Daniel Gapin, artiste engagé fraternel humaniste et naturiste ! (1)

Daniel Gapin, artiste engagé fraternel humaniste et naturiste ! (1)

Difficile d’interviewer Daniel Gapin, tant la palette de ses talents d’infatigable militant l’électrisent dans un enthousiasme communicatif. D’où cette interview fleuve en deux parties où je vous propose de découvrir le sacré bonhomme qui crèche à l’année dans un grand centre naturiste dans le Médoc.
A la fois communiste, chrétien, franc-maçon, naturiste et artiste, j’avoue que le mélange, pour le moins hétéroclite des genres, avait de quoi m’attirer, pardi !
Dans cette première partie, Daniel expose son militantisme au parti communiste, son amour du Christ, ses combats d’hier et d’aujourd’hui dans le Médoc et ailleurs, puis sa recherche de la lumière sur les rives de son engagement à la franc-maçonnerie.

Le Mague : Tout d’abord, Daniel, je voulais savoir quel a été le déclic de ton engagement politique au sein du parti communiste ?

Daniel Gapin : Sur mon engagement avec le PCF, cela provient des luttes contre la guerre d’Algérie, de l’influence de mon frère ainé Philippe qui a été un responsable de la JC (jeunesse communiste), lui-même influencé lors de son passage à l’École Normale. Il m’avait incité à me présenter au concours d’entrée à l’Ecole des Arts Appliqués à Paris, que j’ai réussi après un parcours scolaire où je manifestai déjà mon côté rebelle contre les injustices. De 1960 à 1964, je me suis engagé, le terme est exact. Je n’aime pas faire les choses à moitié, car j’ai aussi dirigé un cercle dans mon école où nous agissions (avec un cercle chrétien aussi) pour la paix. A l’époque le PC était fort de son action pendant la résistance (le parti des fusillés). J’étais présent avec mon frère lors de la manifestation où 8 communistes à Charonne trouvèrent la mort, où la police de Papon, un ex collabo, nous avait chargé et tiré dessus. Les prémices d’une formation marxiste m’avaient aussi convaincu de la nécessité de la lutte de classe et j’étais fortement imprégné de l’Evangile et du "sermon sur la montagne", malgré la critique du cléricalisme : " Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu, heureux les persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux".

Le Mague : Le Christ était-il un homme révolté ?

Daniel Gapin : Pour moi et d’autres le Christ est le plus beau des révolutionnaires. L’Evangile a inspiré le communisme, par la mise en communauté des biens. Même si auparavant, Platon, Lycurgue et aussi Confucius ont proposé des projets allant dans ce sens. Mais Jésus condamnait "le veau d’or", le mal qui pouvait naître de la richesse non partagée. J’ai fait une sorte de synthèse entre les nécessités de la lutte et l’amour de la Fraternité qui a construit ma vie... une sorte de théologie avant l’heure de celle de la libération...

Le Mague : Quelle évolution perçois-tu dans le parti communiste depuis les tout débuts de ton militantisme ?

Daniel Gapin : Pour ma fidélité à l’organisation, au PCF ? Cela jusqu’à aujourd’hui, ne fut pas sans questions. Réactions et contestations et cela me valut d’être traité d’électron libre par certains lors du mouvement des refondateurs après le décès de George Marchais. Mais je suis resté fidèle, grâce aux multiples rencontres que j’ai faites. Notamment lorsque j’ai travaillé pour Messidor la maison d’édition du PCF durant 16 ans. Le PCF était lié au PCUS (parti communiste de l’Union Soviétique) et l’effondrement de ce dernier a fragilisé tous les mouvements de libérations anti coloniaux et anti capitalistes dans le monde. Heureusement, certains bastions, tels que Cuba, ont résisté malgré un blocus toujours en place et souvent ignoré. Ils ont semé aujourd’hui en Amérique latine et du Sud, à l’image de tous les combats du CHE.
Mes rencontres avec des anciens résistants, des élus, des dirigeants, des intellectuels, des artistes, des militants dont de nombreux ouvriers, cheminots, avec des femmes telles que Marie Claude Vaillant Couturier m’ont construit dans une approche critique mais constructive. Tant la pression du système libéral pour nous caricaturer, nous affaiblir, était pour moi déchiffrable. Il faut toujours préparer des lendemains qui chantent ! Dès la renonciation au Programme Commun lors du premier septennat de Mitterrand, la trahison des engagements a amorcé ce que nous vivons aujourd’hui. Avec la complicité entre sociaux-démocrates et libéraux pour gérer " à l’américaine" en écartant les courants plus à gauche où populistes à droite. Cela a affaibli les capacités de réaction des français écrasés par la bouillie de la démagogie des discours et par les difficultés sociales. La conscience de classe se développait avec les syndicats dans les grandes entreprises et la casse de celles-ci, les délocalisations et fragmentations ont développé des confusions.

