Les histoires des vrais gens dans le cinéma de René Allio !

Les histoires des vrais gens dans le cinéma de René Allio !

René Allio (Marseille 1924 / Paris 1995) artiste polymorphe (peintre, décorateur, acteur, réalisateur et scénariste) n’appartenait a aucun courant du cinéma. Shellac-Sud a eu la bonne idée de distribuer un premier coffret de quatre de ses œuvres pour le moins éclectiques et garantes d’une réalité sociale respectueuse de ses protagonistes. René Allio nous offre un autre regard en miroir sur les vrais gens qui nous concernent directement, puisqu’on se retrouve entièrement dans les préoccupations de ses personnages autant dans leurs révoltes que leur humanité.

L’étude des lettres mènent à tout. Ce n’est pas René Allio qui me contredira !
Il a déjà l’œil et le bon. En ce sens, il me rappelle un certain Henri-Cartier Bresson. Cet homme libre qui ne voulait pas être enfermé à ses débuts dans le périmètre restreint d’une toile de peinture. Il s’ouvrira au vaste monde sous le regard avisé du viseur de son appareil photo et sortira hors cadre pour nous conter ses propres histoires comme des instantanés.
René Allio fut d’abord peintre, mais bien vite, les grands espaces géographiques où vivent les vrais gens exercèrent un attrait cinématographique dans son œuvre.
« Quand je peignais, c’est dans la nature que je fondais la motivation première de mon travail et que justement le choix de me mettre à faire des films c’était par rapport à cela, l’introduction d’une préoccupation nouvelle : parler des gens en société et plus seulement de la nature  ». (René Allio in le livret du coffret page 8)
Homme-orchestre du visuel, il toucha du bois en tant que décorateur au théâtre pour le Théâtre de la Cité de Villeurbanne, la Comédie-Française, l’Opéra de Paris, et j’en oublie tellement il est prolixe. Les scènes européennes n’avaient plus de mystère pour lui de Milan à Londres

De ces diverses expériences si enrichissantes, il gardera un goût des décors authentiques.
En 1962 à 38 ans il réalise La Meule, son premier court-métrage et en 1965 son premier long-métrage La Vieille Dame indigne d’après Bertolt Brecht. Ce qui lui permettra de renouer avec son enfance marseillaise. Il reçoit des prix et le satisfecit du public pour ce film, ce qui lui donne de l’élan pour enchainer d’autres œuvres à l’écran, jusqu’à une bonne dizaine.

Mais, nous ne leurrons pas. René Allio avait la fibre sociale pour les déshérités, les damnés de la terre, les marginaux, les sans tribunes… Et pour un tel cinéaste, le risque eut été, que les copies de ses œuvres 35 et 16 millimètres situées aux quatre ciels de son univers ne se perdent ou pire encore se dégradent. Toute une histoire du cinéma des vrais gens aurait fichu le camp… Un désastre ! D’où le travail de titan et du respect de son œuvre par Shellac-Sud depuis Marseille afin de restaurer numériquement en haute définition les films de ce coffret.

Dans les années 90, René Allio écrivait à son ami Roland Rappaport qui introduit le livret du coffret : « Mon véritable accomplissement, tardif, car il ne fut longtemps qu’un entêtement, c’est la représentation de ceux dont je suis et dont je viens, qui n’ont pas d’histoire, qui ne sauraient compter dans l’histoire, représentation qui est toujours payée à son juste titre, c’est-à-dire rien  ».

Quatre films animent ce narrateur de la classe ouvrière et de l’imaginaire populaire : Les Camisards (1972) / Rude journée pour la reine (1973), Moi Pierre Rivière ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère… (1975) / Le Matelot 512 (1984). Cette chronologie montre l’évolution dans son œuvre et son attachement aux vrais gens et à leur histoire.

