Travailler plus pour consommer plus et en crever !

Mort à 37 ans après une filmographie imposante tant pour le cinéma et la télé, des pièces de théâtre … une vie bien remplie, Fassbinder le boulimique ne cessera jamais de nous sortir de sa verve personnelle des pépites cinématographiques toujours d’actualité. Dans la soit disant Allemagne de l’essor économique des années 70, Peter le maçon reste sur le carreau des sentiments et gueule en sourdine « Je veux seulement que vous m’aimiez » qui donnera le titre au film. Pour combler son vide existentiel sans ciel, il consomme à tout va des objets vides de sens jusqu’à son geste fatal. Mélo social flamboyant en guise de presque testament pour Fassbinder, cet amant de la vie brève qui en creva de créer jusqu’au bout de ses forces pour notre plus grand plaisir malgré nous !

On exhume, on hume toujours de nouvelles œuvres de ce cher Fassbinder. Un peu comme pour et autour d’un Frank Zappa prolifique à la guitare éclectique ! L’un torturé et l’autre à la marge musicale et à l’humour débonnaire. J’arrêterai là la comparaison avec ces deux hommes flamboyants partis trop tôt.

Beaucoup de critiques à l’époque se gaussaient du Fassbinder qui avait trahi le grand écran pour se fourvoyer avec le petit écran de la télé. Les caves à la rescousse au regard éteint n’ont jamais rien compris à l’œuvre de ce génial Rainer Werner. Ce dernier n’éprouvait aucune honte à dessiner des destins tragiques pour la télévision bavaroise. Si des auteurs de sa trempe à son époque avaient en France squatté les ondes en images, pour sûr je me serai procurée une télé pour les encourager ! Nada chez les franchouillards et ne me parlez pas de ceux qui se revendiquent de de vive la sociale et qui sont d’un triste à crever à tomber par terre le nez dans le ruisseau. A part bien entendu ce cher Gérard Mordillat qui adapte aussi à la télé ses fameux romans.

Fassbinder était aussi sans se l’avouer, un journaliste honnête qui aimait raconter les histoires des gens qui le touchaient. Adoré de sa mère qui joue dans son film et ignoré par son père, il est un peu comme son personnage principal de Peter maçon qui reçoit du paternel des biffetons pour spolier le dénuement sentimental et infernal familial.
Peter construit une maison de ses propres mains pour ses parents des petits bourgeois bavarois. Il souffre de leur froideur congénital à ramener tout au niveau du fric qui s’astique un éphémère de représentativité et va chier le cœur léger. Il décide d’immigrer à la capitale du Land : Munich.

Autres mœurs, autres représentations théâtrales sociales, Peter se crève à la tâche sur le chantier du renouveau du béton à la grande ville.
« Ce film n’est pas une stricte analyse psychologique. Il est un mélange de fiction, d’expérience, d’observations, de suppositions donc au sujet des personnages qu’il dépeint  » (Fassbinder)

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Inspiré d’un fait réel, du maçon surendetté qui tue pour se loger à l’enseigne de la taule et du blanchiment de ses draps, quitte encore à cantiner peut-être avec l’argent sale du père si celui-ci le considère encore comme son fils.
Et puis, avec le mariage avec sa dulcinée et la venue du bébé, c’est l’engrenage infernal de l’achat frénétique à tout va des objets hétéroclites pour ressembler aux bourgeois. Le kitch bave ses breloques et tire à boulets rouges sur le compte en banque en berne du couple où la femme demeure à la maison. Le capitalisme crasse de la sociale démocratie d’un Helmut Schmidt (qui ressemble comme à une sœur jumelle à celle des Hollande et consort du PS) vend du toc et des tics. Peter se crève la paillasse à rembourser ses dettes au nom du confort conjugal.

De ses acteurs issus du théâtre, Vitus Zeplichal dans le rôle de Peter est épatant de vérité et sa femme jouée par Elke Aberle transperce l’écran.

Fassbinder lèche ses images comme à son habitude et n’est pas paresseux de la narration.
Carlotta Films avec sa générosité nous honore d’un supplément d’une heure sous la forme d’un documentaire inédit avec les protagonistes et acteurs du film. La dimension psychologique et esthétique de cette œuvre est évoquée. Dommage que la thématique du mélo social soit ignorée !

Encore un inédit qui nous ravit au plus haut point par le traitement serein d’un cinéaste à propos d’une thématique pour ainsi dire presque toujours mise à l’index : le surendettement. Et pourtant, même de nos jours avec un président omniscient qui se revendiquait du « travailler plus pour gagner plus », on évoque la consommation comme parabole à la survie d’un capitalisme moribond, alors que des mouvements pour la décroissance joyeuse et désirée renvoient le travail qui rend libre au temps des esclaves consentants.
Ce film novateur et très réaliste nous ouvre les yeux sur le miracle économique qui ressemble plus à un mirage et la caravane trépasse.

Rainer Werner, tu nous manques frangin. Merci pour toute ton œuvre qui ne peut nous laisser indifférent. « Je veux seulement que vous m’aimiez » est un film émouvant qui transcende les carcans des films cul-culs la praline dans la choucroute. De la verve avant toute chose et vive la sociale au cinoche. Merci encore très cher Fassbinder toujours quelques heures d’avance sur ton temps bien rempli.

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Je veux seulement que vous m’aimiez de Rainer Werner Fassbinder, version originale, sous-titres en français, 105 minutes, couleurs, distribué par Carlotta Films, Blu Ray : 24,90 euros et DVD 19,99 euros, 5 octobre 2011

Supplément : De l’amour et des contraintes : suppositions sur « Je veux seulement que vous m’aimiez, documentaire de Robert Fischer (2010), couleurs, 60 minutes