Le Mague : Ta mémoire chante en sourdine Potemkine, mais que reste-t-il du PC que tu affectionnais ?

Daniel Gapin : Le PCF a été affaibli mais il reste bien présent dans les collectivités et même ici où dans le Médoc. Quelques élus ont le courage d’afficher leur refus d’un certain aveuglement devant la misère qui grandit et nourrit quelques marchands d’esclaves, quelques grands propriétaires qui tuent ici la terre et mutilent leur personnel.
Les expériences du communisme réel ont été combattues, trahies, perverties mais l’idéal, le rêve, l’utopie demeure au cœur de l’humanité contre le dogmatisme, contre cette machine terrifiante qui pousse au désespoir, à faire des humains des animaux-machines sans âmes. Je ne suis pas dans la nostalgie mais je préfère "l’Alèthia" grecque plus spirituelle à cette "Veritas" romaine trop matérialiste. Réveillons de nouveaux rêves en tenant compte de l’expérience. Les communistes restent bien présents dans leur diversité et ceci malgré les censures, les insultes. Ils sont renforcés par les paroles d’un Pape venu de la « théologie de la libération » qui veut réveiller les chrétiens contre la misère et la barbarie d’où qu’elle vienne !

Le Mague : Quels sont les combats artistiques que tu as menés en Seine Saint-Denis ?

Daniel Gapin : Pour mes combats, le mot est acceptable tant l’environnement ici est moins sensible et moins nourri de complicités dans mes actes. Je ne vis plus dans cette Seine St-Denis où je multipliai des présences politiques, intellectuelles et, en tant que plasticien, des performances, installations, expositions avec des artistes aux techniques diverses très soucieux de communication avec des publics divers. Des créatifs engagés dans leurs remises en questions et la plupart présents dans le milieu socio-culturel. J’ai participé aussi à des rencontres inter religieuses et j’avais de très bons rapports avec le clergé et les évêques. J’ai eu la chance d’œuvrer une quinzaine d’années dans des quartiers populaires à St Denis, La Courneuve… dont Orgemont à Epinay sur Seine. Où perdurent des œuvres murales (de nombreux bas-reliefs en céramique) réalisées collectivement dans le cadre de la prévention, qui s’inscrivent dans le patrimoine. J’ai réalisé notamment avec 50 jeunes, une mosaïque sur la façade d’une église. A la demande d’un jeune prêtre devenu ami et complice, à l’attitude très différente des conservateurs tradis. Un séjour au Nicaragua en 88 pour soutenir les Sandinistes m’avait convaincu que c’était dans mon pays et dans les milieux populaires que je devais porter « l’épée et l’Evangile ».

Le Mague : Quels sont tes souvenirs marquants dans tes initiatives de lutte des classes ?

Daniel Gapin : J’ai vécu des situations qui m’ont obligé à intervenir dans le champ syndical. En 1968, j’étais responsable d’un bureau d’études dans une entreprise en Touraine où j’ai pris l’initiative, à la demande surtout des ouvriers qualifiés, de créer le premier un syndicat. Plus important encore, je me suis retrouvé bien que cadre, secrétaire du syndicat CGT dans une entreprise à Artigues près de Bordeaux pour mobiliser les travailleurs, afin de sauver nos emplois après une liquidation. Cette opération fut réussie, suite à une grande manif à Bordeaux qui a mobilisé des milliers de personnes.