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Les Camisards  : « En traitant un sujet qui se situait dans l’histoire et qui me sollicitait beaucoup, et au plan de la subjectivité, à cause des liens que j’ai avec les Cévennes, et également au niveau de tout qu’a pu être mon expérience personnelle dans mon travail et dans la culture que je me suis donné à partir de la façon dont j’ai appris qu’il fallait regarder la vie des hommes dans l’histoire, il était tout naturel, donc, que j’aie envie de m’en servir au cinéma, voilà les points de départ des Camisards  ». (René Allio in le livret du coffret page 10)
Le contexte historique : quelques années après la révocation de l’Edit de Nantes, un groupe de protestants de paysans et ouvriers de la soie cévenols organisent une guérilla contre les dragons de Louis XIV. On suit le début de la formation de ce groupe mixte autour de Gédéon Laporte jusqu’à sa défaite à Pompignan.
Le réalisme de ce film s’inscrit dans le combat des opprimés et des guerres de libération, en regard aussi des luttes coloniales et culturelles. « La guerre des camisards, qui faisait référence à un type d’oppression bien défini, n’a pas de revendications économiques, elle est d’abord une revendication religieuse et idéologique et donc culturelle, elle ressemble beaucoup plus à une guerre de libération coloniale contre les occupants qui auraient déraciné les gens du lieu de leur culture, de leur façon de vivre, de leur façon de penser, de leur relation au monde et qui les auraient fait entrer de force dans la façon de voir, de penser qui ne pouvait pas ne pas aboutir à des réactions de libération ». (René Allio in le livret du coffret page 15)
Il a réalisé ce film à faible budget avec les habitants des Cévennes des différents villages où les scènes furent tournées. Il a une résonnance dans le genre du western ethnique, bien loin des clichés et des fariboles du parisianisme bon teint, qui déteignent comme des teignes dans le paysage culturel franchouillard.
« Je revendique qu’aucun de mes films n’a été un film « parisien », même pas L’Une et l’Autre, qui est le plus « psychologique » de tous. Ce qui est en cause ici, c’est le système économique. Le cinéma français, du point de vue de la profession, est entièrement centralisé à Paris, et les règlements, les mœurs, les conventions collectives, sont déterminées par cette centralisation. On retrouve d’ailleurs ici le problème de la centralisation contre laquelle se sont battus les Camisards ». (René Allio in le livret du coffret page 17)
Les Camisards de René Allio, 1972, Couleur, 100 minutes, scénario René Allio et Jean Jourdheuil, dialogues René Allio, interprètes : Rufus, François Mathouret, Gérard Desarthe, Jacques Debary…..

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Rude journée pour la reine ou la journée particulière de Simone Signoret dans son interprétation magistrale d’une femme de ménage, qui s’évade de son quotidien aliénant et restreint pour se vivre personnage héroïne de sa vie à différentes époques et reine mère. Elle est flanquée de toute une clique familiale et d’un mari macho qui l’étouffent dans sa maison. Son seul recours, l’évasion par son imagination et forcément son émancipation.
Tourné en région de Paname dans les années 70, dans le milieu populo sans misérabilisme, digne des comédies italiennes de cette époque faste du cinoche vivant, ce film de René Allio est sans doute celui le plus déjanté et surprenant. C’est un cours de sociologie bien loin des amphis poussiéreux. C’est un film phare qui nous éclaire sur les choses et tous les objets du quotidien, digne d’un Georges Pérec  !
Déroutant de prime à bord, bien vite on se laisse conquérir par toute la fantaisie de Simone. Juste un brin de fantaisie à la Boby Lapointe…. « Dans mes autres films, je m’étais défendu de la fantaisie, je m’étais contrôlé. Je voulais (et je veux toujours) aller vers plus de liberté. Mais cela n’implique pas qu’on doive renoncer aux préoccupations d’ordre idéologique ou politique, au contraire. Je voulais donc que ce film soit plus « personnel », mais je voulais en même temps, que le travail soit plus collectif que dans mes films précédents  ». (René Allio in le livret du coffret page 17)
Simone devient aussi messagère de Julien un jeune homme marginal dans ses actes en révolte contre la société qui la écroué. Il rêve de prendre les armes et d’enlever la fille du buraliste enfermée dans une famille aux horizons complètement bouchés. Famille je vous hais. Simone toute seule s’évade de sa réalité et de sa condition sociale. Sinon tout le décorum y est, la vie de château dans l’ersatz d’un moment très court, comme un rêve qui devient réalité ! La vie sociale avant toute, comme toujours chez Allio guide ses personnages.
Le versant économique est encore présent. Ses difficultés à trouver les sous pour tourner ce film, comme s’il dérangeait aux entournures, alors qu’on aurait pu croire bien naïvement de ma part, que les idées de mai 68 avaient maturé en 1973. Tu parles, c’est encore l’assommoir qui règne en maître maux. « J’ai pensé ne pas pouvoir faire le film, je n’ai pas obtenu l’avance sur recettes, j’ai failli ne pas avoir de distributeur… J’ai connu beaucoup de difficultés. Mais il suffit de se mettre à 25 cm d’un tableau pour voir que la peinture non plus ne se laisse pas faire. Je ne veux pas dire que la réalité économique dans laquelle nous travaillons est aussi « normale » que le mélange de couleurs : j’ai dû batailler, mais je ne crois pas avoir cédé sur le projet initial ». (René Allio in le livret du coffret page 28)
Rude journée pour la reine de René Allio, 1973, Couleur, 105 minutes, scénario René Allio en collaboration avec Bernard Chartreux, Janine Psznoak, Olivier Perrier, André Viola, dialogues René Allio, interprètes : Simone Signoret, Jacques Debary, Olivier Perrier, Orane Demazis…

