Sacco et Vanzetti ou l’assassinat programmé de deux anarchistes italiens !

Sacco et Vanzetti ou l'assassinat programmé de deux anarchistes italiens !

Par cette erreur judiciaire volontaire, en 1921, les États-Unis racistes et réactionnaires ont intenté un procès truqué contre deux anarchistes, fervents combattants fraternels de Vive la Sociale. En notre période troublée où les idées en actes de la peste brune refont surface, Carlotta Films a eu la bonne idée de ressortir ce fameux film le 6 aout sur les grands écrans en version restaurée. Cette épopée de Giulliano Montaldo sortie en 1971 n’a pas pris une ride. On suit le procès et on décortique l’appareil judiciaire répressif au plus près de Sacco et Vanzetti, interprétés de façon magistrale. D’un humanisme prégnant, ce film à la lumière des évènements nous galvanise les tripes à demeurer toujours vigilants et solidaires dans tous nos combats pour la liberté de penser et d’agir.

La situation sociale et économique dans les années 20 en Amérique est explosive. Grèves massives pour une réduction à la fois du temps de travail et de meilleures conditions, avec une augmentation des salaires. A coups de matraques et de crosses, le régime riposte aux manifestants. Proche du contexte de la Belle Époque en France, deux tendances anarchistes ont le vent en poupe avec les anarcho-syndicalistes dans les entreprises et les individualistes. Ces derniers dégoutés, ne voyant pas le vent tourné en faveur de l’émancipation des travailleurs décident de passer à l’action directe. En 1925, des attentats à la bombe touchent les symboles en place : le bureau du maire de Seattle ; de Cleveland, les bureaux de la banque Morgan à Wall Street
Le bolchévisme instaura « la terreur rouge » en 1917 en Russie, tandis qu’en Amérique, « La peur rouge  » régnait, et gangrénait la société pour effrayer les gogos contre le bouc émissaire rêvé : l’homme révolté, cet étranger qui va mugir dans leurs campagnes contre la faim et l’exploitation.

Le film commence par une rafle digne de celle du Vel d’Hiv dans un quartier italien. L’avocat général Katzmann qui animera à charge féroce le procès jusqu’à son point final se défendait d’être raciste !
« Certes ça fait de la peine de voir ces malheureux venus de pays lointains pauvres et barbares, disons-le, Italiens, Grecs, Polonais, Portoricains, Chiliens… Cela fait de la peine à penser à leurs efforts surhumains pour s’intégrer dans une civilisation supérieure, pour s’adapter à nos coutumes, à notre mentalité. (…) Messieurs les membres du jury, c’est la défense qui est raciste en opposant à de loyaux citoyens américains témoins irréprochables, une masse de pauvres immigrés. Des individus ignorants, tout de nos principes nationaux, des grands idéaux de la démocratie et de la justice qui régissent notre pays. Des individus ne parlant même pas notre langue. (…) Ces individus représentent un véritable danger pour nos institutions démocratiques. Il faut être tolérant mais pas jusqu’à se mettre en danger. Les Italiens ont des rites de sang, ou le sang du maître est véritablement mêlé à celui de « l’initié ». Ce sont des barbares  ». (in le film) On retrouve les mêmes arguments actuels au FN à l’égard des étrangers !
Autre similitude troublante, en 1916 parait la bible « du nativisme  » : « The Passing of the Great Race  » (« le Destin de la Grande race ») où les principes du darwinisme social étaient brocardés et où également les dangers d’une invasion étrangère étaient pointés du doigt. Suivez mon regard de nos jours encore en pays de franchouille, entre les théories du genre et l’étranger qui vole le boulot des français...

JPEG - 1.1 Mo

Sauf, qu’aux Amériques, les peuples premiers Amérindiens qui ont occupé ce vaste territoire ont été les victimes d’un véritable génocide. Ce sont tous les colons venus du continent européen, sud-américain… et les esclaves africains (contre leur gré pour ces derniers) qui furent les immigrés, à commencer par les ancêtres de ce Katzmann (pas très amérindien comme blaze, vous en conviendrez !)

