Les jolies codifications de Laetitia Shériff

Codification, 1er album de Laetitia Shériff vient enfin récompenser en disque une longue mélopée d’adjectifs qualificatifs positifs et scéniques sur cette jeune chanteuse lilloise. Encore toute auréolée d’un bouche à oreille démentiel régional, elle fricote depuis peu avec le titre de Révélation Féminine 2004. De Paris à Rennes, en passant par Strasbourg et le Printemps de Bourges, elle met tout le monde d’accord : les critiques, le public, les radios.

Rencontre lilloise avec elle pour parler de Codification, ou comment mettre en barème un disque, qui est un disque presque parfait car l’irréprochable ne viendra qu’au suivant.

Avec un nom comme le tien, as-tu toujours eu une âme de justicière ?

Je ressens des injustices dans mon petit réceptacle. Dans le milieu de la musique je crois que je ne pourrais rien changer mais que les choses vont changer d’elles mêmes. J’ai beaucoup de ressentiments par rapport aux majors, je connais des gens très doués qui se retrouvent tout le temps au stade zéro à cause du formatage des maisons de disques. Tu t’aperçois que la crise actuelle de ces grosses boites vient du fait qu’elles n’inventent plus rien.

Mesures-tu ta chance d’être dans une maison de disques à dimension humaine comme Naïve ?

A longueur de temps.

Tes origines Lilloises reviennent sans cesse dans ton dossier de presse, alors que la musique n’a aucun motif à être cataloguée dans ce registre régionaliste ?

Je l’accepte car j’aime beaucoup cette région. Mon but est de faire partager ce que je fais partout. J’ai commencé dans des MJC, des petites salles perdues et s’il faut installer un lieu précis à mon nom c’est normal que ce soit ma région d’origine.

Quand tu chantes tu sembles tellement loin du terre à terre, presque dans des évocations mystiques ?

J’ai commencé à chanter très tard. La chose qui s’est passée c’est que la première fois que j’ai chanté vraiment ce fut un soulagement mélangé à une douleur car je découvrais des choses en moi que je n’avais jamais réussi à sortir depuis mon enfance.
On entre dans ton album doucement avec la chanson Rose qui se trouve être une fleur sans épines pour aller vers cette Codification plus tranchée ?

Il y a plein de phases cachées dans l’album qui sont à interpréter comme les gens le voudront en écoutant le disque. Je n’ai pas semé des énigmes le long du disque mais il y a une trame. Je me retenais de faire plus fort, plus dur en tout cas. J’ai l’impression d’avoir fait un CD dans un style très radical mais je me demande si j’ai vraiment été à fond. C’est la raison pour laquelle monter sur scène va être hyper important.

Toi qui viens justement de la scène, que t’apporte-elle ?

Tu t’y rattrapes, tu essayes de faire passer tes émotions le plus sincèrement possible, sans regret.

Tu as fait au Grand Mix de Tourcoing la première partie de Elysan Fields, tu étais seule sur scène. Qu’est ce qui change dans cet exercice périlleux part rapport à tes prestations avec tes musiciens habituels ?

Etre toute seule a été une étape essentielle pour moi. Je ne me serais pas jetée à l’eau sans cette escale solo. Le fait que cela ne passe que par toi sur scène tu te retrouves avec un trac phénoménal, tu dois attendre au moins 5 chansons pour être bien en phase avec des gens. Pour ma part je suis en pseudo transe souffrance dans ces moments là. Le partage avec mes musiciens est très important aussi dorénavant nous sommes trois sous les lumières. J’avais besoin de partager quelque chose avec le groupe.

Leur venue à tous les deux, a été primordiale pour l’album ?

J’ai tellement de respect pour eux, Olivier Mellano et Gaël Desbois m’ont beaucoup apporté. Ils se mettent à ma disposition en ressentant mes chansons encore plus fortement que moi-même. Sur scène il y a une énergie commune qui dépasse toutes mes espérances. Leur groupe qui s’appelle Mobill verra peut être notre avenir diverger mais tout ce qui se passe actuellement c’est du bonus merveilleux.

Ne trouves-tu pas dommage que leur travail soit étouffé dans l’œuf par manque de place pour cette chanson française ?

C’est totalement aberrant, ce groupe marche du feu de dieu en Espagne alors qu’ici, avec les quotas de chanson française qui devraient simplifier leur diffusion, il leur a fallu deux ans pour sortir un disque.

Alors pourquoi toi et pas eux ?

Peut-être parce que je suis une fille, que je suis de Lille. J’ai l’impression qu’il n’y a pas de loi dans ce milieu. C’est un peu quitte ou double. Tu plais ou tu ne plais pas.

Pourrais-tu nous parler de Yeats, l’auteur qui t’as façonné en quelque sorte ?

Il a été le déclencheur, la découverte de ses textes qui bizarrement m’ont donné envie de chanter.

Chanter les mots de quelqu’un d’autre pour y mettre toute ton intimité, ce ne fut pas compliqué ?

La chose essentielle chez cet auteur c’est qu’il fait parler les femmes avec une force incroyable. C’est quelqu’un que je découvre encore maintenant. Yeats a passé toute sa vie dans une souffrance émotionnelle intense. Il est mort à la fin des années 30 et quasiment un demi-siècle après j’en étais touchée fortement. Je crois que Yeats a été un médium hyper important pour moi, pour ce que je suis, sur ce que je vais devenir..

As-tu pensé à prendre d’autres auteurs ?

Il m’est arrivé de faire des improvisations avec Kerouac ou Burroughs mais jamais de la même manière que Yeats. J’aime aussi l’idée de peaufiner mes interprétations de cet auteur. Pour connaître quelqu’un à fond il faut passer du temps avec lui.

Chanter en anglais est-il plus simple pour une fille quand fatalement on finit par la comparer à PJ Harvey ?

Je me suis attelée à l’écriture en anglais encore une fois grâce à Yeats. J’écris en français mais dans une démarche particulière. Cela ne correspond pas à des chansons proprement dites. Pour chanter en français il faudra m’en donner l’envie, avis aux amateurs.

Dans tes paroles, tu utilises la répétition de mots pour leur donner un impact plus important ?

J’aime la phrase qui revient régulièrement pour cadrer le tout. C’est une sorte de refrain inconscient.

On connaît l’importance de l’image en musique, pourtant pour la pochette de Codification tu as choisi un dessin de Tonio Marinescu ?

Il a un trait de crayon magique. Je voulais quelque chose de très organique, très codé, intriguant.