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Moi Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère…. D&#8217 ;après l’ouvrage collectif dirigé par Michel Foucault, comme son nom l’indique raconte les crimes commis par Pierre Rivière jeune paysan normand de 20 balais contre des membres directs de sa famille à coups de serpe. Il s’enfuit et est arrêté après quelques semaines. En prison, il s’attelle à l’écriture d’un texte sublime et très réaliste qui nous compte sa propre interprétation de ses méfaits, alors qu’au départ, il était considéré dans le village, comme ayant un comportement original.
Michel Foucault qui s’est toujours intéressé à la marge et ses limites rendra compte de son enthousiasme pour ce personnage hors catégorie. Il applaudira et soutiendra le projet de René Allio de tourner un film sur ce sujet. Michel Foucault qualifiera l’œuvre de René Allio comme des films qui « font passer de l’histoire ».
« Par cette action, j’ai été consacré par Dieu…. C’est pour délivrer mon père d’une méchante femme  » (sa mère). (in le film, Pierre Rivière lors de son interrogatoire par le juge).
Ce fait divers du bocage normand résonne une portée universelle. En regardant le film, on ne se positionne pas en magistrat, à savoir si oui ou non Pierre Rivière est fou. C’est toute la force de ce film !
Le magazine littéraire de janvier 2014 a consacré un dossier à Michel Foucault. Dans son article « Retrouver la mémoire du cinéma  » (pages 74 et 75) Dark Zabnuyan exprime le ressenti et l’enthousiasme de Michel Foucault précisément pour le film qui nous intéresse. «  Outre le fait de saluer la fascinante sobriété du film de René Allio, qui parvient à rendre presque invisible toute la machinerie de la reconstitution historique (dont l’artificialité est pourtant prégnante au cinéma), Foucault louera également la capacité de son auteur à retrouver par les composantes audiovisuelles de son médium ce qu’il a lui-même tenté au niveau des archives écrites : faire en sorte que le cas Rivière interpelle les savoirs de notre temps, essentiellement la psychiatrie et la justice pénale. En situant l’action du film à proximité des lieux où le meurtre s’est déroulé, et en demandant à des acteurs non professionnels d’interpréter le rôle des paysans de l’époque, le cinéaste réussit, d’après Foucault à établir une « communication très directe » entre hier et aujourd’hui, et à « relancer la question (Rivière) au plus près de l’endroit où elle avait été posée ».
Quelle joie également de retrouver comme assistants réalisateurs, deux futurs proches cinéastes en herbe dont ce cher Gérard Mordillat mais également Nicolas Philibert qui réaliseront ensemble en 1978 un documentaire éloquent et de grand talent « La voix de son maître  » http://www.franceculture.fr/oeuvre-la-voix-de-son-ma%C3%AEtre-de-nicolas-philibert-et-g%C3%A9rard-mordillat.html
Ce film de René Allio jette des ponts entre des personnages, des cinéastes, un fameux historien philosophe et nous tous spectatrices ou spectateurs qui nous coulons dans l’histoire de de Pierre Rivière, homme singulier habité par ses actes et un sacré coup de plume à l’ouvrage.
Moi Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère…. De René Allio, 1976, Couleur, 130 minutes, scénario René Allio, interprètes : Philippe Caubère, Ariane Ascaride (à leur début)&#8230 ;

