Interview de Thierry Audibert : homme artiste passeur de la culture et des révoltes amérindiennes !

Interview de Thierry Audibert : homme artiste passeur de la culture et des révoltes amérindiennes !

Thierry Audibert, sacré baroudeur m’a accueillie chaleureusement chez lui à Jau-Dignac et Loirac en compagnie de sa femme Claudia. Autour d’un café. Il m’a conté ses voyages et son amour pour les combats et la culture des peuples amérindiens dont il aime s’inspirer sans copier dans son art. Cet homme vraiment singulier, véritable conteur hors pair m’a enthousiasmée à me replonger dans les racines des premiers habitants des Amériques, pour marcher pied nu avec eux sur leurs terres sacrées de nos jours, depuis le Médoc.

Le Mague : Pourquoi après plusieurs années d’errances et d’amour des arts, es-tu venu t’installer à la Pointe du Médoc ?

Thierry Audibert : C’est un concours de circonstance. Je ne connaissais pas du tout la région. Il fallait qu’on rentre en métropole. On n’avait pas des moyens extraordinaires et on a trouvé cette petite maison pas trop chère ici.

Le Mague : Peux-tu nous conter brièvement les contrées de tes errances ?

Thierry Audibert : Je suis d’origine de ce qu’on appelle les Pieds Noirs, même si je n’aime pas tellement ce terme. Je préfèrerai le terme de Blackfoot, mais ça vient après…. J’étais enfant quand il y a eu la guerre d’Algérie et on s’est retrouvés en France à déménager un nombre incalculable de fois. De fait, je considère que j’ai perdu certaines racines avec le sol. Ça m’a arrangé. Moi, mes pieds ils me servent à avancer. Et du coup, ça m’a donné envie de retourner en Afrique. Puis l’Europe aussi pas mal en tendant le pouce jusqu’en Pologne, les pays scandinaves. Dans une démarche toujours de rechercher les gens. Je suis ce qu’on appelle une éponge. Ce n’est pas moi qui apporte quelque chose mais c’est eux qui me donnent.

Le Mague : En quelles circonstances es-tu parvenu aux Etats-Unis et quel regard as-tu porté sur les Amérindiens ?

Thierry Audibert : Et puis après il y a eu le travail, la vie… Je suis parti un peu aux Etats Unis. L’Amérique surtout c’était mon rêve de gosse. Je viens d’une génération où le rêve c’était de jouer aux cowboys et aux indiens. La découverte des Amérindiens surtout, car je n’ai jamais pu comprendre que dans ces vastes contrées de l’Amérique du Nord, de ces pays que l’on dit riches et civilisés, il y ait des gens qui étaient là avant qu’on a essayé d’éradiquer et qu’on maintient encore dans un état de pauvreté terrible. J’ai voulu savoir ! Ce qui m’intéresse le plus chez ces gens-là, c’est leur manière de vivre maintenant. Pourquoi on voit actuellement dans des réserves, des gens qui crèvent et meurent de froid. Et moi, avec mon œil d’européen, ce n’est pas évident, quand on arrive chez les Amérindiens de rentrer en contact puisqu’au départ on est un blanc pour eux. Une fois qu’on arrive à se comprendre, ça va mieux. Ce sont des gens qui sont très ouverts. Puis après j’ai sillonné les Caraïbes et encore d’autres contrées….

Le Mague : Quels paysages de la faune et de la flore t’ont le plus marqué ?

Thierry Audibert : Je suis un amoureux des déserts. Le Sahara est un endroit extraordinaire où je m’y sens bien. Après les grandes plaines d’Arizona ou du Nouveau Mexique, ce sont ces endroits-là qui me marquent et les oiseaux.

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Le Mague : Comment au départ t’es-tu immergé dans la culture amérindienne et comment es-tu parvenu à t’extraire de l’image de l’indien du western pour y découvrir leurs arts ?

Thierry Audibert : D’abord c’est surtout dans les livres que j’ai découvert ce qui m’intéressait le plus au départ, c’est-à-dire les hommes et les peuples. Et puis automatiquement, on s’intéresse à leur culture. Quand on est enfant, on a toujours l’image de l’Indien avec ses grandes plumes son tomawak et son cheval. On se rend compte après qu’il n’y a pas que cela. Il y a les Indiens des plaines des Pueblo, il existe pas mal d’ethnies avec un travail artistique poussé et extraordinaire. Il a actuellement à Santa Fe une école d’art où il y a une majorité d’Indiens Pueblo. Il faut voir des jeunes de 15 / 16 ans qui ont beaucoup de choses à dire vis-à-vis de la culture, c’est riche et très parlant. Je me suis immergé dedans et petit à petit jusqu’au jour où j’ai pu réellement aller sur place. Où je me suis dit que ma démarche était vraie dans la lumière de mon travail, dans ma vision toujours d’Européen. Je n’ai jamais essayé de reproduire ce qu’ils faisaient mais simplement de dire, moi je vois cela comme ça.