Le Mague : Mais aux jours d’aujourd’hui, quels sont tes combats concrets en tant qu’artiste, naturiste et homme en perpétuelle révolte ?

Daniel Gapin : Venu ici il y a 17 ans et installé depuis ma retraite il y a 10 ans, j’avais besoin de recul, de méditer et de réfléchir sur mes envies, mon énergie et puis chassez le naturel il revient au galop. Des actions se sont présentées au sein des centres de loisirs, avec l’élaboration d’une fresque originale à St Estéphe etc. J’ai voulu surtout travailler sur quelques œuvres plus personnelles dans la sérénité du chalet à Euronat. J’ai rejoint une Loge du Grand Orient, contacté aussi mes camarades du PCF et provoqué le regard et l’écoute des chrétiens en portant la robe des franciscains, tant j’aime ce personnage (le frère du Christ !). Nous avions créé une association avec une amie peintre laquelle nous a servi de support pour quelques actions partagées.
Quant au naturisme, nous avons créé depuis la fin 2013 une association" ADN naturisme" pour réagir contre la textilisation d’Euronat. Mais aussi d’essayer de réveiller des valeurs de tolérance et de respect et vivre la nudité naturellement lorsque le temps le permet. Mais là aussi c’est difficile, tant nos expériences furent différentes et la société environnante dégradée par la consommation, l’individualisme et la course aux profits (qui reste l’objectif essentiel de la famille gérant Euronat). Nous pensons avec certains qu’il nous faudra multiplier des actions ludiques et culturelles sans agresser les plus ou moins habillés. Pour ma part je poursuis un travail pictural en complicité avec les commerçants. D’autant qu’il faut le savoir, tout est compliqué dans ce Médoc, tant il y a de retards culturels et sociaux. Et la misère y est plus grande que visible, tant la débrouille et le troc sont inscrits dans les mœurs ... L’alcool et les drogues circulent mieux que dans les banlieues. En plus, les gamins désertent l’école plus tôt qu’ailleurs. Ce n’est pas une terre de luttes et les solidarités sont défaillantes. Les forces syndicales sont en difficulté et les politiciens un peu assoupis (pas tous). Sur le plan artistique un conformisme certain domine et les initiatives innovantes dérangent.

Le Mague et chez les chrétiens, ça bouge aux entournures ou ça murmure au confessionnal le calme plat de la soumission parfaitement admise ?

Daniel Gapin : Pour revenir sur les chrétiens il s’agit d’une population vieillissante qui se marginalise et reste sous l’autorité de prêtres plus sensibles à préserver les murs qui se craquèlent d’une institution, que de porter avec force et joie les valeurs de l’Evangile. Cette année j’ai réalisé un chemin de croix pour ceinturer la basilique de Soulac, mais cela reste un acte qui a plus intéressé la presse locale, que la prise en compte d’un appel afin de relier les chrétiens pour mieux suivre le nouveau Pape. Le discours moralisant reste plus facile à porter, que de changer de cap. Nous savons que la majorité des cathos ont voté à droite et à l’extrême droite aussi. Si Jésus n’avait pas ressuscité, il se retournerait dans sa tombe !

Le Mague : Tu te déclares ouvertement franc-maçon. Dans l’imaginaire collectif, ça rime souvent avec société secrète et pouvoir occulte. Tu peux nous éclairer sur ce point ?