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Le Matelot 512 est un film qui se situe sur une époque charnière des années 1900 avec quelques accents de la grande boucherie. René Allio reçoit un texte portant la mention « scénario » d’un inconnu désigné comme « un roman d’amour et d’aventure  » de la part d’un illustre inconnu Emile Guinde.
« Ce roman d’amour et d’aventure est une histoire vraie, réellement vécue. Imprégnée d’une atmosphère à la fois trouble, idyllique ou passionnée, il va de la souffrance à des sentiments sans frein. Il est rendu encore plus humain, puisqu’il se passe au cours d’évènements historiques et tourmentés. J’ai tenté de mêler des évènements imaginés à des faits réels, le tout sur un fond de souvenirs ». (René Allio in le livret du coffret page 40)
C’est l’histoire de Max, qui a 18 ans au début des années 1900, qui désire vivre une existante mouvementée et voir du pays. Il s’engage dans la marine et porte le matricule 512. Pris en sympathie par le commandant Roger (Bruno Cremer) pour lequel il devient son ordonnance, il gravit vite les grades et devient officier. Durant son service en Bretagne et dans la maisonnée de Roger, il engraisse la bonne et tombe éperdu amoureux de l’épouse de son supérieur. Qui pourrait résister au charme discret de la bourgeoisie de Dominique Sanda, je vous le demande un peu ? Son regard éperdu, sa voix enjôleuse, sa tignasse charmante, tout son être rayonne dans son personnage. Sa faconde de conduire une des premières automobiles, comme dans le film 1900 de Bernardo Bertolucci tourné quelques neuf années plus tôt où elle pilote à toute berzingue sans rien vouloir voir de la route….. Chez René Allio, dans son rôle, elle a déjà bien roulé sa bosse en Asie, accompagnant son mari Roger. De ses séjours, elle ramène certaines habitudes de fumeries d’opium.
Rien à voir avec Max et les maximonstres, quoique….. Max est accusé du meurtre d’un autre officier qui a découvert ses mœurs avec Dominique. Il est écroué sur un navire de guerre qui saute en rade. Aucun membre n’y réchappe à part Max qui refait sa vie au Maghreb en s’engageant dans la légion étrangère. Lors du conflit de la boucherie de 14 / 18, blessé, il retrouve presque par hasard Dominique devenue veuve toujours amoureuse de lui et qui le soigne en tant qu’infirmière.
Film d’action, film d’amour, on voit du pays en suivant Max et ses tribulations amoureuses. René Allio a tout de suite accroché au scénario proposé, digne du roman populaire des années 1900. Il a sondé la perception qu’il pouvait donner de ce manuscrit à l’écran, comme une toile disparate chargée des éléments humains, de composition robuste pour traverser les temps et nous émouvoir encore aujourd’hui. Toute la richesse des romans populaires transcende d’un tel manuscrit dans une épopée historique.
« Ils me faisaient penser (tous les éléments émanant du manuscrit) à la fois aux romans illustrés du début du siècle, aux « romans de gare » (à leurs sujets comme à leurs couvertures), au cinéma français du temps du muet, mais aussi à l’art naïf. Le tout étant refondu dans quelques inventions de l’Art Brut cher à Dubuffet, tant il est vrai que Le Matelot 512 sous ces premiers regards, paraissait être aux formes narratives ce que le monument du Facteur Cheval est aux formes architecturales ». (René Allio in le livret du coffret page 43)
Un film atypique toujours dans la verve du cinéma populaire de René Allio. Larguez les amarres au pays des merveilles de Dominique Sanda et Jacques Penot dans le rôle du matelot…..
Le Matelot 512, de René Allio, 1984, Couleur, 100 minutes, scénario René Allio d’après le manuscrit d’Emile Guinde, adaptation et dialogues René Allio, interprètes Dominique Sanda, Jacques Penot, Bruno Cremer, Laure Duthilleul…..

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Le coffret de quatre films de René Allio au prix de 28,10 euros est accompagné d’un livret de 55 pages comprenant des articles d’époque et entretiens du réalisateur