Le Mague : Quels enseignements les Amérindiens premiers habitants des Amériques peuvent nous apporter dans nos sociétés policées et capitalistes à outrance ?

Thierry Audibert : Ça peut apporter beaucoup par rapport à la famille. Ce sont des gens qui gardent encore beaucoup le rapport du passage de l’ancien au jeune. On protège beaucoup les anciens. On les écoute. Ils ne sont pas mis au rebu. Il y a ce qu’on appelle les familles, les clans. Tous ces gens vivent ensemble et font avancer les choses. Il y a une démocratie qui se fait naturellement dans le clan par rapport au chanteur ou à l’homme médecine et aux gens qui ont la poigne pour diriger. Là je parle vraiment des Indiens Pueblo et Navajo. On retrouve là une définition assez belle de la vie ensemble, je trouve. Tout le monde est invité, tout le monde peut parler. Mais toutefois malgré tout avec l’emprise de la société américaine moderne : les Wasp. On a cela à apprendre d’eux, le respect de ce qui nous entoure. Même si, ok il y a du gaz de schiste sous nos pieds, il n’y est pas si mal, qu’il y reste, ça ne va pas nous avancer à grand-chose.

Le Mague : Et comment résistent les Amérindiens pour ne pas perdre leur culture face au géant yankee qui dévore tout sur son passage ?

Thierry Audibert : Ce qui est quand même extraordinaire, malgré le fait qu’on ait pris les enfants, qu’on les ait mis dans des écoles, qu’on leur ai interdit de la perler la langue, qu’on les ait déculturés complétement, il est resté la connaissance cachée durant des années. Elle est passée oralement et maintenant de façon artistique. C’est là que tout se rejoint quelque part, quand on voit le travail des poupées Katsinam chez les Hopis ou lez zunis c’est très particulier. Le soir, monsieur trucmuche fabriquait la petite poupée pour pouvoir expliquer aux enfants. C’est un moyen de dire l’esprit du vent par exemple. C’est très codifié. Et c’est resté. J’ai un souvenir extraordinaire quand j’arrive au Pueblo de zuni. Je vais dans un petit musée. C’est complètement gratuit (ce qui est très rare aux Etats Unis), je rentre et je vois un jeune de 17/18 ans, un sacré gaillard ! Je me présente, je suis avec ma femme, on vient de France. Il me dit je m’appelle X et je suis zuni d’une manière très affirmée. Ce sont des choses qui marquent !

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Le Mague : A propos du genre, les homos, bi, transsexuels dans les sociétés amérindiennes sont-ils rejetés et est-ce qu’il y a des tabous ?

Thierry Audibert : Non au contraire même, la différence est un atout bien souvent. Ce qui est très bien vu dans le film « Little Bigman », il y a celui qui fait tout à l’envers qui est homosexuel et ça se passe très bien. Il est accepté totalement. C’est quelqu’un qu’on va voir par ce que s’il est différent, c’est qu’il a quelque chose à apporter aux autres. Il n’y a pas spécialement de tabous. Je ne dis pas que l’influence Wasp n’a pas fait des dégâts. Même les femmes sont très appréciées. Quand on va chez les Apaches, la femme est très respectée car c’est grâce à elle que le clan vit. Elle donne naissance et fait avancer le clan. On la respecte énormément, y compris ce qu’elle a à dire.

Le Mague : A propos de la constitution de la cellule familiale, est-ce que c’est une composition stricte comme avec un papa maman et un ou des enfants ou c’est plus large ?

Thierry Audibert : Ca peut-être plus large. Il y a la famille classique. Il y a aussi beaucoup l’adoption. Souvent un enfant va vivre chez son oncle. Ce n’est pas un souci. Ça se passe très bien. J’allais dire les enfants sont à tout le monde. Quasiment !

Le Mague : Et s’il existe des personnes seules, est-ce que le clan s’en occupe ?

Thierry Audibert : Oui, on essaye. Ce n’est pas toujours possible. Je parle dans l’idéal. On ne laisse pas quelqu’un au bord de la route en principe. A moins que la personne le veuille ou qu’elle soit rejetée par le clan pour une raison précise.

Le Mague : Lors de ton exposition cet été à la Bouquinerie, comment tes totems ont-ils été accueillis et perçus ?

Thierry Audibert : Déjà je remercie énormément la Bouquinerie : Delphine Montalant et Eric Holder, qui sont vraiment des gens extraordinaires. J’ai été assez surpris parce que c’était une exposition atypique qui sortait de l’ordinaire puisqu’on a posé les totems comme ça, à droite et à gauche dans le jardin et la Bouquinerie. J’ai été très agréablement surpris par le ressenti des gens, par leur façon de voir les choses et de comprendre. Ça été une belle expérience et j’aimerais bien la refaire.