A ces tenants de la haine ordinaire (F’Haine), je vous convie à entendre la voix si humaine et superbe de cette très chère Pauline Julien, cousine du Québec, qui chante : L’Etranger  ». Etonnant non ! J’aurais pu tout aussi bien choisir Léonard Cohen, encore un autre canadien.

Pour en revenir à nos deux personnages, héros malgré eux. A deux mois d’écart en 1908, deux inconnus venus d’Italie, Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti foulèrent le sol ricain à Ellis Island et allèrent grossir le troupeau des nouveaux exploités. Ils seront grillés sur la chaise électrique le 23 août 1927 !
« On nous a condamnés sur un tissus d’inventions, on nous a refusés un nouveau jugement, et si l’on nous exécute après 7 ans, 4 mois, 11 jours de souffrances inexprimables, c’est pour les raisons que j’ai dites, parce que nous étions les pauvres contre l’exploitation et l’oppression de l’homme par l’homme  » (Vanzetti, dans un courrier, le 21 août 1927)
Outre la tare congénitale d’êtres italiens, ils étaient anarchistes. Le film met parfaitement en relief leurs engagements et leur amitié fraternelle dans tous leurs combats légitimes.

Agé de dix-sept ans, Sacco d’origine paysanne débarque de ses Pouilles natales. Il est engagé dans une manufacture de chaussures et le suivi des cours du soir lui permet de devenir ouvrier qualifié. Dès 1913, il se sent concerné par les luttes contre la misère sociale et joint ses forces à celles des syndicalistes révolutionnaires. Le mouvement anarchiste lui tend les pognes. D’autant plus qu’il est très bien implanté dans le milieu italien. Son choix épouse finalement la cause des anarchistes qui prônent les actions directes. En 1917, l’Amérique rentre en guerre et mobilise ses ouailles. Sacco fuit au Mexique, la conscription en tant que pacifiste anarchiste. Au moment des faits qui nous intéressent, il était marié et père de famille.
C’est dans ce contexte qu’il rencontra Vanzetti originaire du Sud Piémont. Issu d’une famille de fermiers pas dans le besoin. Il effectua une scolarité sans embuche. Il lut assidument La Divine Comédie de Dante et La Vie de Jésus de Renan. Il fut formé au parfum des métiers de la pâtisserie. A vingt ans, sur un coup de tête, suite au décès prématuré de sa maman, il débarqua. Il vécut de petits boulots dans différents états, avant de devenir vendeur de poisson ambulant à Plymouth, par esprit de liberté, afin de ne plus supporter un contremaître sur le dos. Il participa à des grèves et se bagarra pour la cause anarchiste. Vanzetti, contrairement à Sacco, parlait de façon audible la langue anglaise. Vanzetti éprouvait une forte amitié pour son compagnon de luttes. Il écrit à son sujet : « J’ai peut-être plus d’esprit que lui, on l’a dit, je suis un meilleur bavard que lui. Mais souvent, très souvent, en entendant sa voix cordiale où résonnait une foi sublime, ou considérant son sacrifice suprême, je me sentais tout petit en présence de sa grandeur  ».

JPEG - 79.7 ko

Riccardo Cuccilolla (prix d’interprétation au Festival de Cannes en 1971) interprète un Sacco dépassé par les événements, vite abattu. Gian Maria Volonté, figure emblématique du cinéma italien s’est déjà illustré avec brio tant chez Sergio Leone (« Pour une poignée de dollars  ») ou dans le cinéma engagé d’Elio Petri (« Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon ». Il incarne un Vanzetti qui ne baisse jamais les bras et demeure toujours combatif.