Daniel Gapin : Lors d’un aparté avec un partenaire élu socialiste dans la ville de Dugny en Seine St Denis où j’habitai, je fus invité à rejoindre la franc-maçonnerie dans une loge de la Grande Loge de France. Je fus " blackboulé" (pas accepté) du fait de mon appartenance au PC, ayant affirmé ma fidélité et que cela ne gênait plus pour devenir franc-maçon. C’était dû à des bourgeois giscardiens très anti communistes et mal informés... Ils voulaient me faire choisir mes "frères" ! Je fus récupéré par celui qui devint mon parrain et m’introduisit dans une loge du Grand Orient de France appelée Rouget de l’Isle. Cela me convenait bien. La franc-maçonnerie, qui est diverse par ses obédiences, alimente beaucoup de fantasmes et attire la presse sur les comportements de certains. Là aussi les attitudes humaines ne sont pas parfaites mais la franc-maçonnerie n’est ni occulte ni secrète, elle invite seulement à une certaine discrétion, à ne pas se dévoiler sans avoir réfléchi aux nuisances possibles pour soi et pour la franc-maçonnerie. Initié depuis 18 ans et ayant quitté le rite Français plus impliqué dans le champ sociétal, j’ai bifurqué pour le rite Ecossais Rectifié. Toujours au Grand Orient de France, du fait de mon installation dans le Médoc. Je confirme qu’il s’agit de la seule association crée par l’homme qui permette par ses rituels et son éthique la rencontre et le dialogue de citoyens (et citoyennes) diversement engagé(e)s dans le « monde profane » et dans le rejet de l’extrême droite raciste. Même si « le Pacte Républicain » est aujourd’hui secoué par les discours du front national. N’oublions pas que la franc-maçonnerie reste suspecte pour tous les régimes oppressifs et que nous fûmes interdits et pourchassés par le régime de Pétain, (Juifs, communistes et franc-maçonnerie...).

Le Mague : Quelle est l’éthique franc-maçonne que tu cultives dans tes relations avec autrui et la société ?

Daniel Gapin : Ici dans le rite que je partage, il invite davantage à une réflexion sur la spiritualité, que l’on soit athées où croyants. Ses fondamentaux sont « christiques" et invitent toujours à la BIENVEILLANCE. Il peut conduire aussi dans ses grades vers une chevalerie Templière exigeante uniquement héritière de valeurs d’engagement pour cette Fraternité Universelle tant difficile à envisager dans la réalité. La barbarie humaine est de plus en plus redoutable car elle met aujourd’hui l’humanité en péril, sous la domination de quelques-uns. Nous nous efforçons de préserver une conscience où je vis là aussi la présence des paroles du Christ. Je suis aussi le correspondant sur la Laïcité qui est l’un des piliers du Grand Orient de France. Je travaille avec mes Frères sur cette création de notre République d’une extrême importance pour rendre à Dieu ce qui le concerne et à César ce qui lui revient. Car, notre société est attaquée par des musulmans intégristes et aussi par des cathos et des cléricaux qui ont la nostalgie du pouvoir. Ce pouvoir qui depuis l’empereur Constantin a perverti le message de l’Evangile. Je trouve là une stimulation morale et intellectuelle permanente et le moyen de faire du lien dans le respect et la Tolérance...

Le Mague : Si tu t’adressais à une personne qui s’intéresse à la franc-maçonnerie, quels conseils tu voudrais lui donner avant de vouloir s’y engager de façon éclairée ?

Daniel Gapin : Pour celles et ceux qui sont intrigué(e)s et souhaiteraient nous rejoindre. Nous sommes vigilants à bien les informer sur l’effort dans sa durée, qui seul peut amener à comprendre et ressentir intimement ce qui fait un vrai franc-maçon. L’héritier de traditions multiples, bâtisseur incorruptible et persévérant. Là aussi dans les loges, il faut savoir dépasser les comportements qui peuvent survenir et déstabiliser. Afin de poursuivre son chemin, sachant que "la Lumière est devant soi ". Les touristes curieux qui se contenteraient de se croire initiés passeront toujours à côté de notre Harmonie et de sa FORCE. Je me suis "dévoilé" il y a peu de temps. Après "l’affaire Cahuzac" pour mieux porter une parole positive, n’ayant pas de fonds secrets en Suisse ni d’intérêt particuliers à protéger. l’Artiste-artisan tel que je me considère n’est pas en reste dans une pauvreté relative mais qui libère aussi. Je critique ces "fraternités d’intérêt" professionnelles qui détournent souvent l’éthique de notre franc-maçonnerie. Même s’il est naturel de se soutenir quelque soient les associations. Ce que nous faisons pour celles et ceux qui se retrouvent privés d’emploi où en souffrance sociale et humaine.

Tous les visuels de l’article sont des œuvres de Daniel Gapin

A suivre…