Olivier Maulin : « Je crois qu’il faut souhaiter la mort aux cons et longue vie à la littérature » !

Olivier Maulin : « Je crois qu'il faut souhaiter la mort aux cons et longue vie à la littérature » !

Je ne pouvais pas rester sur le coup de cœur décerné à Olivier Maulin, je voulais creuser un peu le mode de fonctionnement du sacré bonhomme dans son écriture et ses thématiques. Il s’est révélé, je m’y attendais déjà, comme un peu fondu de littérature populaire, s’en réclamant lui-même, en empathie avec tous ses personnages le plus souvent à la marge. J’en ai appris aussi sur son humour et sa verve. Je n’ai pas été déçue, même que j’ai tout envie de lire de lui, le suivre et dire comme j’apprécie toujours et encore son œuvre sans frontière et ouverte à tous les univers de la rébellion en joie. Merci Olivier Maulin et bonne continuation !

A PACO AVEC TOUTE MA FRATERNITE AMICALE

Le Mague : Tu as déjà publié 7 romans qui mettent tous en scène une société alternative détachée des biens matériels. Non, mais sans dec, qu’est-ce que tu lui reproche au juste à notre divine et sacrée société de consommation où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil et brille comme dans une pub ?

Olivier Maulin : une société alternative, oui. Détachée des biens matériels, pas complètement. Disons que ces biens matériels sont remis à leur place, qui est celle de la soumission. Je n’ai rien contre les biens matériels, certains sont très utiles, mais je pense qu’une société qui fait de leur possession exponentielle le but ultime de la vie ici-bas est amenée à mourir d’ennui, si ce n’est d’une mort plus violente.

Le Mague : Tu peux justement nous en évoquer quelques exemples de tes 7 alternatives ?

Olivier Maulin : Disons que les personnages de mes livres se retirent du monde, à la manière des ermites ou des moines des anciens temps. Ils cessent toute collaboration et appliquent le principe anarchiste de non-coopération avec une société devenue folle. C’est en quelque sorte l’application du recours aux forêts qu’Ernst Jünger a puisé dans le vieux droit germanique. Quand les temps sont trop obscurs, les hommes libres ont toujours la possibilité de se réfugier dans la forêt inviolée et d’y vivre librement selon d’autres critères. Dans Les Evangiles du lac, la forêt-refuge est réelle, ailleurs, elle est plus ou moins symbolique. Mais la question est aujourd’hui de savoir si cette possibilité nous sera offerte encore longtemps ou si la modernité aliénante va prendre le contrôle de toutes les formes de vie et de représentation mentale possibles sur cette planète.

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Le Mague : Dans ton présent roman, tu évoques les milieux libres anarchistes à la Belle Epoque. Pourquoi ce choix et quelles ont été tes sources ?

Olivier Maulin : Je suis tombé il y a quelques années sur une édition en fac-similé de revues anarchistes de la Belle époque, des feuilles de choux parfois rédigées à la main et vendues à quelques exemplaires à la sortie des usines. Ces journaux parlaient notamment de quelques expériences « naturiennes » qui se déroulaient dans des communautés anarchistes ayant rompu avec la doxa « progressiste » et « pro-science » du courant anarchiste dominant. Pour ces ouvriers, le progrès tant vanté consistait à travailler quinze heures par jour dans les fumées d’usine pour des cacahouètes. Au lieu d’attendre la révolution qui les libérerait, ils ont préféré appliquer le communisme ici et maintenant dans des communautés qui ont progressivement décidé de se libérer des « faux-besoins » qui les aliénaient. A force de dépouillement, certaines communautés sont devenues végétariennes, puis crudi-végétariennes, puis nudistes. Il y a évidemment dans tout cela une recherche du paradis perdu qui rend cette séquence très belle. Mais il y a aussi dans ces journaux des critiques étonnantes et visionnaires (en est en 1900) des prémisses de la société de consommation ou de la pollution par l’industrie qui faisaient alors passer leurs auteurs pour des hurluberlus. L’étonnant, c’est que ces communautés annonçaient très clairement l’écologie et les mouvements que l’on connaîtra dans les années soixante, mais personne à cette époque n’a jamais fait le lien. J’ai trouvé deux livres seulement qui traitaient de cette question, Les milieux libres de Céline Beaudet (Les éditions libertaires, 2006) et Expériences de vie communautaire anarchiste en France de Tony Legendre (même éditions, même date) dont tu as découvert dans ton article qu’il était en effet une de mes sources… Quand j’ai eu l’idée d’écrire ce roman sur le bocage mayennais, j’ai décidé de faire revivre ce pan oublié de l’histoire populaire en imaginant un couple qui n’avait pas abandonné ce rêve libertaire. Dans la réalité, toutes ces expériences se sont terminées par des échecs… Mais la littérature n’est-elle pas souveraine ?

