PAUVRE COMME UN ROI

PAUVRE COMME UN ROI

Je vis au-dessous du seuil de la pauvreté, selon les critères actuels en vigueur dans notre pays (qui est estimé à environ 800 euros).

Pourtant avec moins de 800 euros mensuels, je suis HEUREUX.

Je mange à ma faim, fais du vélo, me cultive gratuitement à la bibliothèque municipale de ma ville, ne m’achète pas de choses superflues, bois de l’eau, ne fume pas, me contente de ce j’ai, n’envie pas le canapé ou la grosse voiture de mon voisin, sais apprécier l’essentiel.

Je fais même les poubelles ! La joie des trouvailles participe à mon bonheur de pauvre... La fouille des poubelles est d’ailleurs fort instructive : si vous saviez les trésors d’inutilité que je trouve dans les ordures des prolétaires ! Quel gaspillage d’argent pour des imbécillités de la part de ceux-là mêmes qui se plaignent de leur prétendue misère !

Bref, je suis vivant, en bonne santé, respirant l’air pur et gratuit de la vie et n’ai par conséquent pas l’indécence de me plaindre comme le font ces éternels insatisfaits qui ont les vraies richesses du monde sous leurs pieds et qui regardent en l’air dans l’espoir de pouvoir jouir indûment de biens parfaitement secondaires.

J’ai l’accès à INTERNET et rien que pour cela, je me considère comme un privilégié. Un roi. J’ai entre les mains l’outil technologique le plus merveilleux de notre époque. Que désirer de plus ? Pourquoi aller m’éparpiller à travers des sources d’ivresses futiles et onéreuses (comme par exemples bouquets de chaînes de télévision, dernier écran plasma géant à la mode, jeux vidéos, cours de pilotage d’avion ou je ne sais quoi d’autres) quand j’ai INTERNET dont je n’ai pas encore fait le tour dix ans après sa découverte tant ce puits d’émerveillements est inépuisable ?

Même sans évoquer l’accès à INTERNET, le simple fait que de l’eau chaude sorte comme par miracle de mon robinet me fait prendre conscience de la chance immense que j’ai. Pour cela, et rien que pour cela, j’estime que je n’ai pas le droit de me plaindre. En plus de manger à ma faim tous les jours, de l’eau chaude coule sous mon toit ! En outre je respire l’air du ciel, marche dans le vent, écoute le chant des oiseaux. Et ce n’est pas tout : je me promène à vélo dans la forêt !

Et je le répète, luxe des luxes, j’ai accès à INTERNET depuis chez moi... Et là ce n’est plus de l’eau chaude qui coule des tuyaux, c’est carrément des étoiles.

Et pourtant je suis considéré comme un pauvre.

Comble du comble : des ouvriers me plaignent. Pour rien au monde ils ne souhaiteraient être à ma place. Eux qui ont beaucoup plus que moi -en termes strictement matériels- ne sont pas heureux !

Parce que je suis heureux d’avoir de l’eau chaude, parce que je fais du vélo au lieu de me déplacer avec une carrosserie au-dessus de ma tête, parce qu’INTERNET me comble intellectuellement, parce que je jouis des choses les plus simples de la vie, parce que respirer l’âme des fleurs, passer des heures à observer un nid de fourmis, méditer dans les bois sans avoir rien à dépenser pour parfaire ma quiétude et meubler mes journées est considéré à leurs yeux comme une forme d’indigence...

Ils rient de moi sous prétexte que je me considère riche, privilégié à cause de l’eau chaude sortant de la tuyauterie de ma demeure. Ils me prennent pour un benêt, voire un minable parce que j’ai gardé ma capacité d’émerveillement et que, contrairement à ces blasés qu’ils sont, je peux vivre très heureux en buvant de l’eau au lieu de me gaver de coca-cola.

Les bases de ma richesse ?

- Je sais apprécier les choses à leur juste valeur.

- Je ne m’endette pas pour des sottises.

Posséder un jardin, une piscine, une résidence secondaire, un bateau, pourquoi faire ? En quittant cette vie on perdra de toute façon tout. Rien ne nous appartient, fondamentalement. Cela nous empêche-t-il de humer le mystère des fleurs au bord des chemins, de jouir du spectacle d’un ciel étoilé, d’aller nager à la piscine municipale la plus proche de chez soi ? Un toit me suffit, pourquoi désirerais-je une seconde maison à Saint-Tropez ou un immeuble dans les quartiers chics de la capitale si je n’en ai pas les moyens ?

Avec moins de 800 euros mensuels et avec mes joies simples, on me dit pauvre.

Moi je pense que la vraie misère c’est celle qui consiste à ne plus voir l’or qui pourtant est... à portée de vue.