisme effrénés. Rappelez-vous les mots de Fabrice du Weltz au début de ma chronique pour couper court à tous les moralistes détracteurs, critiques bobos parigots et coincés du zob, à propos de Massacre à la tronçonneuse. Je le cite à nouveau : beaucoup de choses se passent hors champ. Fabrice du Weltz fonctionne aussi sur ce principe pour son Alleluia.

Si j’ai intitulé ma chronique « engore » par ce mauvais jeu de mot, c’était aussi pour que vous découvriez que derrière le vernis du sang qui coagule à certaines scènes, le réalisateur du film est un homme doué de raison et du sens de l’image. Son film s’en ressent et forcément d’une manière ou d’une autre nous bouleverse selon notre degré de sensiblerie. Il frôle les marques du fantastique. Ce qui augure encore d’autres divines surprises si agréables à ressentir à travers son cinéma d’auteur, qui porte haut et fort la couleur rouge comme une frayeur.

Encore chapeau à toute l’équipe du tournage et à toutes les comédiennes et comédiens qui portent le film à son apothéose, comme un grand tout du cinéma accompli. Il mérite d’être applaudi et qu’on s’exprime à son sujet sur tous les registres de cette œuvre courageuse et forcément dérangeante. Et tant mieux !

Bonne continuation à Fabrice du Weltz. Je lui souhaite qu’il persévère tant et plus à toujours nous bouleverser, nous chambouler l’esprit par la vision de ses images cinématographiques. Qu’il suggère à la sagacité de notre imagination fertile de le suivre toujours plus loin encore.

Alleluia de Fabrice Du Welz, 2014, Belgique / France, couleurs, 90 minutes, distribué par Carlotta Films sur tous les écrans blancs de vos nuits blanches à partir du 26 novembre 2014