Le Mague : Quelles difficultés as-tu rencontré pour insérer des personnages anarchistes à la verve passée qui peuvent paraitre désuets à certains et qui causent comme à la Belle Epoque à une toute autre époque : de nos jours ?

Olivier Maulin : si j’ai bien compris ta question, elle a un rapport avec la langue. A vrai dire, je n’ai pas essayé de faire parler mes personnages comme à la Belle Epoque car ils ne vivent pas à la Belle Epoque mais aujourd’hui. Plus généralement, je ne crois pas à la « vraisemblance » en ce qui concerne la langue et les dialogues d’un livre. Le petit peuple de Paris et de ses faubourgs décrit par Céline n’a jamais parlé comme Céline le fait parler et d’ailleurs personne n’a jamais parlé comme Céline fait parler ses personnages, pas même lui ! Je crois qu’un écrivain peut se nourrir à toutes les sources, sans respect pour la vraisemblance sociologique ; son seul souci doit être de créer une langue et un univers propres. Prenons l’exemple du polar : on a d’un côté Simonin qui fait parler ses truands en argot 100% vraisemblable, mais reconnaissons que c’est parfois un peu ch… De l’autre, Ange Bastiani qui ne se préoccupe que d’inventer une langue qui claque, quitte à mettre des mots d’argot toulonnais dans la bouche d’un gangster de Saint-Ouen, sans souci de vérité autre que littéraire. Bref, tout ça pour dire que je fais parler mes personnages comme il me chante !

Le Mague : Tu adores jouer sur les contrastes. Ton personnage de Philippe Berthelot, commercial raté, n’est-ce pas un pléonasme dans toute son acceptation de le présenter ainsi ?

Olivier Maulin : Un pléonasme ? Je ne sais pas… Il y a des commerciaux qui ne sont pas ratés quand même… Le mien l’est, c’est sûr. Il ne sait pas y faire. J’aime bien les personnages d’inadaptés, d’abord parce qu’il y a matière à faire rire ; et puis parce qu’être inadapté à ce monde est bien souvent à mes yeux un gage de qualité.

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Le Mague : Il y a malgré tout une vie après le commerce pour Philippe Berthelot. Mais souvent dans la réalité, la plupart des Philippe marchent au pas cadencé et n’ont plus guère de choix que de se fiche en l’air ou écraser le concurrent, s’ils ne se révoltent pas contre leur condition. Quelles chances leur donnes-tu ?

Olivier Maulin : Celle de changer les règles du jeu ! Dans un précédent roman (Les Lumières du ciel), je mets en scène une sorte de clodo qui après une vie d’errance trouve sa place dans une communauté de paysans autonomes. Il n’est pas très doué et passe son temps à picoler mais il peut quand même filer un coup de main pour les foins, moyennant quoi les paysans lui donnent à manger. Ce n’est en somme que l’application de la manière solidaire dont les gens vivaient dans les anciens temps. Le « marche ou crève » contemporain est très récent, fruit de l’idéologie libérale qui a tout gangrené.

Le Mague : Tes deux flics des services secrets et surtout un m’ont fait penser à San Antonio sans Béru. Serait-ce cet auteur le Dard qui t’a piqué une piqûre de rappel ? Ou si ce n’est pas lui, c’est donc son frère ou ses frères ! Et qui seraient ces autres auteurs qui auraient pu t’inspirer, même si je pressens que tu n’as aucunement besoin d’eux pour écrire et que tu as déjà en toi ton propre style et approche littéraire ?

