Xenia de Gérard Mordillat : un hommage à la femme émancipée et révoltée !

Xenia de Gérard Mordillat : un hommage à la femme émancipée et révoltée !

Xenia 23 piges, mère célibataire en galère dans une cité de la région parisienne bosse dans des petits boulots pour survivre. Elle est flanquée de sa voisine Blandine, en solidarité féminine affirmée dans toutes les situations. Amitié, symbioses entre deux femmes, le combat de la vie, plus fort tu meures, malgré les mouises et les barrières qui vont se dresser entre elles. Ce fameux roman optimiste de ce début d’année 2014 force le respect et l’admiration pour Gérard Mordillat, son auteur au paroxysme dans l’expression de son talent littéraire.

Gérard Mordillat est le trop rare conteur des invisibles. Emule de la nouvelle littérature prolétarienne, avec ses vrais gens qui s’émancipent de leur condition et s’affranchissent du capitalisme moribond, pour renaitre à une vie fraternelle. Après avoir enduré des sommes d’embuches dans la tronche, ses personnages se redressent toujours, entrent en résistance et en solidarité. Une bonne accolade fraternelle au moral dans ce monde corrompu, depuis les hautes sphères du pouvoir jusque tout en bas dans les caniveaux des avanies. Ça fait du bien ! D’autant plus, que les personnages principaux sont des héroïnes !

Riton Poulaille (1896 / 1980) à l’inspiration anarchiste aurait sans conteste aimé frayer en littérature avec Gérard. Ces deux zigues, à une génération d’intervalle, sont animés par la même passion pour Le Cri du peuple journal de la Commune de Paris. L’auteur qui s’en est emparé n’est autre qu’un sacré frangin qui a la rage et la verve chevillées au corps, en la personne de monsieur Jean Vautrin, le contemporain de Gégé. Jean-Pierre Levaray, auteur lui aussi, n’est pas en reste non plus avec sa Putain d’Usine et Tue ton patron. Le compagnon Paco serait plus à même que-moi de vous parler de cet homme lui aussi très singulier et de son œuvre, qui est éditée chez de petits éditeurs libertaires.

Il n’empêche Gégé et Riton mettent en scène des personnages qui leur sont très proches dans le Paris populo de leur enfance. Le Pain quotidien et Les Damnés de la terre de Riton répondent en écho à Vive la Sociale et Rue des Rigoles chez Gégé.
Natif de Paname à Belleville dans le XXe, d’une mère qui enseignait l’anglais dans les cours Berlitz et d’un pater à la SNCF, le jeune Gérard baigne dans la réalité sociale. Il quitte l’école à 15 balais, alors qu’il est réputé bon élève. Sauf qu’il voulait gagner sa vie et son indépendance. L’imprimerie, repère d’anars, lui tend les bras et la culture pardi, comme véritable école libre de la vie !

A côté, les jeunots auteurs Tristan Garcia et Yannick Haenet, glorifiés sur le thème de la révolte, sous le titre fallacieux : retour sur une insurrection, par un canard bobo collabo de classe truffé de pages de pub, n’ont rien compris au film !

Outre le long métrage adapté par Gégé lui-même de son premier roman sur les grands écrans, Vive la Sociale, c’était aussi un des fameux slogans scandé par le peuple de Paname durant la Commune de Paris. Etonnant non ? On en revient toujours à la même époque charnière, que les manuels scolaires ont tendance à gommer, tout comme désormais le terme « genre » par le ministère amer de l’Education nationale qui se couche devant les hordes cathos /fachos qui déferlent dans nos rues en toute impunité. On vit une époque formidable de passivité orchestrée de main de maître par cette sociale démocratie aux ordres du Medef et de la Bourse. Bonnets rouges et blancs bonnets tirent les marrons du feu sur le dos des vrais gens qui courbent l’échine à rembourser les holdups coutumiers de cette caste bien installée. Si les Communards avaient eu la fatuité de brûler la Bourse de Paname, lieu symbolique des affaires, sans doute que le cours de l’histoire aurait pris une autre tournure. Même que la boucherie de 14 / 18 n’aurait jamais eu lieu ! Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Anatole France  : « On croit mourir pour la patrie : on meurt pour des industriels  ».

