Un Producteur Niçois répond à Vincent Maraval et Sam Karmann

Un Producteur Niçois répond à Vincent Maraval et Sam Karmann

Nous publions une réponse aux articles de Vincent Maraval dans le Monde et celui de Sam Karmann qui a été mis dans nos colonnes. Philippe Daniel Coll est un producteur niçois, ayant pignon sur rue depuis maintenant 12
ans, et, président depuis 3 ans du BACCA (l’association des professionnels
des Alpes-Maritimes dans les filières du cinéma, de l’audiovisuel et des
nouveaux médias). Cette réponse nous a semblé, elle aussi, très pertinente pour alimenter le débat.

Cher Vincent Maraval, cher Sam Karmann,

Bien que nous n’ayons pas encore eu l’opportunité de collaborer ensemble,
je nourris un profond respect pour vos travaux respectifs : je ne compte
plus le nombre de DVD / Blu Ray édité par Wild Bunch qui ornent les
étagères de ma bibliothèque, ni ne liste les films de Sam Karmann qui m’ont
enchanté.
Toutefois, et bien que partageant entièrement vos points de vue
complémentaires et non opposés, il me semble que nous focalisons le débat
sur l’une des déviances de notre système de production à la française et
non sur sa cause, à savoir l’obsolète du dit système de production
lui-même.
Le célèbre arbre qui masque la forêt.

Avant d’aller plus loin, il me semble nécessaire que je me présente, car si
je connais vos parcours respectifs, je doute que vous connaissiez le mien.
Je suis réalisateur et producteur au sein d’Anima Films Production, société
de production basée sur Nice. J’occupe depuis 3 ans le poste de président
du Bureau d’Aide à la Création Cinématographique et Audiovisuelle (le
Bacca) qui regroupe les professionnels des Alpes-Maritimes (second
département en nombre de jours de tournage après Paris). Enfin, je suis le
fondateur de OnlineTV France, la première chaîne entièrement dédiée aux
professionnels du cinéma, de l’audiovisuel et des nouveaux médias.

Mon implication au sein du Bacca m’a permis de constater les nombreuses
divergences entre la volonté affichée de notre système de soutien et la
réalité de la production. Les limiter au problème –réel !– de la
rémunération des acteurs serait cependant extrêmement réducteur.
La vérité, mes chers collègues, c’est que tout comme il est nécessaire de
présenter des acteurs bankables, il est tout autant indispensable d’être
soi-même un producteur bankable, c’est à dire, un producteur capable
d’amener les chargés de mission des différents fonds de soutien à la fête
de fin de tournage avec les stars du film. C’est cru, certes, mais cela
n’en reste malheureusement vrai dans une grande partie des cas. Et bien que
nous le sachions pertinemment tous, je vois déjà d’ici une levée de
boucliers précédant une cohorte de huées et d’indignation en provenance de
ceux qui se sentent visés et de ceux qui profitent et se goinfrent de cet
état de fait.

Comment puis-je affirmer une telle chose ?
De par mon expérience personnelle ? Certes. Mais pas seulement.
Je le peux parce que depuis maintenant 7 ans, au Bacca, nous compilons et
récoltons les résultats des commissions où sont présentés les projets de
nos membres. Je le peux, parce que nous interrogeons les Chargés de mission
sur les raisons de telles ou telles décisions négatives. Et que je peux
vous affirmer données à l’appui, que tout cela serait à mourir de rire si
derrière ses décisions arbitraires ce n’étaient pas des familles qui
mouraient de faim dans l’attente d’un film qui puisse les faire travailler
 !

En vrac : un producteur basé sur le 06, qui a réussi à monter une
coproduction internationale (franco suisse roumaine turque) avec un acteur
français bankable en tête d’affiche, c’est vu entendre dire que la
commission du fonds de soutien local l’encourager à tourner son film... en
Roumanie ! Et tant pis pour les techniciens et loueurs locaux ! Entendre ça
d’un fonds de soutien, gérant de l’argent public, et dont la mission est
justement d’empêcher contre ce type de localisation, donnerait presque
envie de devenir sourd !
Mais il y a mieux (ou pire devrais-je dire) : les fonds de soutien locaux
n’hésitent pas entrer dans des blockbusters dont le budget s’élève à plus
de 25 millions d’euros à hauteur de 100.000 €, soit 0,4 % du coût du film !
Peut-on dire que l’on soutient un film quand on apporte 0,4 % du budget ?
Est-ce que le système de production garantit, comme cela est pourtant sa
finalité première, la diversité des œuvres en permettant aux films les plus
singuliers, difficiles, de se faire aussi ? Non, évidemment. La vérité,
c’est que les collectivités territoriales achètent avec l’argent servant au
développement de l’industrie cinématographique de l’image pour développer
le tourisme local. En résumé, l’argent destiné à la filière
cinématographique sert à financer une action de communication au bénéfice
de l’industrie touristique ! Les restaurateurs se goinfrent sur le dos des
ouvriers, techniciens, cadres et entrepreneurs du cinéma crèvent la faim.
Un troisième pour la route ? Facile.
Un fonds de soutien local a accordé une aide à la production d’un
long-métrage à une société n’ayant pas l’autorisation de production de
long-métrage (capital social insuffisant). Lorsque cela s’est su, le chargé
de mission a expliqué qu’il gravait depuis tellement longtemps cette
société, qu’il ne lui était tout simplement pas venu à l’esprit de vérifier
ce "détail" (ben voyons !). Mais, l’histoire ne s’arrête pas là !
Croyez-vous que le fonds de soutien est allé demander à la société de
production le remboursement de l’aide indument perçue ? Que nenni, voyons !
Un tel laxisme sent bon ce que l’on appelle trivialement le copinage...
Des exemples comme ceux-ci, au Bacca, on en a recensé une bonne douzaine.
Ils ne témoignent que d’une chose : le système d’aide à production tel
qu’il a été pensé au lendemain de la Seconde Guerre est aujourd’hui
obsolète, corrompu et perverti. Oui, Vincent Maraval a raison lorsqu’il
affirme que le système "profite à une minorité de parvenus riches de
l’argent public". Mais, cela ne concerne pas que les acteurs.

Alors, pourquoi ?
Pourquoi essayer de corriger les conséquences et non les causes d’une
défaillance ?
Pourquoi préserver un système périmé qui multiplie les injustices, ne
remplit pas ses missions et, objectivement, ne donne AUCUN résultat,
puisque, comme le rappelle encore Vincent Maraval, quasiment tous les
blockbusters français perdent de l’argent ?
Attention, je ne dis pas qu’il faille tout jeter. Non, mais il faut tout
repenser. Entièrement. Pour que la production à la française redevienne en
phase avec la réalité de ce nouveau siècle.
Du fonctionnement des fonds de soutien au droit d’auteur devenu
inapplicable en l’état depuis l’arrivée du net, en passant par le marché
(inexistant) du court-métrage, les chantiers sont multiples... et urgents
 !

Alors, oui. Je veux voir dans l’initiative de Vincent Maraval l’opportunité
de remettre enfin à plat ce système qui est maintenant complètement
dépassé, fourvoyé, inefficace.
En serons-nous capable ou est-ce que tout ceci restera lettre morte ?
Là est le véritable défi.

Philippe Daniel Coll.