« Obsession » jusqu’au vertige de Brian de Palma !

« Obsession » jusqu'au vertige de Brian de Palma !

En 1976, Brian de Palma signe son huitième long-métrage, un thriller haletant, romantique et psychologique. Un homme part dans sa mémoire vive à la recherche de sa défunte épouse dont il se sent coupable de la mort. De Palma crache aux mauvaises langues, qu’il a surpassé son maître Hitchcock et nous serait gré d’épancher nos « Sueurs froides » (Vertigo) poussées à l’extrême, en version restaurée inédite.

De Palma esthète ne feint pas de s’être inspiré de « Sueurs froides  ». Il revendique au contraire un lien de parenté quand il évoque «  Obsession ». « J’aime ce film pour son côté émouvant, son romantisme et sa beauté. Toutes ces choses si simples. Un artiste aime la beauté et il aime la faire naître. ( …) Ça rappelle « Sueurs froides » qui est un régal pour les yeux. C’était mon but dans « Obsession  ».

L’intrigue est on ne peut plus simple. En 1959 à la Nouvelle Orléans, Michael Courtland, richissime promoteur immobilier fête chez lui les dix ans de mariage de son couple avec Elisabeth sa femme adorée et leur fille Amy, en compagnie de nombreux invités aussi très friqués. Soir mémorable et kidnapping en règle avec demande de rançon généralisée. Seulement tout dérape quand la police s’en mêle. Michael assiste impuissant à la mort en direct de sa petite famille. Pour commémorer cet évènement qui le touche dans ses tripes, il décide de bâtir un monument funéraire, réplique minimaliste de l’église où il a scellé son amour avec Elisabeth à Florence.
Seize ans plus tard, toujours autant rongé par la culpabilité, accompagné par Robert Lassalle son associé et ami, ils se rendent à Florence. Dans la même église que dans le passé, Michael tétanisé croise l’ombre d’Elisabeth ressuscitée. Elle s’appelle désormais Sandra et va le hanter. Il tombe en amour pour cette jeune femme au point de la ramener chez lui dans ses bagages à la maison et vouloir effacer les images du passé qui l’obsèdent. Il veut revivre à nouveau de façon sereine et épanouie.

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De Palma flanqué de Paul Schrader scénariste et futur cinéaste (Taxi Driver….), sous le choc lors de la projection de « Sueurs froides », ils décident de remettre le couvert à leur façon très particulière pour ce film, qu’ils considèrent comme un chef d’œuvre. Originellement intitulé « Déjà vu  », déjà tout un programme en long-métrage…

Souvent comme en peinture, les élèves surpassent de loin les maîtres. Je pense à Egon Schiele désapant les enluminures en or des modèles de Klimt pour rendre la quintessence du nu porté aux nues dans ses toiles. De Palma dans les années 70, près de deux décennies après Hitchcock qui avait œuvré aux USA dans un climat de forte connotation conservatrice, va surmonter les codes moraux en vigueur, pour tourner un film émotionnel et sensuel.
Hitchcock mettait en scène la névrose d’un homme en tension dont la passion amoureuse pouvait presque effleurer la nécrophilie. Qu’à cela ne tienne, De Palma et Schrader opèrent le distinguo avec bravoure et rajoutent le grain qui touche au tabou de l’inceste.

Les grandes gueules de la critique, en cinéphiles sur le fil du rasoir ont crié au plagiat. Les goujats !

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Même si De Palma connait la musique et engage Bernard Hermann. Un vieux de la vieille, compositeur de Vertigo et souvent collaborateur de Hitchcock. Pratiquement sur son lit de mort, il livre sa partoche. Ses grandes orgues et les chœurs rappellent indéniablement les sonorités du réalisateur angliche. Pourtant en toute franchise qui le caractérise, De Palma cautérise le clou enfoncé dans la plaie. «  Alfred Hitchcock reste pour moi l’artiste fondateur du genre  ». Je veux bien le croire ! Surtout quand on sait qu’il avait prévu pour le rôle principal James Stewart, excellent navigateur hitchcockien, mais qui se serait révélé trop exalté sur le plateau et aurait plombé « Obsession ». C’est Cliff Robertson qui est Michael Courtland, un courtier léger en expression, donc parfait dans le rôle du beau ténébreux.

En revanche, Geneviève Bujold en Elisabeth et Sandra aux deux âges de la vie en toute possession de ses charmes sensuels correspond aux canons de l’actrice accomplie qui habite ses personnages. John Lithgow alias Robert Lassalle, dans son rôle habituel du bon salop nous avait déjà préparés, à ses crapuleries à l’écran.
Car je vous le dis, il y a du sang et des larmes, des morts peu naturelles… Le thriller romantique dans toute sa splendeur d’âme ! De Palma aime comme trop souvent se complique la vie, le cave, pour notre plus grand plaisir. Le suspens s’éclate à jouer avec nos palpitants. Quand les masques tombent, on succombe à leur trop plein de vie.

Un mot aussi à propos des images léchées, par l’utilisation de travellings, fondus enchaînés, l’usage de lentilles bifocales et les ralentis à couper la chique. Les images touchent à la grâce et accomplissent le rituel pour accompagner les personnages entre chaque plan, pour ne jamais qu’ils quittent notre champ de vision. Ainsi, le rêve de Michael crève le plafond de toutes ses funestes obsessions, quand Sandra, le sosie d’Elisabeth, est sur le point de devenir sa nouvelle femme. Comme Jeanne, il entend une voix qui ne lui est pas du tout inconnu.
« Maintenant je suis ta femme, je suis Elisabeth. Je suis revenue pour une seule chose. Je suis revenue pour te donner une seconde chance de prouver ton amour  ».

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Rideau, on s’attendrait presque à une fin heureuse pour une fois chez De Palma. On applaudit avec le héros qui va vite déchanté. Trop facile, on réclame presque avec le cinéaste un second enlèvement, on espère que le héros placide va enfin sortir de ses gonds. Le film bascule. On n’est pas déçus. Fausse piste et piste familiale et grosses pépettes. Ça rebondit toujours.

En conclusion, j’aurai pu déblatérer et mettre en relief l’évolution du cinéaste depuis ses débuts dans « Hi Mom », complètement délirant et subversif, déjà chroniqué avec enthousiasme ici-même.
Je voudrais juste finir ma chronique sur une touche virevoltante, comme le père qui danse avec sa gamine et tombe dans les bras d’une fille qu’il prend pour sa femme dans les dernières images du film à l’aéroport. On assiste à la tragédie du vertige familial. De Palma avec sa finesse habituelle nous laisse une lucarne de sortie, quant à notre interprétation subjective. Qui de Amy sa fille, Elisabeth sa première femme et Sandra son incarnation incantatoire est le reflet des deux autres ? Et surtout quelles relations a-t-il dévolu à ces amours difficiles, voire impossibles ? Je rappelle que nous sommes en 1976 !

Brian de Palma dans » Obsession » est à la toile ce que Divan le Terrible est au pinceau qui gratte et recouvre de fines pellicules couleur des fantasmagories de nos réalités sur écran interposé !

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Obsession de Brian de Palma, 1976, version restaurée inédite au cinéma depuis le 18 septembre, distribué par Carlotta Films