Vous devez vous dire, ça y est, elle est encore défoncée à la révolte, cette foutue bestiole de Singette. Révoltée certes, oui toujours, mais pour raccorder mon article je vous livre la première page des propos tout aussi réalistes tenus par Gérard Mordillat. Au début était Xenia
« Dans les jours de l’année 2014… alors que la crise mondiale de la finance a réduit des millions d’hommes et de femmes au chômage, à la précarité, à la misère ; alors que les nationalismes, les intégrismes, les fascismes alimentent chaque jour la marée montante du crime et de la bêtise ; alors que les guerres civiles déchirent les pays d’Afrique, d’Asie, d’Amérique du Sud, que le Moyen-Orient est à feu et à sang ; alors que l’Europe est au bord d’une insurrection générale ; alors que les Etats-Unis se replient sur leur bigoterie native et leur militarisme à tout va ; alors que l’illettrisme, la faim, l’épidémie, la peur chevauchent toutes les sociétés, tels les quatre cavaliers de l’Apocalypse, en France, sur le parking de la cité des Proverbes, dans la banlieue parisienne, une jeune femme claque la portière de sa voiture et se dirige, courant presque, vers l’entrée de la tour où elle habite, au septième étage, bâtiment C.
Il faut que ça tombe le jour de ses vingt-trois ans !
 » (Page 9)

Xenia qui signifie l’étrangère entre en lice dans le roman…

Encore plus étonnant, l’exergue en clin d’œil à Arthur Rimbaud, annonce la couleur…. Gérard nous conte une lettre d’Arthur en points de suspensions. Quand sera brisé l’infini servage des femmes… . Le Bartos est estomaqué, tu parles Charles. Il l’avait déjà glissée, mais en entier, cette sacrée lettre dédiée aux femmes libres, dans son roman Dagmar (qui cherche toujours un nouvel éditeur)

Xenia, jeune femme de nos jours est flanquée d’un bébé de cinq mois. Plus réelle tu meures, tant le Gérard Mordillat cinéaste et celui romancier se mélangent et se conjuguent au présent du parfait. Elle court après sa vie de ménages en ménages. L’authenticité de ses personnages nous touche de plein fouet. Mais oui c’est bien sûr, Xenia ou son sosie je l’ai croisée un jour ! Elle n’est pas gâtée par la vie, la petite ! Une mère à côté de ses pompes qui ne l’a jamais aimée. Des horaires impossibles, une vie sentimentale avortée. Elle n’en demeure pas moins pour autant femme, avec ses envies charnelles, ses désirs secrets et son amour immodéré pour son nourrisson. Autour d’elle, dans la cité gravitent des personnages secondaires ou involontaires qui lui donnent le change, mais tous très importants. Il y a d’abord Blandine sa voisine qui ne s’est jamais remise de la disparition, sans laisser d’adresse, de son bel homme venu d’Afrique. Il lui a laissé un ado lecteur assidu de Malcom X, qui regimbe contre sa condition, à qui les cognes assènent des contrôles d’identité au faciès bronzé. Du haut de sa mine fine et agréable, il est tombé en amour pour Xenia. Il lui garde le bébé et se considère comme son père.
Blandine, la trentaine épanouie, femme délaissée se bat elle aussi et se solidarise avec Xenia. Ces deux Thelma et Louise, ces fortes en thèmes ne baissent jamais les bras et restent cois malgré la précarité de leur pré carré quotidien. Je suis avec toi, avance craintivement Xenia. / (Blandine) T’a raison, nous on et toutes les deux ! C’est unique, c’est formidable. On s’aide, on se soutient, on se parle. Rien que ça, c’est énorme : on se parle ! Est-ce que tu parles avec tes collègues, à part, bonjour, bonsoir, ça va, ce matin ? Non. Jamais. Tu bosses, tu bosses, tu bosses. Nous, on se parle, on se regarde pas comme deux chiens de faïence ! (page 102)

En cas de mouise, de coup de grisou, de l’emploi qui glisse entre les pognes, les deux femmes se rabibochent et gambillent une bamboche du tonnerre
J’ai aussi été très étonnée par les facultés de Gérard, l’homme de plume, de se glisser dans la peau de ces deux femmes, sans dénoter la sueur, le grain de peau, l’intimité féminine. C’est très surprenant, cette capacité d’écrivain qui n’est pas donné à tout le monde. Loin s’en faut ! Chapeau l’artiste, il m’a bluffée !
De plus, quand je lis certains dialogues de Xenia, j’entends parfois la voix de ce cher Jacques Prévert qui soufflait ses répliques à Arletty, alias Garance dans Les Enfants du Paradis. J’adore ça la liberté . Je ne suis pas belle, je suis vivante . C’est pour vous dire encore la qualité des échanges sur le mode incontestable du talent de Gérard Mordillat ! Ses mots appellent des voix et même des images.

