Pasolini invite en 1969 le mythe décomplexé de Médée !

Pasolini invite en 1969 le mythe décomplexé de Médée !

Pier Paolo Pasolini (1922 / 1975) signe un film difficile d’accès adapté très librement du texte d’Euripide. En tout cas je me suis perdue dans les paysages sublimes et la crinière de Maria Callas presque muette en Médée. J’ai chevauché comme un cheval fou à dos de Laurent Terzieff jeunot. Certes, je ne dirai pas que c’est mon Pasolini préféré, je mentirai. A mon avis il faudrait le revoir plusieurs fois à des moments différents de son existence. Je parie qu’on décèlerait de nouvelles perceptions. C’est ce que je vous invite à amorcer, d’autant que 3 joyaux du cinéma de Pasolini ont été restaurés pour l’occasion et que la cinémathèque de Paname lui consacre une rétrospective et une exposition.

J’avoue clairement et sans ambages en avoir bavé d’écrire cette chronique de film. L’adaptation en costume d’époque du mythe de Médée d’après la célèbre tragédie d’Euripide, j’en perds mon grec ancien !

Pasolini, en tant qu’écrivain, journaliste, poète a de quoi couvrir dix œuvres de la Pléiade ! Cette partie de son œuvre reste encore trop méconnue. Pasolini cinéaste, est cher à mon cœur et me touche toujours pour la richesse de ses personnages incarnés et aussi par ses prises de position antagonistes en Italie. A la fois compagnon du parti communiste avant d’en être viré pour une affaire de mœurs. Cinéaste engagé mais aussi franchement réactionnaire. Très critique envers les jeunes révolutionnaires des années 68 : « j’ai passé ma vie à haïr les vieux bourgeois moralistes, il est donc normal que je doive haïr leur enfants aussi… La bourgeoisie met les barricades contre elle-même, les enfants à papa se révoltent contre leurs papas. La moitié des étudiants ne fait plus la Révolution mais la guerre civile. Ils sont des bourgeois tout comme leurs parents, ils ont un sens légalitaire de la vie, ils sont profondément conformistes. Pour nous nés avec l’idée de Révolution, il serait digne de rester fidèles à cet idéal ».
Mais aussi, au grand dam de ses frangines féministes et frangins homosexuels, il était un fervent militant contre l’interruption volontaire de grossesse. Il a l’illustré ses arguments dans la prose de son célèbre article intitulé : « Je suis contre l’avortement ». Puisque selon lui : « Le vie profonde est utérine, c’est là que commence les prémices de la vie ». On croirait presque lire dans ses propos les tables de la loi des fachos cathos qui se sont illustrés en France dernièrement pour casser le mariage entre personnes de même sexe !

Et ce au tournant de sa vie à trépas violent à la veille du tournage de Salo ou les 120 journées de Sodome et son assassinat jamais élucidé sur une plage près de Rome. Soit disant en passant un crime de mœurs entre homosexuels ! Alors qu’une hypothèse est sortie au grand jour dans la bouche même de son « assassin » qui prétendit en 2005 qu’il y avait eu trois autres hommes en sa présence le soir du drame. Pasolini était sur le point de révéler une thèse sur la mort d’Enrico Mattei (grand magnat du pétrole italien) qui mettait en cause la Démocratie chrétienne, des groupes pétroliers, la mafia et la Cia. Rien que ça ! A ce sujet un journaliste qui lui aussi voulu donner le même son de cloche a été mystérieusement supprimé !

Pier Paolo Pasolini fut aussi un esthéticien de l’éros à l’écran, un héros cinéaste à lui tout seul de La Trilogie de la Vie des années 70 : Le Décaméron, Les Contes de Canterbury et son chef d’œuvre des Mille et une nuits. Le pendant de ses films au fleuron mystique !

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Une vie écourtée qui le fit presque comparer à ce cher Rainer Werner Fassbinder côté Outre-Rhin, ces deux génies étaient capables de tourner un film par an sans jamais les bâcler et rebondir d’un film sur l’autre dans des directions souvent très opposées. Les petites gens avaient toujours leur place dans leurs films ainsi que le rôle dévolu aux femmes comme héroïnes dignes de Mère Courage de Brecht par deux hommes qui aimaient les hommes ! Le renouveau sans cesse du cinéma passa par ces deux réalisateurs écorchés vifs décédés dans d’étranges conditions !

Pour en revenir à Médée et essayer de dresser un résumé d’autant plus difficile, que les personnages ne portent pas sur le front leur blaze. Il m’est d’autant plus impossible avec mes yeux de Singette de les authentifier et si en plus je devais comparer l’adaptation cinématographique avec le texte originale d’Euripide, je rends mon clavier ! Je ne pense pas être la seule dans ce cas désespéré. Bon, je vais quand même essayer.

