Bio 100% Léo Ferré à gueule d’ananar et de chimpanzé !

Bio 100% Léo Ferré à gueule d'ananar et de chimpanzé !

Ludovic Perrin nous livre un Léo Ferré intime et brisé depuis son enfance massacrée chez les curés. Adulte, il a trouvé amour et réconfort auprès des animaux et particulièrement avec Pépée sa fille adoptive chimpanzé pour le meilleur et pour le pire. Deux femmes ont également marqué son destin. Madeleine l’a soutenu durant la phase difficile de sa vie d’artiste et Marie-Christine autodidacte d’origine espagnole fut l’inspiratrice de ses œuvres les plus éclectiques et révolutionnaires. Durant plus de quatre décennies, la galaxie Léo Ferré a fécondé les arts musicaux et textuels d’une semence explosive. Sa graine d’ananar a muri le renouveau de la chanson francophone. Sacré Léo, l’unique !

Le livre commence par ses lignes, histoire de vous mettre dans le bain de l’approche originale de Léo Ferré, l’homme brisé.
« Il était une fois un homme qui dormait avec des singes. Parce que des hommes lui avaient soufflé son innocence, eux seuls pouvaient le comprendre, eux seuls pouvaient le rendre à ses silences. Ils ne permettaient pas de s’inviter dans sa tête, de chercher à saisir ce que le sommeil ne parvient plus à étouffer, ce à quoi il oblige dans les tréfonds de la conscience et qui continue de nous hanter, spectres enfouis, peurs irrésolues jaillissent par spasmes aux douze coups de minuit. » (page 11)

Ludovic Perrin est journaliste et auteur de cette biographie de Léo. Il nous conte l’histoire en désordre, depuis son enfance monégasque dans une famille rupine, aux sévices sexuels de l’enfant Ferré matricule 38 au Collège des Frères des écoles chrétienne de Bordighera pensionnat en Italie entre neuf ans et demi et ses dix-sept ans. Il nous raconte ses trois femmes dont deux surtout l’ont accompagné tout au long de son existence, ainsi que les lieux ce vie différents qui l’ont marqué et à ses engagements anarchistes.
Biographie romancée au sens du rythme et de la qualité d’écriture de Ludovic Perrin qui y a mis du sien pour coller au plus près de la vie de Léo, en interrogeant, ses proches, les personnes qui l’ont bien connu ou se sont activées à travailler avec lui. Jusqu’aux spécialistes, une pédopsychiatre, un curé psychothérapeute spécialisé des questions de pédophilie dans le clergé, afin d’entrer dans les ressacs et les ressors complexes du personnage Ferré.

Un regret vient légèrement altérer mon enthousiasme. J’aurai apprécié lire quelques échos des enfants de Jean-Roger Caussimon, à propos de la relation de leur père, en tant qu’ami libertaire et parolier pour certaines chansons de Léo. Même si je sais qu’ils se voyaient trop peu mais s’estimaient réciproquement beaucoup.

Tout commence avec Pépée….
« J’voudrais avoir les mains d’la mort / Pépée / Et puis les yeux et puis le cœur / Et m’en venir coucher chez toi / Ça changerait rien à mon décor / On couche toujours avec ces morts (x3) / Pépée  »

Extraits, vous l’aurez sans doute reconnu, des vers de « Pépée », la chanson qui immanquablement attirait les larmes lorsque Léo l’évoquait ou l’interprétait. Tellement cette gamine singe, il l’a considérait comme sa fille au destin tragique.
A l’Alambra de Paname où Léo se produisait, un dresseur lui présenta un jour Gloria, une femelle bébé chimpanzé qui souffrait de pleurésie et allait jouer la vie brève. Léo tomba raide dingue du drôle d’animal. Qui aurait pu lui résister ? Elle s’appellerait désormais Pépée. Cependant, le dresseur le mit en garde : « Faites attention ! Très vite, si c’est pas vous le patron, c’est elle  » (page 26). Léo resta sourd à ses conseils, et pourtant…. Quelques années plus tard, quand elle mesura pas loin de 1,5, forte comme 7 hommes, ce fut elle, pardi, qui fit régner sa loi et instaura un climat de terreur à la vie de château.
Cette question me concerne directement, en tant que Singette. J’ai toujours été solidaire de Pépée, jusqu’à très récemment où j’ai lu un article dans Libé à propos des simagrées de la miss. Chris Herzfeld spécialiste bien connu des grands singes me remit aussi en place. Selon sa conscience professionnelle habituelle, elle m’indiqua le caractère dangereux des chimpanzés dans leurs accès de colère. La lecture de ce livre me convainquit définitivement.