Le Mague : Quels sont les évènements les plus marquants des révoltes indiennes contemporaines ?

Thierry Audibert : Je suis à ma manière un activiste, Je suis très proche de A.I.M (American Indian Mouvement). Le fait plus marquant en 72 / 75, ça été Wounded Knee et delà s’en est suivie l’incarcération de Léonard Peltier qui est toujours en prison. Ce que ne comprend personne puisque même les juges de l’époque sont revenus en disant qu’il est innocent. Il est considéré aux Etats Unis comme un prisonnier de droit commun mais beaucoup se battent pour qu’il soit considéré comme un prisonnier politique. Il y a aussi actuellement un combat contre la construction d’un pipeline du Canada jusqu’au Golfe du Mexique et qui traverse bien sûr des réserves et également sur le gaz de schiste. Puisqu’on va en premier voir sur les réserves s’il y en a. A Big Mountain, on a créé des décharges d’uranium sur les terres des Indiens. Mais dans la loi américaine, il ne faut pas oublier que dans les réserves, les amérindiens ne sont pas propriétaires du sol ! Il faut aussi savoir, qu’une loi qui a été abrogée dans les années 1980 dans un état du Sud, stipulait que le fait de tuer un amérindien par balle, femme homme ou enfant était considéré comme un acte de chasse.

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Le Mague : Quel avenir les Indiens ont devant eux ?

Thierry Audibert : Difficile ! Par contre, c’est qu’ils ont accès actuellement à la culture grâce à des fonds. On se retrouve avec des avocats amérindiens, des médecins… Il y a des universités… C’est une bonne chose par ce que ça permet de comprendre les droits, de se défendre, de dire les choses. Ce qui m’a agréablement surpris quand je suis allé au Nouveau Mexique, ce sont les jeunes. Pas tous, parce qu’il y a un énorme problème d’alcool, de drogue, de violence, c’est évident. Mais il y a aussi beaucoup de jeunes qui veulent revenir écouter, comprendre les anciens et se rapprocher des traditions. Il y a un noyau qui se crée. En revanche, je ne sais pas quel est l’avenir de ce phénomène. On espère surtout.

Le Mague : Le Médoc recèle dans ses villages moult guérisseurs / magnétiseurs dont l’objectif est de guérir et soulager les souffrances humaines Quels liens selon toi ces personnes ont en commun avec les pratiques chamaniques indiennes ?

Thierry Audibert : Alors là c’est particulier (sourire). Déjà, j’ai du mal de parler de chaman chez les amérindiens. Déjà dans la tradition, le chaman c’est l’homme médecine ou le chanteur, c’est le médecin, c’est le psy, c’est la personne qui est gardienne des traditions. Quelque part je ne pense pas qu’il y ait une relation entre les magnétiseurs ou rebouteux entre parenthèse, qu’on peut retrouver avec les pratiques amérindiennes. Je ne pense que ce soit la même optique quelque part ni la même façon de penser et de voir les choses. C’est plus profond et plus large le spectre chez les amérindiens, il s’ouvre sur la société, les gens autour. Ça va au-delà. Ça concerne aussi quand on a des problèmes familiaux, d’insertion dans le clan on va le voir.

Le Mague : Quels sont tes projets, expositions et autres ?

Thierry Audibert : Au mois de juin, on a fait une grosse exposition avec Edith Bruic qui s’appelait « Déambulesences ». On est en train de la vendre pour la faire bouger en France et par-delà nos frontières.

Le Mague : Tu travailles deux jours par semaine après l’école avec des enfants « dits difficiles » à Lesparre, qu’est-ce que cette activité leur apporte et t’apporte à toi aussi ?

Thierry Audibert : Moi je leur amène ma vision, j’allais dire ma « connerie d’artiste » entre parenthèse (rires). Ce côté qui peut paraitre un peu dérisoire de l’art avec de l’amour de la pétillante de l’envie d’apprendre. Je travaille bien sûr avec une animatrice. J’espère amener des choses aux enfants. J’ai l’impression que oui. Et ça me fait du bien. Ça me lave quelque part. Ça me permet moi aussi d’avancer dans ma tête.

Le Mague : Un grand merci à toi pour tous tes propos passionnants qui me donnent très envie de me replonger dans la lecture, les films et les musiques des cultures amérindiennes selon tes propres choix.

Thierry Audibert vous conseille :
Musiques : John Trudell, Jim boyd, Neil Young, Cat Power, Dylan ....

Livres (auteurs) : Jim Harrisson, Tony Hillerman, Sherman Alexis, Scott Momaday .....

Films : Smokes signals, 3 enterrements, Milagro, Easy rider, Little Bigman....

Quelques liens : : www.aimovement.org / www.johntrudell.com / www.navajo-france.com

Visuels copyright Thierry Audibert
Buffalo dancer 76 x 80 / Corn griding maiden bois de pin h : 130 cm / In the morning mist : 100 x 80 / …