Mon 11 Septembre avec Marc-Edouard Nabe

Mon 11 Septembre avec Marc-Edouard Nabe

Voici la version non censurée d’un texte publié saucissonné et censuré dans la défunte revue "Cancer" fin 2001.

Plus de trois ans après l’évènement ce témoignage vient en complément de la vidéo qui avait été réalisé en direct de l’évènement chez l’écrivain sulfureux, rue de la Convention à Paris.

Sorte de contre-journal brut et sans effet de style, ce document garde aujourd’hui, avec le recul, toute sa force.
Il est également plein d’enseignements de tous ordres.

11 septembre 2001

C’est devenu une question habituelle, presque réflexe depuis quelques semaines, comme on disait avant "comment tu vas ? " , aujourd’hui on dit ; "et toi tu faisais quoi le 11 Septembre ?". On ne choisit pas de se trouver à tel ou tel endroit pendant un événement historique, c’est la vie qui choisit pour nous. La mienne est bien faite, j’ai passé mon 11 Septembre 2001 avec Apocalypse Man, l’écrivain français le plus à même de parler, réagir, écrire sur ce phénomène sans précédent.

J’étais tranquillement en train de déjeuner avec l’actrice Maïwenn Le Besco quand une amie m’appelle pour me dire qu’un avion avait explosé à New-York. Assez troublé, il faut le dire, par "la gamine" qui jouait à 17 ans avec Johnny Hallyday, puis qui a ensuite épousé Luc Besson, j’ai raccroché mon portable en me disant que cet événement, que je n’avais pas très bien compris, n’allait pas changer le cours de ma destinée.

J’avais rendez-vous à 15 heures avec Marc-Edouard Nabe "mon auteur" comme il le dit si bien lui-même. Bien décidé à inaugurer ma nouvelle idée de concept d’interview vidéo cybernétique avec celui qui était à peine rentré de son exil grec. J’arrivais dans la sinistre rue de la Convention, comme j’ai pu lire dans le texte de Fred Messerey dans un numéro de l’excellente revue Cancer, et j’allais d’un pas léger et rapide (retard oblige) vers le numéro 103 et le bâtiment B, non sans jeter un œil nostalgique vers l’ancien appartement de Michel Houellebecq, écrivain exilé en Irlande pour cause de propos anti-arabes et gros vendeur de livres jusqu’aux attentats.

En bas de l’immeuble se trouvent mes deux compères techniciens Jean-Pierre Vaudon et son fils Barthélémy dit "Bart" de la chaîne du web Alibitivi.com. Je suis en retard et pour jouer les mecs "tendance", je porte une veste de costume noire avec un tee-shirt de la même couleur ainsi qu’un pantalon de treillis pour le contraste. (était-ce un signe ?).

La voix de M-E Nabe est étrange à travers l’interphone. A l’ouverture de la porte, il me demande si je n’ai pas reçu son message sur mon portable, il est affolé, je lui réponds : "non, pourquoi, j’étais dans le métro ?".

Au premier étage, dans l’appartement mythique du Journal, je vois une scène surréaliste ; l’immense bibliothèque de Nabe, les photos de Bloy, de Céline, les icônes religieux, de nombreux livres à peine rentrés de leur voyage grec, le téléphone qui sonne toutes les deux minutes et la télé branchée sur les flashs spéciaux des deux chaînes françaises car "Mon Auteur" n’a pas le câble. Nabe, les traits tirés, est un électron libre, surexcité. Il semble habité au plus profond de lui-même par une force supérieure, mystique. Il prépare des cassettes VHS et enregistre à tout-va les commentaires en bon archiviste qu’il est.

C’est Frédéric Taddeï, un nabien, fidèle parmi les fidèles qui a averti Nabe le premier de l’Evénement, depuis son bureau de Paris Première certainement.
Nous nous asseyons et assistons en direct à l’Apocalypse cathodique, je mets un peu de temps à comprendre les enjeux du piratage de ces avions dans le ciel de New York, Nabe est extrêmement nerveux, livide, survolté, il bégaye, arrive à peine à parler, se lève ou s’assied, puis se relève pour se mettre carrément devant l’écran yeux à yeux avec PPDA ou Daniel Billalian. Le moment est très fort, pesant, de plus en plus intense même comme un crescendo.

Nabe me dit de remettre notre tournage à un autre jour, il ne peut pas réagir à chaud, que je ferai mieux de remballer la caméra, moi, je boue d’impatience et de frustration, je me dis que c’est trop dommage de ne pas prendre M-E N en live pendant ces moments uniques et de les balancer sur le net le plus tôt possible, en exclusivité pour ses admirateurs et détracteurs. Je me dis que pour la première fois je vais filmer le Journal de Nabe avant qu’il soit écrit , je jubile mais pas vers le ciel.

Je parlemente, Nabe commence à céder, je sens qu’il est prêt à témoigner mais c’est lui qui va faire la mise en scène. C’est lui qui veut garder le contrôle. Je mets de coté mon ego et le laisse faire. Il va appeler sa mère, née le 11 Septembre et lui souhaiter son anniversaire devant les caméras. C’est vrai que lui-même est né à New York pas très loin du World Trad Center, les symboles sont dans tout l’appartement. Moteur, Nabe commence à parler et, en une prise, commente les attentats devant la DVD. Il s’arrête, il veut un gros plan sur la tête de Bloy, puis prend une édition à 10 francs de l’Apocalypse de St Jean et commence à lire devant les commentaires de PPDA et leurs voix se mélangent comme il le racontera plus tard au début de son livre "Une lueur d’espoir". Entre temps, le téléphone avait sonné plusieurs fois, Alexandre Nabe était rentré de l’école avec son petit sac à dos, Taddeï avait rappelé, ainsi que des dizaines d’autres personnes. Hélène peut arriver d’une minute à l’autre de son nouveau travail.

