« Fraternités » ou l’histoire de la franc-maçonnerie en BD !

« Fraternités » ou l'histoire de la franc-maçonnerie en BD !

Une saga familiale autour du journal « Fraternités » relate dans ce premier tome les arcanes de la Révolution française à Paname et ses ramifications avec la franc-maçonnerie. Jean-Christophe Camus au scénario et Ramon Rosanas au dessin nous tiennent en haleine et répondent à notre curiosité avec brio. Une autre vision de l’histoire s’offre à notre regard et notre esprit critique. Un panard sans fard vous éclabousse à la lecture de cette BD bien troussée, avec tous les rebondissements nécessaires à me faire crier, crier, j’ai adoré ! Pour qu’il revienne vite le second tome….

Un soir au clair de la lune, l’esprit chafouin, le Franckos m’emmena me remplir la panse dans une de ces fameuses guinguettes en bordure de l’estuaire de la Gironde. Au sortir, un peu pompette et tambour du Médoc, nous marchions joyeux sur les quais à refaire le monde, quand, notre attention fut attirée par des ombres. Avec nos gros sabots, nous nous approchâmes et découvrîmes des personnages en costume trois pièces cuisine et cravate pour se poudrer le nez, qui devisaient. Coup de coude à l’abdomen du Bartos, histoire de lui glisser à l’oreille : encore des témoins de Jéhovah qui vont vouloir nous refourguer leur camelote à se torcher les neurones pour dire Amen ! Je m’attendais déjà à entendre sa phrase assassine de la liberté de penser en paix : « Ni dieu ni maître  ». Du tout, le souffle court en fin lorgnon, il me fit remarquer que certains portaient, on aurait dit un cure dent à rallonge, style arme de sixième catégorie dans un fourreau. Tu crois que ce sont des pirates du Médoc qui jouent avec leurs ancêtres les naufrageurs ? Ils vont nous estourbir selon la formule la bourse ou la vie. Le bulletin sera maigre ! Se dégageant de ce piège d’un air embué, on était sur le point de s’éclipser, quand un individu nous souhaita très poliment le bonsoir d’un air fraternel et qu’on se cavala jusqu’à nous pénates.

Cette soirée m’avait marquée et quand j’y repense, je m’essaie à des figures de rapprochement mal aisées, devant autant de mystère, histoire d’en venir à ma présente chronique. Le complot judéo-maçonnique ourdi en sourdine par les forces réactionnaires de la calotte, contre tout ce qui dépasse sa conscience et tout ce qui dérange l’ordre signé en lettres de sang ne date pas hélas d’aujourd’hui ! Le drapeau bleu marine au fronton de certaines mairies entache le paysage.
Les sociétés secrètes, Bakounine était un fervent élément moteur. Il se réclamait, quant à lui de la liberté plutôt que de l’ordre. Je crois que la franc-maçonnerie lui préfère le verbiage de société discrète. C’est donc tout naturellement par curiosité et totale incurie dans ce domaine que je lus avec grande attention cette BD sortie cet automne. Elle relate un pan de l’histoire de la franc-maçonnerie à Paname lors de la Révolution française aux premiers jours de la Terreur.

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L’auteur Jean-Christophe Camus, fils, (excusez du peu), du célèbre réalisateur Marcel Camus (Orfeu Negro, Le Mur de l’Atlantique). Il a scénarisé entre autre La Bible en BD avec Michel Dufranne (6 tomes….) mais aussi un album Negrinba chez Gallimard qui retrace l’enfance brésilienne de sa mère.

Le dessinateur Ramon Rosanas d’origine espagnole s’illustre dans The Age of The Sentry, Spider Man, 1602, World War Hulks, X Men Forever, mais aussi WW22 en 2013, pour vous donner un aperçu de la richesse de sa palette.
Vous pensez bien quand ces deux-là, avec leurs sacrés bagages créatifs, ont posé stylos et pinceaux pour combiner leur travail, ça a cartonné !