Médée est une femme magicienne portée pour l’unique fois à l’écran par la cantatrice pas du tout chauve Maria Callas. Je vous rassure, elle ne donnera pas de la voix des envolées lyriques comme à l’opéra, puisque comme moi Pasolini détestait cet art lyrique. D’ailleurs, à tout bien considéré, elle est presque entièrement muette du début à la fin du film. En revanche sa présence scénique, son regard et sa chevelure ne laissent pas de marbre.

Elle est la fille du roi de Colchide (pas celui du colchique dans les près apparenté au costume trois pièces uniforme aux tours à la Défense). Jason en prince charmant ramène sa fraise à l’haleine fraiche. Il est venu pour faucher la Toison d’or, qui n’a rien d’un attribut pileux à essence sensuel que la décence m’interdit de nommer moule à frire. Elle tombe raide dingue du jeunot et décide de voler elle-même le trophée et s’enfuir avec son fringant amant. Et ils eurent deux enfants. Seulement Médée sans être devenue une mémé pour autant, représentait moins d’attraits qu’au début de leur rencontre. Jason décide d’épouser la fille d’un roi. Plus dure sera la colère de Médée la magicienne qui révèle tous ses pouvoirs morbides.

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Médée s’inscrit dans la trilogie de Pasolini autour des mythes avec L’évangile selon Saint Mathieu et Œdipe roi.

Médée s’est voulu une expression politique sous la caméra et l’œil du poète Pasolini entre la confrontation de deux représentations du monde, celui barbare et primitif représenté par Médée apparenté presque à la notion de sous-prolétariat évoqué par Marx. Alors que Jason lui se décline l’échine sous un monde du capitalisme naissant.
Dans la bouche du poète Pasolini, ça donne : « Médée est la confrontation de l’univers archaïque, hiératique, cléricale, avec le monde de Jason, monde au contraire rationnel et pragmatique. Jason est le héros actuel qui non seulement a perdu le sens métaphysique, mais en plus ne se pose plus de questions de ce genre. C’est le technicien aboulique, dont la recherche est exclusivement portée sur le succès  ». Au début j’avais lui d’un œil distrait : le technicien alcoolique… Faut dire j’avais éclusé cul sec deux bières bien tassées pour m’éclaircir les idées et réussir à me mettre au travail pour rédiger cet article.

Vous pensez bien, trop heureuse de découvrir un nouveau mot de vocabulaire, je me suis précipitée sur mon dico. Aboulie : allitération pathologique de la volonté, incapable à décider, synonyme neurasthénie. Et du coup je me suis mise à relire Les 21 jours d’un neurasthénique du père Mirbeau. Trois semaines plus tard et pas qu’un peu à la bourre je me replongeais dans mon article…..

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Mais comme les paysages du film me subjuguaient… Pasolini aurait tourné au conditionnel Médée en Syrie et en Turquie ! Ça fait rêver avec les révoltes bien légitimes qui se trament dans ces deux pays. Actuellement il aurait été inconcevable d’avoir l’idée de tourner tout là-bas !

C’est aussi pourquoi, arrimée fermement à mon fauteuil, rivant mon regard à suivre les pérégrinations de Médée et Jason le couple de l’année, j’ai été sublimée de les voir évoluer dans de tels paysages splendides. Et à force, j’ai perdu mon idée de départ d’identifier tous les personnages et j’ai réussi à y venir à bout de ce film d’une esthétique comme toujours chez Pasolini, presque parfaite.

Le jeune Laurent Terzieff en Centaure ne m’a plus étonné plus que cela. J’ai laissé mon esprit dériver au fil des images et j’en suis ressortie sans trop avoir tout compris, mais avec la perception d’une histoire hors du temps perdu d’un Marcel Prout dont on nous rabat un peu trop les oreilles ces temps-ci.

Et puis finalement à bien y réfléchir, entre Médée de Pasolini et celui plus près de nous de Lars von Trier sanglant inesthétique et sans âme, je préfère encore celui du poète italien tellement plus sensible.

A vous de voir ou de revoir en version restaurée Médée de Pier Paolo Pasolini.
Pour information, la Cinémathèque de Paname consacre une rétrospective Pasolini entre le 16 octobre et le 1er décembre ainsi qu’une exposition à ne pas rater « Pasolini Roma  » du 16 octobre au 1er décembre 2013.

Médée de Pier Paolo Pasolini, 1969, version restaurée, 110 minutes, version originale sous-titrée, couleurs, distribué par Carlotta Films, sortie le 16 octobre 2013