Pasolini (1975), « Salo » de fachos !

Pasolini (1975), « Salo » de fachos !

Rayé en majorité par la critique, censuré, « Salo Les 120 journées de Sodome », tourné en 1975, adaptation de l’œuvre de Sade au cinéma dans le contexte du régime fasciste mussolinien, évoquait déjà une virulente critique de la société de consommation et coûta la vie à son auteur Pier Paolo Pasolini. Voir ou revoir jusqu’à la nausée des mains sales, « Salo » en version restaurée, la rétrospective Pasolini à la médiathèque de Paris et l’exposition intitulée « Pasolini Roma ».

L’histoire : au temps de la République de Salo, des fachos se lâchent et font régner la terreur au château. Jeunes femmes et jeunes hommes sont le jeu des tourments de leurs quatre tortionnaires qui vont crescendo de mal en pis réaliser tous leurs fantasmes dans l’horreur et la torpeur. Ils engendrent les sacrements de la danse macabre des corps humiliés et totalement décérébrés jusqu’à l’apothéose de la scène finale. Cette « illumination », comme la désignait Pasolini, entre le texte de Sade et la mise en réalité des images, représentait l’idée formelle du film. « Le sadomasochisme de Sade a une fonction bien spécifique et claire : représenter ce que le pouvoir peut faire du corps humain. La réduction du corps à l’état de chose, le trafic de corps. L’annulation de la personnalité de l’autre. C’est un film sur le pouvoir mais aussi sur l’anarchie du pouvoir. Rien n’est plus anarchique. Ce que veut le pouvoir est totalement arbitraire ou dicté par des nécessités économiques échappant à la logique.  » (Pasolini)

« L’anarchie du pouvoir » ! Chapeau l’oxymore qui mord, digne d’un marxiste orthodoxe sans tort et sans remord. Non-sens épatant pour épater les pécores entre ces deux termes antinomiques et fratricides par excellence ! A part cette anicroche et ce bémol sémantique, la lecture du film dans le contexte de son époque relève le gant de l’arrogance. Au même titre que dans les années 70, ces hordes de fachos qui prenaient leurs aises avec la liberté de défiler en uniforme à Bologne et dans d’autres foyers urbains italiens, avec le salut fasciste à la foule qui les applaudissait. « Quand on eu l’idée de transposer Sade en 1944, à Salo, j’ai vu la chorégraphie fasciste  ». (Pasolini)

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Le poète des images, rebelle, homosexuel et communiste, en résonance de la mise en scène de son film, paya de la vie à trépas son défit. Après les heurts violents de la scénographie avec nos esprits estourbis, il est possible d’y discerner d’autres sens. Je pense particulièrement à la critique radicale de la société de consommation qui consume jusqu’au dernier élan de liberté, les citoyens aliénés, volontaires opprimés et forge un cerveau disponible comme avec la télé. « Bien sûr, je suis influencé par une sainte horreur du pouvoir d’aujourd’hui. Il manipule les corps de façon horrible et n’a rien à envier à la manipulation exercée par Himmler ou Hitler. Il les manipule en transformant la conscience, de la pire façon qui soit, en instituant de nouvelles valeurs aliénantes et fausses, celle de la société de consommation qui aboutissent à ce que Marx nomme un génocide des cultures vivantes réelles et précédentes  ». (Pasolini)

Quand la vie de château est gérée comme un camp récréatif de consommation par le sexe et l’avilissement sexuel, c’est le fascisme triomphant qui gouverne aux destinées des vacuités cérébrales.
Effrayée, je ne peux que constater certaines similitudes d’après régimes sociaux-démocrates. Lors de la République de Weimar et l’émergence du petit peintre viennois Führer de mort et celle qui se prépare bleu marine issue pareillement des urnes en France actuellement.

Sur le plateau, malgré l’extrême tension du thème, régnait une ambiance de pensionnat avec entre autre, des acteurs adolescents entre 14 et 18 ans et les blagues de potaches qui rythmaient les scènes crûes. La comédienne Hélène Surgere qui interprétait l’une des diva-conteuses s’étonne d’ailleurs du climat du film : « Quand j’ai vu le film, je me suis demandée comment on avait pu faire quelque chose d’aussi terrible sans s’en apercevoir  ». Froid aux yeux, Pasolini, jamais ! Une quarantaine d’acteurs étaient présents en permanence et étaient matés par quatre caméras.

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Les avis divergent à propos de ce film et ne sont jamais indifférents : « Pasolini s’applique à disséquer la société de consommation, à la mettre à mort parce qu’elle est un nouveau fascisme. Cette société, il l’exècre et son film doit être exécrable  » Maria Bojikian (critique cinéma) et Catherine Breillat (réalisatrice) entrent en concorde : « C’est le seul film au monde qui doit exister, c’est en ce sens que c’est un des meilleurs films mondiaux, je pense, y compris si on n’est pas capable de le voir ».

Le débat reste entier autour de Sade et les interprétations en images proposées par Pasolini. Les amoureux du divin marquis voient dans ce film une description de Sade en actes décrit comme un vulgaire fasciste dans la dénaturation et le détournement de ses écrits, pour lesquels Sade n’était pas le défenseur de toutes ces horreurs décrites.
Les défenseurs de Pasolini voient quant à eux une dénonciation du fascisme et la banalité du mal absolu.

Gaspar Noé autre cinéaste inspiré par « Salo » n’en démord pas non plus. « Ce film reste dans la mémoire pendant des années car il montre le plus négatif de l’espèce humaine. Salo est sans doute le film le plus hard qui soit  ».

Peut-être aussi sur le théâtre des images, depuis 1975, le fric a tout déréglé et saccagé. Il est d’autant plus difficile de faire du cinéma quand la télévision est devenue l’opinion. Berlusconi donne raison sur ce point à Pasolini. « L’argent a tout corrompu, je veux aller me cacher  ». (Pasolini)

A vous de voir ou de revoir en version restaurée « Salo ou les 120 journées de Sodome  » de Pier Paolo Pasolini.

Pour information, la Cinémathèque de Paname consacre une rétrospective Pasolini entre le 16 octobre et le 1er décembre ainsi qu’une exposition à ne pas rater « Pasolini Roma  » du 16 octobre au 1er décembre 2013.

Salo Les 120 journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini 1975, version originale sous-titrée, couleurs, durée du film 117 minutes, interdit aux moins de 16 ans, version restaurée, distribué par Carlotta Films, sortie le 16 octobre 2013