Olivier Maulin : Je suis très fan de littérature dite populaire qui exprime souvent un point de vue que l’on ne trouve pas dans la littérature plus savante. Je ne suis pas loin de penser qu’à une époque, pas si lointaine, où la littérature s’était enfermée dans des jeux stylistiques purement formels, c’est dans le roman noir ou dans les grandes séries héritées de la « littérature populiste » du 19e siècle que l’on retrouvait une gouaille, des personnages de chair et une révolte de ceux à qui la « grande littérature » ne donnait plus la parole, ou alors de manière tellement désincarnée que cela ne pouvait faite frémir que la Sorbonne. Je pense à André Héléna, Georges Simenon, Georges J. Arnaud, ou d’autres. Ceci dit, je n’ai jamais lu un seul livre de San Antonio, ce qui est sans doute une faute…

Le Mague : Tes personnages féminins sont aussi très étonnants. On a droit à une galerie de portraits, de la marâtre cuisinière frustrée en amour, à la jeune femme pimpante mais timide qui s’intéresse à la vie des livres, en passant par la belle Ninette anarchiste naturiste…. Ce serait laquelle de ces femmes dans ton imaginaire fécond qui a fait le plus frémir ton clavier et pourquoi ?

Olivier Maulin : Elles le font toutes frémir ! Tout comme les personnages masculins, j’aime beaucoup les personnages de filles paumées, de préférence quand elles couchent. Je les trouve touchantes. Globalement, j’essaie de sauver tous mes personnages, même le pire salaud ou la pire tarte.

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Le Mague : Dans le marasme nombriliste littéraire actuel : sortez vos mouchoirs, tu détonnes à plein régime. Non seulement, comme on l’a vu précédemment, tu tires à plein régime sur tous ce qui touche de près ou de loin à la norme et les conventions sociales. Seulement toi, contrairement aux militants souvent très chiants, tu es un littéraire qui sait allumer la mèche avec ton humour qui touche à tous les personnages et pas de quartier. Comment définirais-tu ton humour si bath qui m’a explosé des salves de sourires voir même des rires ?

Olivier Maulin : je suis d’accord avec toi sur le nombrilisme pénible à l’œuvre aujourd’hui, même s’il existe évidemment des romans, disons intimistes, qui sont des réussites. Mais le coup de la nana qui aime machin, qui lui aime bidule mais couche avec truc, c’est vrai que ça me fatigue un peu moi aussi. C’est triste à dire mais c‘est quand même souvent une littérature de gonzesse. On met forcément des tas de choses de soi dans un roman, souvent de manière inconsciente, mais de là à dérouler méthodiquement ses petites infirmités… Ce que j’aime, c’est raconter une histoire, faire vivre des personnages, créer des ambiances. J’évite en effet les discours même si j’en ai souvent la tentation. Quant à l’humour, je ne sais pas trop quoi en dire. Je crois qu’aussi bien dans mes livres que dans la vie, je vois toujours le petit côté amusant des choses. Ça me joue du reste des tours parce que j’ai du mal à écrire des scènes réellement tragiques. Je vois toujours le petit moment comique qui va faire basculer la scène. De plus, littérairement, j’aime beaucoup manier l’humour même si c’est souvent une alchimie délicate. Il faut bien entendu exagérer sans cesse mais si l’on exagère trop, on tombe de l’autre côté de la ligne de crête et on devient lourd. Globalement, dès qu’il y a conflit ou confrontation entre deux univers, il y a la possibilité de faire rire.

Le Mague : Tu véhicules une écriture cinématographique. Tu ne t’encombres pas de descriptions intempestives et tu donnes à parler la gouaille à tous tes personnages, que s’en est très jouasse de te lire. Quels sont les auteurs et ou cinéastes que tu soutiens du plaisir que tu as à toujours les découvrir ?