C’est dans le Lot que Pépée occupa sa dernière demeure. C’était un château d’antan acquis en 1963 par Léo Ferré. Il le nomma Perdrigal qui signifie perdrix en occitan. A l’île du Guesclin près de Saint-Malo, sa précédente demeure, la guenon parvenait à fuguer. Dorénavant, Perdrigal permettait à Pépée de s’ébattre en toute liberté et prendre ses aises avec les personnes et l’espace non restreint. Bientôt, une arche à la Léo envahit tout le domaine. « Pépée trônait au milieu d’une arche de Noé. Personne ne lui tenait tête, ni le chien Golaud, ni Misère (un chien à trois pattes depuis que Pépée s’était amusée à le faire tournoyer en l’air par une patte) ni Black, ni Yvan le Terrible, un des quarante chats du château, encore moins le cochon Baba, les brebis, ânes ou vaches de Perdrigal. Les humains non plus ne s’y risquaient pas  ». (page 47)
Seuls Léo et Madeleine sa seconde femme tentaient d’arraisonner la bête et de se faire entendre. Perclus d’amour pour elle, ils n’en avaient guère la force et la volonté. L’harmonie dans le couple commençait à vaciller et des orages de plus en plus fréquents éclataient.

Et pourtant, tandis que Jacques Brel attendait sa Madeleine à Bruxelles, la madeleine de Marcel Prout mise en abîme pour l’infini nombril de Raphaël Enthoven sur France Culture me plongeât quant à elle dans un profond sommeil. Tandis que la Madeleine de Léo avait été une présence attentive durant presque deux décennies. Ce fut elle qui forgea l’artiste, lui donna confiance, lui apprit à se tenir sur scène, mais aussi celle alcoolisée, déchantée, déchaînée, abandonnée à elle-même sous le regard de la guenon narquoise. A bout de force, c’est encore elle qui fit abattre Pépée le 7 avril 68. Cet acte criminel marqua la rupture définitive du couple et la ruine de Perdrigal.

Léo mit du temps à se remettre de ce deuil et se voua à corps et à cri au clavier, afin d’honorer de son amour fou. Marie-Christine, une toute jeune femme d’origine espagnole qui s’occupait des autres singes. C’est aussi cette autre histoire-là que raconte le livre ainsi que la renaissance à tous les sens du terme de Léo à la vie créative en Toscane, les sens en effervescence. De cet amour naquit les premiers enfants de Léo et Marie-Christine, dont Mathieu qui paraitra en couverture d’un de ses disques. Il perdure la mémoire de son père en publiant et diffusant ses œuvres musicales et textuelles.

De cette période faste, Léo bien entouré tira les salves de jouissances de ces albums les plus aboutis et les plus courageux, prenant à contre-pied son public parisien pour s’ouvrir à un public plus jeune en révolte et toujours plus enthousiaste.
C’est extra, Léo à graine d’ananar entra en rébellion contre son répertoire plus conventionnel. Il déclama de longs monologues enragés d’un chien sans collier. Ces incantations constellèrent la poétique à sa trique. Il baisa la musique avec les mots, leur donnant du rythme électrique sur un tempo d’enfer. Thank you Ferré ! Il n’y a plus rien et du passé il fit table nase. La solitude, comme un murmure déployé, lui déclencha le conditionnel de variété.
« Comme si je vous disais que les amis de vos amis peuvent faire des millions d’amis / Comme si je vous disais d’aller tous ensemble faire la révolution / Comme si je vous disais que la révolution c’est peut-être une variété de la politique / Et je ne vous dis rien qui ne puisse être dit « de variété » moi qui ne suis qu’un artiste de variété  » (in « Le conditionnel de variété  »).

Léo se réveille… Le Léo mortifié de 68, avec la mort de sa fille guenon à porter comme un exercice de style décapé à jamais. Léo exsangue des barricades porte l’estocade. En ouverture musicale, le groupe Zoo aux consonances t’es rock coco avait ouvert le bal de toutes les cages et jeté les clés, à recouvrer la liberté de tous les animaux en révolte. Pour l’enregistrement Léo ne leur donna qu’une indication : «  Si vous ressentez quelque chose, jouez-le, je veux l’entendre avec votre instrument, votre son, vos vibrations. » page 166)