L’affaire dite se déroula à quelques mois d’intervalle. Dans le Massachusetts, deux hold-up contre des manufactures de chaussures ont eu lieu en voiture. Le premier en décembre 1919 a raté. Le second à South Braintree en avril 1920 avec mort d’hommes : le caissier et son garde du corps. Un butin conséquent pour l’époque de 15 000 dollars a été prélevé.
Comme il se doit, tout accuse les anarchistes dont la branche armée est soupçonnée d’effectuer des braquages pour se payer des armes. Sacco et Vanzetti sont arrêtés et interrogés. Ils portaient sur eux des flingues et ça ne fit pas un fil, ils sont immédiatement inculpés pour les deux braquages.
Le premier procès commence le 22 juin 1920, avec le regard flou de certains témoins qui disent pourtant les avoir reconnus. Dès le départ, Le film montre déjà parfaitement que les dés sont pipés à leur encontre. Pour une histoire de moustache en nœud de boudin, Vanzetti écope de 12 à 15 années de taule, alors que Sacco passe à l’as ayant réussi à prouver son pointage à l’usine à l’heure du holdup.
Rebelote et nouvelle embrouille, le second procès se déroule entre le 31 mai et le 14 juillet 1921. L’accusation se basa principalement sur une expertise balistique approximative. Sacco et Vanzetti sont condamnés à mort pour les meurtres commis à South Braintree.

Le film réalisé en 1971 par Giulliano Montaldo et tourné à Cinecitta suit avec précision les déroulements des audiences des procès. La mise en scène particulièrement soignée s’appuie aussi sur des archives originales, coupures de journaux et actualités d’époque.
L’avocat des prévenus véritable militant solidaire s’est fait rentrer dedans et a rendu son tablier. Le second, lors des nombreuses requêtes déposées, découvre toutes les irrégularités (pièces à conviction, dossiers envolés….). Un portugais de 23 ans incarcéré avoue même les crimes qui innocentaient Sacco et Vanzetti. Il sera grillé en même temps que les deux hommes !

De grandes manifestations sont organisées dans le monde en soutien des deux anarchistes. Des voix singulières, telles celles entre autres d’Albert Einstein, Anatole France ou George Bernard Shaw s’enflamment pour leur cause. Mais le juge Webster Thaver ne flanche pas et persifle et signe la condamnation à mort, exprimant haut et fort ses opinions xénophobes et réactionnaires.

Enio Morricone a composé la bande originale du film qui restera gravée dans toutes les mémoires. Joan Baez à l’instar d’un Aragon pour son « Affiche rouge » s’est inspirée directement des propos de Vanzetti pour écrire sa chanson « Here’s to You ».
« Nos paroles, nos vies, nos souffrances ne sont rien. Mais qu’on nous prenne nos vies, vies d’un bon cordonnier et d’un pauvre vendeur de poisson. C’est cela qui est tout ! Ce dernier moment est le nôtre. Notre agonie est notre triomphe  ».
Cette chanson sera reprise par George Moustaki en français et réécrite mise en mots par d’autres poètes, dont à nouveau Aragon.

http://canempechepasnicolas.over-blog.com/article-la-violence-terroriste-du-capital-le23-aout-1927-sacco-et-vanzetti-assassines-le-23-aout-109279793.html

Cinquante ans plus tard, le gouverneur Michael Dukakis issu de l’émigration grecque, réhabilitera le 23 août 1977 Sacco et Vanzetti. « J’invite le peuple du Massachussetts à s’arrêter un instant dans ses obligations de tous les jours, à réfléchir à ces événements tragiques, à en tirer le courage de s’opposer aux forces de l’intolérance, de la peur, de la haine, et à s’unir pour faire triompher la raison, la sagesse et l’impartialité auxquelles aspire notre système judiciaire ».

JPEG - 85.1 ko

Un film coup de poing que je vous recommande vivement, œuvre de mémoire en hommage à Sacco et Vanzetti, deux êtres qui voulaient vivre en hommes libres et révoltés contre les conditions sociales de leur époque.
Rien de nouveau à l’Ouest, tout est toujours à se battre et lutter continuellement… Le cinoche, les livres, les chansons sont aussi des armes de précision à la portée de toutes et tous, pour qui veut s’en emparer et témoigner.

Sacco et Vanzetti de Giulliano Montaldo, en version restaurée inédite, distribué par Carlotta Films, 124 minutes, sur les écrans à partir du 6 août