Quelques heures plus tard on pouvait voir tout cela sur le net presque en direct. Nabe est vraiment un auteur en avance sur son temps, un anticipatif. Les gens de la web TV (ils sont maintenant trois) me demandent de donner un titre pour la séquence, je leur dis sans réfléchir : "Apocalypse Nabe" !!

Je me rendais bien compte que je venais de vivre des moments extrêmement précieux en direct avec le Ben Naben du microcosme littéraire parisien ! C’était assez étrange d’être présent, d’anticiper la sortie du prochain livre de l’auteur de "Kamikaze" . Il allait se passer quelque chose, je le savais en traversant Paris à pied, un Paris inquiet, électrique qui n’était pas sans me faire penser à l’heure qui avait précédé la dernière Coupe du Monde.

Quoi qu’il arrive dans quelques années je pourrais lire dans le Journal, la retranscription de cette journée très marquante, merde alors, je pourrais dire que j’y étais ! Comble des hasards, le soir même les Zanini Père et Fils allaient chanter au petit Journal et j’allais rencontrer le Zanine charmeur pour la première fois... Je venais de faire des frappes chirurgicales à l’intérieur de l’Intime de Nabe. M-EN est décidément le meilleur personnage de ses écrits.

Alors que je travaillais sur son site Internet et recueillais les premières émotions (dont celle très belle et très émouvante de Christian Lançon) suite à la diffusion sur Internet de l’envoyé spécial nabien à New York, du jour au lendemain alors que j’avais d’habitude d’avoir mon auteur au téléphone tous les jours, Nabe disparu pendant deux semaines sans aucune explication. Je sentais quelques chose d’étrange sans oser me l’avouer. C’est Dominique Faivre, un lecteur de Livre Hebdo qui vendit la mèche sur le forum de mon site. Nabe a écrit un livre en deux semaines sur les événements aux USA et une fausse information est divulguée, le magazine dit que le titre est "Apocalypse Nabe" ce qui, évidemment, flatte mon ego. En fait ce n’est pas le bon titre, juste celui du bandeau qui ne verra pas le jour pour cause de couverture trop peu lisible avec un bandeau rouge par dessus.

Nabe m’appelle, je le rejoins à Paris et nous passons deux jours entre "midi et deux" à scanner des photographies intimes et personnelles pour la galerie du site web à sa gloire que j’essaye de rendre le moins fanatique et le plus pudique possible. C’est drôle de voir toutes les femmes de sa vie en photo et le comparer. Pour moi la plus belle c’est Hélène, y’a pas photo comme ils disent sur TF1. Je suis un des premiers à voir la couverture d’"Une lueur d’espoir".

Une bien belle couverture même si j’enrage qu’un de mes collages sur la guerre (WART-ART) ne fasse la première page du livre de Nabe. Nous retrouvons Laurence Remila qui est devenu le traducteur anglais personnel de Marc-Edouard et quelqu’un pour qui j’ai beaucoup de respect. Nous rencontrons Jean-Claude Berline, le directeur de communication de la maison d’édition, puis allons dans le bureau de Jean-Paul Bertrand, où nous rencontrons un homme calme, posé et charmant qui a une bien jolie femme et là, j’assiste à une scène que je n’imaginais pas ! En effet la vision de la relation entre Nabe et Bertrand que j’avais à travers mes lectures du Journal était fausse. Je les pensais plus proches. Mais il y a le patron et l’Auteur et beaucoup de distance et d’estime réciproques entre eux, c’est assez troublant. L’immense bureau tout en bois de Bertrand est sobre, sans tape-à-l’œil et sans ordinateur. Cet homme dégage une sérénité qui contraste avec l’état d’excitation dans lequel nous sommes tous les trois. Bertrand nous dit qu’il a peut-être des contacts avec un éditeur arabe pour une éventuelle publication. Il est le seul à avoir lu le manuscrit avec la correctrice. Il semble très bien tout maîtriser, c’est vraiment un professionnel de la profession impressionnant.

Nous nous retrouvons au célébrissime "Café de la Mairie" à deux pas des éditions du Rocher, pour lire la correction des épreuves finales d’"Une lueur d’espoir". Autour de nous, il y a des journalistes, des têtes connues, nous ne parlons pas trop fort. Je suis tout excité, Remila, lui, a toujours son flegme anglais. Nous allons au premier étage, nous commandons tous un Monaco (normal, c’est une référence à la « maison mère » !) et Nabe supervise les corrections entre les deux jeux d’épreuve. Je demande à Marc-Edouard si je peux survoler le texte et il me dit oui ! J’observe Nabe, le fils du Zanine est décidément est un véritable caméléon qui peut passer de la figure et de l’attitude du Dictateur insupportable à celle d’un enfant passionné et touchant. Nabe paye les consommations. la nuit tombe tout doucement sur la capitale..

Il pleut, je raccompagne mon auteur à l’arrêt de bus de la Place St-Sulpice, où il va frauder une fois de plus (j’ai pris le métro un soir avec Hélène Hottiaux et elle m’a dit qu’elle faisait la même chose depuis 20 ans ), et il me lance cette phrase en me saluant ; "Il ne faut pas chercher à aller au mythe mais attendre que le mythe te supplie de vouloir le faire entrer, n’oublie jamais cela".

Je n’oublie pas Marc-Edouard. Je n’oublie pas.