Léo intime oublia Madeleine. Il se confia, avec le temps, et sa nouvelle muse Marie-Christine lui souffla quelques paroles émouvantes. « Ne rentre pas trop tard surtout ne prends pas froid  ». Même si lors de ses derniers concerts et au Théâtre libertaire parisien (T.L.P), Léo s’emportait et revenait au galop le naturel de son ancienne querelle. « Avec le temps, avec le temps, CONNASSE (ou) SALOPE » venait vriller le texte d’origine.
« Au TLP Déjazet, le théâtre libertaire parisien situé près des Grands Boulevards et surtout de la librairie anarchiste du 145 rue Amelot qu’il visitait et soutenait financièrement, Léo avait instauré un rituel avec son public. Avant de quitter la scène, à l’issue d’un tour de chant effectué exclusivement sur bandes magnétiques, le chanteur ne sachant d’ailleurs pas trop comment occuper ses bras pendant les passages instrumentaux, demandait une ultime faveur : que l’on n’applaudisse pas après le dernier morceau. Il partirait dans le silence complet. Cette chanson, bien évidemment, c’était « Avec le temps  ». (page 242)
Le disque tiré de cet enregistrement des concerts de Léo au TLP contredit au fil du temps cette affirmation de silence, tout comme le souvenir ému qu’en a le Bartos en tant que spectateur et acclameur bruyant. Autre chose, Léo s’accompagnait au piano et n’avait pas seulement des bandes sonores pour soutenir son tour de chant !

En 1970 à la Mutualité, puis en 1973, il avait essuyé les crachats et les quolibets d’autres anarchistes de la verve autonome qui lui reprochaient de gagner de la tune selon ses idées anarchistes. Alors que son potos George Brassens lui recommandait de mourir pour ses idées, mais de mort lente !
Le Bartos me souffle qu’il se rappelle lors sa terminale littéraire à Paname quand son prof de philo, un certain Léo D. mao mao l’avait aussi houspillé sur la même question, alors qu’il truffait ses devoirs de vers à la Ferré. La réponse est sans équivoque et basta ! « Non. Ça ne me gênait pas non plus de ne pas en gagner avec mes idées, toujours les mêmes. Vois-tu la différence qu’il y a entre moi et M Ford ou M Fiat, c’est que Ford et Fiat envoient les ouvriers dans les usines et qu’ils font de l’argent avec eux. Moi, j’envoie mes idées dans la rue et je fais de l’argent avec elles. Ça te gêne ? Moi, non ! Et voilà ! » (page 183)
Il n’empêche il a été très affecté par ces réactions et a failli tout laisser tomber !

Il faudrait aussi parler du Léo Ferré compositeur, interprète du répertoire classique. Le Léo qui dirigea un orchestre tout en chantant et se prit en retour des critiques haineuses de la part de l’intelligentsia classieuse !
Comment un vulgaire chanteur pouvait-il mener à la baguette tout un orchestre sans assassiner les grandes œuvres ? Vous imaginez ! Encore une nouvelle baffe dans la gueule de la part des rigoristes et autres cuistres de la clique réactionnaire !

Il faudrait aussi évoquer les poètes mis en musique par Léo (Aragon, Rutebeuf, Apollinaire, Baudelaire, Rimbaud, Verlaine et j’en oublie !

Je n’ai pas parlé non plus de la grande complicité sur scène avec Paupaul Castanier qui fut son pianiste, sans compter ses différents arrangeurs et toutes les personnes qui ont soutenu Léo dans son œuvre.

Sans omettre son enfance désastreuse et le massacre tant physique que moral qu’il subit chez les curetons en Italie….

Vous découvrirez la face cachée de l’homme meutri qui a forgé l’homme révolté et toute une œuvre conséquente aux mille fruits hétéroclites et si riches.

Pirouette cacahouète comme un chant d’humour et de dérision, pied de nez au pays franchouille et clin d’œil à sa Marseillaise à lui, Léo s’en est allé un 14 juillet de l’année 1993.

Mathieu s’occupe désormais entre autre des Editions La Mémoire de la Mer créées par son père. Ses autres enfants vaquent à leurs occupations. Marie-Christine veuve à 46 ans demeure très attachée à tout jamais à la mémoire de Léo. Depuis le ciel de Toscane, elle cultive ses 12 hectares de vigne et ses 4810 pieds d’oliviers.

Joan Pau Verdier en occitan ravive les vers de o Ferré, et au féminin, jamais une femme telle que Mama Béa n’a porté les chansons de Léo au diapason de la passion.

Je parie que dans dix mille ans, dix mille ans… comme dans la chanson où Léo rend hommage à Lochut, le poète anarchiste breton, on écoutera encore du Léo Ferré et, même que l’émotion et la révolte du bonhomme nous toucheront toujours autant ! Pas vrai Léo ?

Ludovic Perrin : On couche toujours avec des morts La remontée fleuve de l’enfant Ferré, Gallimard, 258 pages, avril 2013, 19,90 euros