« Harakiri » tranche dans le lard et appelle à la rébellion contre les tyrans !

« Harakiri » tranche dans le lard et appelle à la rébellion contre les tyrans !

Masaki Kobayahsi signe en 1962 un film, véritable critique sociale morale et politique d’un système archaïque et despotique féodal d’un Japon en paix, qui poussait les samouraïs, les citoyens qu’il considérait de premier ordre, à se donner la mort par éventration pour garder les rennes du pouvoir intact. Une construction narrative implacable, une bande son sidérante, des images d’une finesse grandiose, un scénario parfait. Un chef d’œuvre du genre qui nous ouvre l’esprit et nous donne envie de nous jours à proposer le sabre aux capitaines d’industrie, qui sous couvert de faire fructifier leurs affaires et engraisser leurs actionnaires, virent à tour de bras leurs esclaves travailleurs. Harakiri pour moraliser la société, elle n’est pas bonne cette idée, pas vrai Masaki Kobayahsi ?

D’abord, d’abord, ce film « Harakiri » je pensais que c’était une rétrospective du canard crée par le professeur Chroron et Gébé dans les années 70. Et puis au fil du récit j’ai décanté. Je me suis coupée le bide de ma première idée. Et puis, il n’y avait pas photo, même avec un postiche garni, le crâne délavé de Chroron n’égalerait jamais d’un cheveu le chignon de Tatsuya Nakadai, le superbe acteur héros du film au regard qui tue.
Alors, portée par les images léchées en noir et blanc je suis entrée dans l’action du film. Je crois que pour nous autres occidentaux, au premier regard, ce qui aiguise notre curiosité dans cette thématique, c’est l’extrême cruauté très originelle qui peut se dégager du cinoche nippon. La cruauté qui a ce quelque chose de la force transgressive m’évoque aussi l’œuvre du divin marquis. Elle est le couperet qui sert à mettre en accusation une société despotique au XVIIème siècle au Japon. Avec l’abolition de la guerre pour mieux régner en maître, ce règne de la paix peut s’avérer encore pire que le temps de la guerre.

Quelques mots à propos des samouraïs qui s’arrogeaient le droit de vie et de mort sur le reste de la population. En temps de guerre, ils se hissaient tout en haut de la hiérarchie sociale au-dessus des paysans, artisans, avec tout en bas les marchands. Le shogun alias le despote avait conscience de la valeur et du risque que pouvait représenter des armées de samouraïs démobilisées en temps de paix. Ils devenaient alors des ronins, c’est-à-dire des serviteurs sans maître. Ils devaient se recycler en tant qu’artisan, professeur ou bien encore en tant que voleur, assassin ou mercenaire. Notre héros du film est devenu artisan d’éventails, ce qui le conduit à sa ruine. Incapable de donner à manger à sa fille et le bébé de celle-ci, contraint à l’indigence du fait de la perte de son statut de samouraï, il s’accroche au code d’honneur de sa caste et pense à se donner la mort par éventration, comme le stipulait la tradition. Ou si vous préférez, c’est l’histoire d’un jeune samouraï qui est forcé de se faire harakiri pour demander la charité. Il sera vengé par un vieux samouraï déclassé. Je vous rassure, il n’est nul besoin de connaitre tous les codes du film de genre pour comprendre les ressorts de ce film.