Ils ont mandaté à la rescousse de la préface, un spécialiste du genre, en la personne de Didier Convard, auteur notamment de la série « Le Triangle secret » une BD chez Glénat. Je lui laisse la parole.
«  Voici l’un des plus beaux exercices de style sur ce sujet « Fraternités », un récit d’une intelligence et d’une impartialité remarquable servi par un dessin magnifique de précision et de force, souligné par une couleur nuancée qui plonge le lecteur au cœur de cette période fiévreuse de l’Histoire de France. On y complote, ment, tue, aime. On y vote la mise à mort d’un roi…
Fraternités nous propose une réflexion subtile sur la quête de l’humanisme. Sur la Justice. Au travers d’une saga familiale, de la destinée d’un journal, des manœuvres politiques, des méandres d’une révolution sanglante, les auteurs ont si soigneusement caractérisé leurs acteurs que ceux-ci deviennent des archétypes référentiels, gravant pour longtemps leur empreinte dans notre mémoire
 ».

Et cézigues expriment loyauté et courage, deux parmi tant d’autres valeurs de la franc-maçonnerie quand face au danger dans un dernier acte de bravoure, il y a un personnage qui clame haut et fort : « Je préfère avoir la gorge tranchée plutôt que de révéler nos secrets ». (page 19)

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En l’an de 1792, la Terreur se coule un linceul et n’oublie pas de se rappeler à son bon souvenir aux francs-maçons. Le duc d’Orléans, cousin du roi Louis XVI plus pour très longtemps jouera les raccourcis, était le Grand Maître de la franc-maçonnerie, qui pour sauver brièvement sa tête et trahir ses frères prendra le nom de « Philippe Egalité ». Dans ce climat délétère où le Nouveau Régime cherchait des poux dans les ennemis intérieurs à la patrie, Gaston Beaudecourt propriétaire et fondateur du journal « Fraternités », homme engagé, va mener l’enquête. Il est entouré par sa femme Alexandrine et ses deux fils Paul et René.

L’abbé Lefranc derrière le complot maçonnique, pense que ce mouvement des Lumières, subversif et éclairé représente le bras vengeur responsable de la Révolution. Il est issu du même pot de chambre que les culs bénits qui ont inventé la théorie de genre, soit disant fomentée par les associations gays et lesbiens pour tuer dans l’œuf l’essor de la famille monoparentale.

Outre quelques personnages inventés, cette BD embrasse malgré tout la réalité de cette époque, avec des figures marquantes. Ainsi par exemple la loge des Neuf Sœurs à laquelle appartient Gaston Baudecourt a bel et bien existé. On assiste dans la BD, à l’initiation de Voltaire homme âgé. D’autres noms logés à la même enseigne peuvent vous évoquer des images. Le coupant Joseph-Ignace Guillotin, le lettré Emile Littré, les légers frères Montgolfier, le marquis de Sade qui a cumulé à lui tout seul des peines de prison sous tous les régimes et d’autres encore...

Et puis si vous vous insinuez dans chaque vignette des planches, vous voyagerez dans les moindres détails du travail d’orfèvre de Ramon Rosanas. Paname vous ouvre les pans de son histoire. C’est absolument renversant ! Chapeau l’artiste !
Chapeau aussi au scénario palpitant de Jean-Christophe Camus. Je n’ai pas pu refermer la BD avant le mot fin, tant j’ai été prise aux tripes de cette intrigue finement ciselée avec moult détails et rebondissements.
Et nous n’en sommes qu’au tome 1 ! Suivront : 1804, La Commune, Première Guerre mondiale et Seconde Guerre mondiale, où nous suivrons la famille Baudecourt dans les dédalles des grands faits marquants notre histoire, à l’échelle de la fraternité humaine qui nous éclaira de ses propres lumières.

Le régime soviétique avait sa Pravda, vérité censurée où la franc-maçonnerie était interdite, la Révolution française a eu en fiction ses « Fraternités » journal qui revendique « La voix de la vérité  ». Cet instantané en BD de très grande qualité, que je vous recommande chaleureusement.

Fraternité à toutes et tous à la lecture de cette fameuse BD.

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Fraternités, tome 1 : 1792, l’Ordre guillotiné, scénario Jean-Christophe Camus, dessin Ramon Rosanas, couleur Dimitri Fogolin, préface Didier Convard, éditions Delcourt, automne 2013, 64 page, 14,95 euros