Interview de Nicolas Moineau, Champion du Monde d’escalade, catégorie déficient visuel

Interview de Nicolas Moineau, Champion du Monde d'escalade, catégorie déficient visuel

« Si je pars grimper plusieurs jours, je dors au pied de la falaise »

Nicolas Moineau était un illustre inconnu dans le domaine de l’escalade il y a encore quelques années. Kinésithérapeute à Cahors, papa d’un petit garçon de six ans, musicien à ses heures, rien ne le différenciait des autres habitants à un détail près : Nicolas est aveugle.

Suite à une maladie dégénérative qui lui a fait perdre progressivement la vue, cet hyperactif continue de pratiquer assidûment l’escalade et finit par se faire remarquer par l’équipe de France de handisport. Le voilà fraîchement sélectionné pour sa première compétition en 2012 à Bercy aux championnats du monde...où il décroche l’or ! La France se découvre un nouveau champion. Deux ans plus tard, à l’heure des nouveaux mondiaux, Nicolas Moineau remet en jeu sa médaille et repart avec une deuxième place pour la France. Toujours accompagné par son chien Dougy, il nous livre ici les impressions de sa dernière bataille, tout sourire.

Deux ans après ta première place aux championnats du monde, tu reviens de nouveau avec une médaille pour la France, en argent cette fois-ci. Comment s’est passé ta compétition en Espagne à Gijón ?

Sur le plan purement pratique, tout c’est plutôt bien passé. Gijón est une ville agréable, nous étions bien situés par rapport aux lieux de la compétition et proches des quartiers sympathiques de la ville. Ça peut paraître futile, mais dans mon cas, c’est important de prendre des repères et d’acquérir rapidement une certaine autonomie, surtout dans des endroits nouveaux. J’avais également pas mal d’occasions de sortir mon chien dans des parcs et autres. Il est hyper sensible au stress et, en général, les compétitions sont un cauchemar pour lui. J’ai donc pu le préserver de ce stress. C’était presque des vacances pour lui. Sur le plan sportif, je suis un peu déçu par ma prestation en finale. J’ai un nouveau concurrent japonais - Koichiro Kobayash – qui, depuis, est rentré dans ma catégorie et qui a gagné l’or cette année. Il est fort, peut-être pas plus que moi. En revanche , il doit avoir une entente absolument parfaite avec son guide (ndlr : les déficients visuels grimpent en compétition avec l’aide d’un guide et d’un système oreillette/talkie-walkie pour se diriger sur la paroi). D’après ce qu’on m’a dit, il cherche très peu ses prises. Les japonais ne se déplacent que pour les championnats du monde. Le prochain rendez-vous avec lui sera donc à Bercy en 2016. D’ici là il va y avoir du boulot si je veux aller le chercher dans deux ans.


Est-ce que tu peux nous parler de la différence entre ta pratique et celle d’une personne qui n’a pas ton handicap ?

J’ai adapté progressivement ma pratique alors que ma vue baissait. Ce qui manque à une personne aveugle, c’est l’anticipation, et donc, le rythme et la vitesse d’exécution. Et pour pallier à ça, il faut pouvoir serrer les prises longtemps pour avoir le temps de trouver la suivante avec la main qui reste libre. Pour les prises de pieds, c’est différent. Il faut garder en mémoire ce qu’on a eu sous les mains pour pouvoir s’en souvenir plus tard au moment où ces prises seront au niveau des pieds. Pour éviter d’avoir à chercher les prises de pieds, une autre adaptation consiste à monter assez haut les pieds pour gagner du temps. Pour ce point précis, il faut travailler la souplesse. Donc, pour grimper sans voir, le feeling ne suffit pas. Il faut être surtout endurant, souple et pas trop douillet, car les petits bobos sont assez fréquents. Pour la grimpe en salle et en compétition, c’est pareil sauf que là, on a un guide qui nous aide à anticiper. Il faut savoir qu’en compétition, on grimpe dans une voie qu’on ne connaît pas, c’est en général au-dessus de notre niveau et nous n’avons qu’un seul essai. Si on tombe, c’est fini. Si on tombe, c’est la chute, mais si on chute, c’est la tombe (rire)

Quels sont les différents types de handicaps avec lesquels l’équipe de France d’Handi- Grimpe s’est-elle présentés ? ¨Peux-tu nous présenter ta catégorie ?

Il y a principalement trois grandes catégories : les déficients visuels, les déficients physiques et neurologiques et les amputés. La difficulté étant d’avoir assez de pratiquants pour constituer des catégories homogènes en terme de niveau d’incapacité. Par exemple la catégorie Déficience Physique et Neurologique regroupe des grimpeurs porteurs de déficiences très variées. En escalade, elle est donc divisée en deux selon le taux de handicap. Pour ma catégorie c’est le même principe. Grossièrement il y a ceux qui ne voient rien ou presque et l’autre catégorie dans laquelle les grimpeurs peuvent se déplacer sans canne blanche ou sans aide. Et pour être sûrs d’avoir tous les mêmes chances, il est question de faire porter un bandeau aux grimpeurs de ma catégorie.
Pour les championnats du monde, il y avait six catégories constituées. Les autres n’ont pas été ouvertes par manque de participants. Le paraclimbing est encore en plein développement, c’est une discipline toute neuve qui gagnerait à être un peu médiatisée et à se professionnaliser.