Il y a aussi le garagiste au grand cœur, l’épicière maghrébine qui se dévoue toujours avec amour pour Xenia, si elle n’a pas trouvé une personne de qualité pour garder son bébé. Un directeur d’une agence de banque qui a trahi l’éducation de ses parents profs militants de la laïque et qui, dans un élan des tripes, va ouvrir de nouveaux horizons à Xenia. Il y a des passages stupéfiants à son égard, où le zigue, peintre figuratif de la vague à ses heures défie la lumière sur sa toile et où les yeux ébahis de Xenia se perdent dans ses mots et la douceur de son approche sensuelle. J’adore aussi forcément le syndicaliste naturiste en couple qui pratique l’amour libre et le naturisme à Montalivet et dont le drame existentiel de sa compagne réside dans le fait de ne pas avoir d’enfant. Il y a une femme sans papier et ses deux enfants. Elle trime à en crever de devoir se cacher. Il y en a tant d’autres, tous aussi attachants et nous concernant de près, puisque vivants dans notre entourage proche…..

Et puis, et puis, il y a toute la vie et la cité qui explose. L’élément déclencheur : « le vol » de fruits plus très frais par Blandine dans la poubelle du supermarché où elle est employée et l’éviction de son turbin.
Vous vous rendez compte qu’un truc pareil arrive en France aujourd’hui ! Pas dans un bled paumé au Moyen-Age, ici maintenant dans une société qui gagne des milliards en Bourse ! (page 358)

Big Brother surveille jusque dans les chiottes de l’hyper où les collègues de Blandine et Xenia travaillent. Le cauchemar intégral à l’état pur qui distille ses pires saloperies. Et pour prouver que cet état de fait n’est pas de la pure fiction littéraire, j’ai lu un article en date du jeudi 6 février 2014 dans Sud Ouest page 13 qui s’intitule : Filmés de trop près. Dans un hypermarché à Saint-Médard-en-Jalles (Gironde), 138 caméras de surveillance sont activées dans son enceinte. Dont 39 filmant des lieux hors publics, style la salle de pause des salariés ! Etonnant non ? Quand la réalité dépasse la fiction….

Gérard Mordillat, comme dans ses précédents romans, pointe des réalités sociales qui font mal. Il demeure néanmoins optimiste dans les capacités des personnes concernées à s’organiser, résister, lutter. La scène finale jubilatoire à l’hypermarché illustre parfaitement son état d’esprit. Je vous la laisse deviner, en lisant cette réplique digne des anarchistes de la Belle Epoque.C’est pas du vol, c’est de la reprise individuelle ! répond la jeune femme lui riant au nez. (page 365)

La rencontre avec Roberto Rossellini à la Cinémathèque de Paname du jeune Gérard n’est pas insensible à ses écritures, tant cinématographiques, littéraires et documentaires. Ses adaptations Des Vivants et des Morts en épisodes pour la télévision de son propre roman, son documentaire à propos d’Artaud et ses tribulations autour de la figure tant controversée de Jésus Christ avec son compère Jérôme Prieur, prouvent s’il en était encore question, l’éclectisme de bon aloi et son ouverture d’esprit.

Je terminerai par un clin d’œil de joie de vivre et d’humour sous la contrainte et les exercices de style à la bande à Queneau et l’Oulipo, auxquels il aime se livrer pour notre plus grand plaisir, les dimanches après la messe sur France Culture dans la fameuse émission Les Papous dans la tête. Son rire résonne au micro et me ravit toujours. Je ne boude pas mon plaisir de vous livrer un rap à la Mordillat, intitulé mon cher Victor : Totor dans le 9.3 (09/ 02 2014). http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4789990
Mais aussi, quand un Papou lit un autre Papou, l’excellente, la sublime chronique de Dominique Muller à propos de Xenia justement (26 / 01 / 2014) :
http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4777546

Ce roman militant concernant directement l’humaine condition d’une femme et ses frangines de mouise, toutes debout sur le pont, sur le ton du réel sans fard, Xenia révèle tous les talents de l’écrivain Gérard Mordillat à l’écoute et à la vision justes, sans fioriture. L’essentiel, rien que l’essentiel, avec ses tripes il exprime son empathie bien naturelle et fraternelle pour son personnage Xenia. Les rêves ou la vie c’est pareil, comme s’esclaffe Garance, la fleur rouge du pavé de Ménilmuche dans Les Enfants du Paradis sous la plume de l’ami Jacques Prévert.

Je vous laisse deviner les rêves de Xenia……..

Xenia de Gérard Mordillat, éditions Calmann-Lévy, 371 page, janvier 2014, 18,50 euros