Dagmar de Franck dit Bart, un polar fantastique et jubilatoire

Dagmar de Franck dit Bart, un polar fantastique et jubilatoire

Littérature florissante et joyeuse autour d’une héroïne à double face : Dagmar mortelle de 16 ans alias Bluty jeune femme vampire. Une histoire à rebondissements à Berlin, en Gironde à Paris et sa région et Ascona en Suisse sur plusieurs périodes. Elle est entourée de personnages forts en thème, roman initiatique sur fond de vengeance de son amante et mère adoptive qui l’a créée à la vie éternelle. La chasse aux immortelles femelles insoumises et révoltées est ouverte. Une dynamique et un style constant vous incitent à tourner les pages, le regard en haleine jusqu’au mot fin. Vous n’êtes qu’au début de vos étonnements à lire Dagmar, un roman hors norme qui révolutionne la littérature de genre.

J’avais déjà été assez surprise par le premier roman de Franck dit Bart et son « Carl et les vies parallèles » avec ses connotations textuelles à la Frédéric Dard pour vouloir à nouveau lire son présent ouvrage « Dagmar ». D’autant que j’ai tout de suite reconnu son style inimitable à la fois très littéraire mais aussi parfois aux limites de l’argot, langue vivante qu’il affectionne et qui agrémente parfois l’action et le tempérament de ses personnages. Ce mélange des genres est très surprenant mais aussi le gage d’un gros travail d’écriture qui rend le roman parfaitement lisible et agréable.

Comme pour ses articles étranges et hors norme pour le Mague, on aime ou on déteste Franck dit Bart. Sa littérature et ses romans sont pratiquement irracontables.
Comment situer ce genre de littérature ? Exercice périlleux, car à la fois forcément fantastique puisque vampirique, mais aussi polar avec la chasse à la vampire, indéniablement historique avec les scènes qui se situent dans les parages de l’artiste expressionniste Ernst Ludwig Kirchner dans le Berlin des années 1910 et le contexte des cabarets et la mouvance anarchiste et pacifiste d’avant-guerre, mais aussi dans le mouvement gay et lesbien en lutte des années 1920, sans oublier le passage de l’héroïne à la communauté Monte Verità en Suisse.
Autre originalité et pas des moindres, j’aime sa façon d’alterner ses chapitres entre les deux époques de son héroïne, Dagmar jeune femme mortelle au temps jadis des années 1910 / 1920 et Bluty la vampire des années presque 2000. Ces aller et retour comme dans l’acte d’amour se télescopent et survoltent ses lecteurs. Il y a de l’électrochoc dans l’air. Car Dagmar ne laisse personne de marbre. Autour d’elle, un aéropage de créatures fleurissent et tombent sous son charme vénéneux. Heureusement Franck dit Bart a eu l’excellente attention de nous livrer sa galerie de personnages en début de roman et nous les conter brièvement, ainsi on n’est jamais perdus.

Un trait de caractère peu banal, sa Bluty est motarde en cuir, ce qui accentue encore davantage sa volonté de se mouvoir le plus possible en liberté et échapper à la police qui la poursuit.
Il y a aussi la Singette, cette marionnette fille singe qui accompagne Bluty dans ses nuits et même le jour dans son sommeil. Elle joue en quelque sorte un jeu de tampon dans la vie tumultueuse de sa compagne écarlate. Elle adoucit ses humeurs et nous lance à la figure quelques facéties d’humour qui apaisent le récit et nous permettent de souffler. Avant qu’un autre chapitre nous entraine vers de nouvelles aventures. On se croirait presque dans un feuilleton populaire à la Boro où toutes les scènes sont relatées dans un désir d’exercer le stylo caméra de son auteur pour notre plus grand joie.

C’est vrai si vous aimez « Twilight » et ses mièvreries pour ados, vous risquez d’être déçus ! Franck dit Bart prend le genre vampirique à rebrousse-poil du phénomène de mode actuel autour des suceurs de sang. Bluty tue à sa manière particulière, avec ses jeux de succions pornographiques en clamant des vers du » Pont Mirabeau » d’Apollinaire. C’est dément cette idée et d’une totale originalité jamais égalée ! Verlaine et Baudelaire y auront aussi leur place. Des trouvailles, il y a plein le livre. Je pense à cette scène très drôle où Bluty de retour d’une sustentation vitale s’en prend à la Singette et aborde pour nous les différents jobs qui seraient susceptibles de satisfaire une vampire. « Ecoute plutôt : recherche pour son groupe Métal Moumoute « New Death », une chanteuse style vampire déjantée ayant expérience scène et studio pour dépoter l’atmosphère no futur, pisseuses chaudes s’abstenir. Le Tabou bar recherche une animatrice cuir, maîtresse de cérémonie pour soirées fétichistes, curriculum vite fait et connaissances du milieu et des pratiques SM nécessaire. L’entreprise de nettoyage recherche un immortel, une immortelle à la rigueur fera l’affaire pour commandes très spéciales ». (page 66) Sur ma lancée, ça me tenterait de me rendre à une agence de Pôle Emploi et leur demander s’ils n’auraient rien à proposer à Bluty. Je m’emballe, c’est encore ce roman qui m’entraine sur des pentes glissantes… Tout le livre est de cette veine-là ! Franck dit Bart use de la dérision et de l’humour dans presque toutes les situations, que cela est très agréable.

Je n’ai pas parlé de la couverture, encore un clin d’œil à Boro et Enki Bilal. Je la trouve très réussie. Babi l’illustratrice a déjà bien du talent. D’un coup d’œil on perçoit l’atmosphère du roman.
J’ai passé un moment fort agréable à lire ce roman que je recommande vivement et je ne vous cache pas que j’ai hâte de lire les prochaines productions de Franck dit Bart, un auteur atypique et bien sympathique dans ses écrits, d’une imagination opulente et dépyasante.

Dagmar de Franck dit Bart, éditions Kirographaires, 200 pages, mars 2012, 18,45 euros