Est-ce que ton titre de champion du monde voilà deux ans a changé ton quotidien ?

Avant mon titre de champion du monde à Bercy il y a 2 ans, l’escalade prenait déjà une place importante dans ma vie. Pas mal de choses ont changé tout de même. L’année est rythmée par la saison des compétitions, grâce à l’entraînement planifié et aux efforts plus importants, mon niveau à pas mal augmenté. Je suis amené à communiquer régulièrement sur ma pratique (c’est la rançon de la gloire, il faut rendre des comptes aux sponsors). J’ai l’impression que l’année est maintenant divisée en phases bien différentes les unes des autres en terme de volume d’entraînement, d’habitudes alimentaires, de sollicitations médiatiques... Et ça influe pas mal sur le boulot et la vie de famille.



Est-ce qu’on peut vivre de l’escalade, financièrement ?

Vivre de l’escalade haut niveau est déjà difficile pour les valides. Les grimpeurs valides qui vivent de ce sport sont rares et ça ne dure pas en général. Après, il y a tous les Brevets d’État. Les moniteurs vivent de l’escalade, c’est plus la pédagogie que le haut niveau mais ils en vivent quand même. Mathieu Besnard, qui fait partie de mon équipe et qui est champion du monde chez les déficients physiques et neurologiques est aussi moniteur d’escalade. On peut donc dire qu’il en vit. Après, il ne faut pas compter sur les sponsors et les primes de compétitions pour payer son loyer à la fin du mois. Mais bon ce n’est pas le but non plus, et je souligne au passage qu’un grand pas a été franchi en 2 ans. Pour ma médaille d’argent aux mondiaux de Gijon, j’ai touché une prime qui n’est pas ridicule et c’est une première. J’espère que le paraclimbing saura rester bon esprit et sans magouilles malgré l’arrivée des récompenses financières.




Depuis quand pratiques-tu l’escalade ? Comment on passe du stade d’amateur à celui de compétiteur ?

Je grimpe plus ou moins assidûment depuis une vingtaine d’années. Dans mon cas, je suis passé à la compétition tout simplement avec l’apparition des compétitions paraclimbing. Je n’ai pas participé aux toutes premières parce que je n’en connaissais même pas l’existence. Pour les mondiaux de Bercy en 2012, il a été décidé de constituer une équipe de France et j’ai été contacté pour participer aux sélectifs.

Pour les novices, quels sont les ’stars’ du moment dans le milieu de l’escalade et pourquoi ? As-tu une préférence pour l’un d’entre eux (et pourquoi) ?

Évidemment, il y a Adam Ondra, un jeune Tchèque. Il est une énigme à lui tout seul. Il défie toutes les idées qu’on se fait sur l’entraînement et la spécialisation dans telle ou telle discipline. Il fait des choses en falaise que personne ne fait, cette année il a été champion du monde de bloc et de difficulté (deux disciplines aussi différentes que le 100m et le marathon). Maintenant, la relève arrive, il y a des gamins qui font des choses extrêmement difficiles comme Myrco Caballero qui fait 8b+ bloc à 12 ans. J’ai aussi pas mal d’admiration pour la longévité en escalade. J’ai un pote François, qui, à plus de 50 ans fait encore des voies en falaise de niveau 8c et dans un état d’esprit toujours aussi frais. Certes, ce n’est pas une star, mais je l’admire quand même.



L’escalade est-elle un sport extrême selon toi ?

Tout dépend de ce qu’on entend par sport extrême. Si extrême veut dire dangereux, alors il y a plein de façons de pratiquer, dont certaines sont extrêmes. Le solo (escalade sans aucun moyen de protection) est une pratique extrême à mon avis et heureusement peu répandue. L’escalade en falaise avec des moyens de protections classiques, est un sport sans risques. Je pense que le rugby qui n’est pas perçu comme un sport extrême est beaucoup plus dangereux que l’escalade.

Est-ce qu’on peut se mettre à l’escalade à tout âge selon toi ? A qui ce sport s’adresse- t-il ?

L’escalade peut prendre des formes variées et tout le monde peut y trouver son compte. L’apparition des salles d’escalade en milieu urbain a énormément démocratisé ce sport. Les puristes diront que ce n’est pas vraiment de l’escalade, mais bon, l’essentiel, c’est que les pratiquants se fassent plaisir. Donc, à tout âge, oui, tout dépend de l’objectif qu’on se fixe.

Dans le milieu de l’escalade, on a le sentiment que la grimpe c’est plus qu’un sport mais une façon de vivre ?

C’est une activité qui, quand elle est pratiquée avec passion et en milieu naturel, peut prendre pas mal de temps et de place dans une vie. Ça peut effectivement donner l’impression que les grimpeurs ne vivent que pour ça. C’est vrai que si je pars grimper plusieurs jours, en général on dort quasiment au pied de la falaise. Il y a aussi des grimpeurs de salle qui pratiquent l’escalade comme s ils allaient faire un tennis. Il y en a pour tous les goûts.


ps : Nicolas Moineau est Champion du Monde d’escalade, catégorie déficient visuel (paraclimbing). Médaille d’or 2012, médaille d’argent (septembre) 2014

Nicolas Moineau en quelques victoires :

- Vice-champion du Monde à Gijon en 2014

- Champion du Monde à Bercy en 2012

- Championnats d’Europe à Chamonix en 2013

- Vainqueur de la paraclimbing cup de Londres 2013

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