Olivier Maulin : On m’a déjà dit que j’avais une écriture « cinématographique » mais pour autant, je ne suis pas ce que l’on pourrait appeler un cinéphile. Un bon polar ou une bonne comédie française (réussie !) des années soixante-dix ou quatre-vingt me vont parfaitement. Quant aux auteurs que je lis, la palette est vaste. Je suis toujours un peu agacé par les frontières artificielles qui existent en littérature. On peut aimer Châteaubriand et Jean-Patrick Manchette, ce qui est mon cas. Par ailleurs, j’aime beaucoup la littérature médiévale et notamment les farces, mais je suis sûr que cela ne t’étonnera pas trop…

Le Mague : Qu’est-ce que tu écoutes en ce moment sur tes platines et qu’est-ce que tu lis comme romans ou autres ?

Olivier Maulin : je me suis mis à écouter de la musique classique il y a cinq ans et depuis je n’écoute plus que ça : Beethoven et Schubert principalement, en attendant de passer à autre chose. Je déteste le rock et je le déteste d’autant plus que je me suis forcé à faire semblant de l’aimer toute mon adolescence pour ne pas passer pour un con auprès de mes copains. Je viens de découvrir un auteur formidable qui est Alain Damasio. Mais je ne lis au final pas tant de romans que ça. Je lis surtout des essais ou des livres pratiques dont je me nourris pour mes propres romans.

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Le Mague : Si ce n’est pas trop top secret, travailles-tu sur un prochain roman et si oui quelle en est la thématique, alternative cette nouvelle fois ?

Olivier Maulin : Je travaille actuellement sur un livre que j’avais commencé avant le Bocage à la nage et dont je n’avais que la première partie. Celle-ci consiste en une immense cuite de trois journalistes parisiens qui déconnent à plein tube et il m’était un peu difficile de continuer après cela. A présent, je suis en train de les conduire dans les Vosges où ils vont pouvoir décuiter et se laver la cervelle parmi les loups qui, comme tu le sais peut-être, ont fait leur grand retour dans le massif vosgien depuis deux ou trois ans. Tout ce que j’espère avant que les abrutis d’éleveurs de moutons n’obtiennent le droit de les tirer, c’est qu’ils mangent deux ou trois randonneurs pour l’exemple.

Le Mague : Sans rire, dans quelle alternative que tu as déjà mis en scène aimerais tu te réaliser ?

Olivier Maulin : Je me doutais qu’il y aurait une question piège : la voici. A vrai dire, n’étant ni un gourou, ni un théoricien, ni un militant, je ne prétends donner de leçons à personne et mes livres ne sont évidemment pas des manifestes mais des bons vieux romans. Après, comme tout le monde, j’essaie de vivre ma vie dans un maximum de conformité avec ma vision du monde et il y a par conséquent des choses que je refuse de faire et auxquelles je refuse de me soumettre. Pour le reste, je rêve parfois, non d’une communauté, mais d’un ermitage : une ferme isolée, quelques poules, quelques livres, un potager, un fusil.

Le Mague : A toi le mot de la fin provisoire, car on n’est pas encore quitte à ce que j’abandonne ton œuvre et la lecture de tes prochains ouvrages. Je les attends déjà avec impatience, tellement j’ai pris plaisir à lire Le « Bocage à la nage ». Tu es libre de dire tout ce qui te passe par la tête …. et aucune charge ne sera retenue contre toi. Jure de dire tout ce que tu veux, rien que ce que tu veux. Amen !

Olivier Maulin : Tout d’abord, je suis heureux que tu aies pris du plaisir à lire mon Bocage. Toute personne qui écrit ou qui a essayé d’écrire sait que c’est très compliqué de se faire obéir des mots, même si les écrivains ne sont pas obligés de jouer les torturés à longueur de journée pour autant. Il y a donc une sorte de récompense quand apparaît un lecteur enjoué. Pour le reste, eh bien, je crois qu’il faut souhaiter la mort aux cons et une longue vive à la littérature.

Le Mague : Alors longue vie à la littérature populaire, santé créative et festive dans l’humour toujours à l’œuvre en verve d’Olivier Maulin ! A suivre….

Le Bocage à la nage, l’article en coup de cœur : http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article8572