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A lire la trame du récit en images, vous pourriez presque penser qu’il s’agit d’un cinéma très sage qui rend hommage à cette élite guerrière, point à la ligne. Du sang et des larmes, un film en costume du pays du soleil levant. Un simple film très masculin qui transpire la sève des héros couillus qui se tranchent dans le lard et se battent sabre au clair pour le plaisir de mourir. On s’attendrait à voir apparaitre Sergio Leone en embuscade qui se serait inspiré de ce cinéma pour nous conter ses héros de western bien à lui. Ce film est empreint d’un héroïsme viril. Jusque dans le regard de Tatsuya Nakadai qui embrase littéralement l’écran de toute sa violence vengeresse. A la sacrée différence près que l’action attendue n’est pas au rendez-vous au sens où vous l’entendez. C’est un film d’action où le héros repose la plupart du temps à genoux à discourir avec des gens dans la cour d’une vaste demeure de gens de pouvoir. Masaki Kobayahsi, le génial réalisateur se joue des codes de ces films de genre. On peut faire des films d’action sur la construction de l’action. L’apothéose que suggère l’action se situe dans son avènement et non plus désormais dans sa réalisation. La façon dont l’engrenage de violence se met en place devant nos yeux ébahis est tout simplement sidérant à nous couper le souffle. Conjugué à la musique composée par de Toru Takemitsu, tenant de la musique contemporaine à la limite concrète des années 1960 à 1980. Il mixe des instruments traditionnels et actuels pour créer un climat d’inquiétude palpable déjà à l’écran qui donne encore plus de relief. Le scénario de Shinobu Hashimoto est construit à la perfection. Je ne parle même pas du léchage de l’image très accomplie. Tous ces éléments concourent à un chef d’œuvre du genre.

Masaki Kobayahsi le génial réalisateur me fait immanquablement penser à un autre K comme Kafka ou Kubrick cinéaste engagé avec son « Barry Lyndon  » que l’on peut lire sous plusieurs angles. Il s’attaque à la confiance que l’on peut offrir à un gouvernement. Au lieu de montrer un seigneur bête et méchant auquel va s’affronter le héros, il préfère démontrer la force du monstre froid au service d’un système féodal abominable qui oblige les hommes de sens à se faire harakiri pour perpétrer les valeurs du pouvoir en place. Le monstre, c’est l’état féodal qui s’incarne dès le début des premières images du film par une armure vide, configuration d’un état féodal fort et vide de toute humanité. Il faut aussi savoir que lorsque ce film est sorti, il y avait au Japon un mouvement pacifiste contre l’occupation du pays par les bases américaines qui se réclamaient de la suprématie géopolitique yankee dans tout l’Océan Pacifique et se comportaient en tant que vainqueur envahisseur, comme à Berlin d’ailleurs ! De nombreuses manifs de rue d’une jeunesse en liesse pacifistes en avance sur mai 68 éclatèrent dans tout le pays.

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Il y a aussi cette scène prodigieuse entre le héros samouraï vieux guerrier aguerri qui se bat contre un jeune maître d’arme trop sûr de lui. Ils composent l’affrontement entre deux conceptions de la réalité d’une société délitée. Et pour être raccord avec le cheveu sur la langue qui m’emberlificote le clavier, le fait de couper le chignon d’un samouraï, c’était le pire châtiment, comme si on lui avait coupé les couilles. Il n’y avait plus qu’une seule sortie pour garder la tête haute mais dégarnie, se faire harakiri dans les règles de l’art. Se trancher le bide en croix. Les cathos apprécieront la dévotion et la précision du geste sauf que chez eux le suicide est interdit par les dogmes.

Je propose harakiri à tous les président(e)s, ministres, chefs d’entreprise et autres décideuses et décideurs de la planète terre qui manquent au respect de l’humaine condition de leurs ouailles. Par cette technique ancestrale du pays du soleil levant, elles et ils se fendront enfin le bide, la franche rigolade en rasade, au lieu de se fendre la gueule à injurier sciemment toutes les personnes qu’elles entubent en toute légalité et pour le plaisir.
Le bien inspiré Masaki Kobayahsi réalisateur de génie de la verve des Kubrick nous ouvre l’esprit et sabre dans le lard des idées reçues. Hum comme c’est bon, j’en redemande ma dose !

Harakiri de Masaki Kobayahsi, version originale sous-titrée, noir et blanc, 1962, 133 minutes, distribué par Carlotta Films, mai 2012

Suppléments : De l’art de bien mourir (7 minutes) /
Entretien avec Christophe Gans (30 minutes) /
Bande-annonce