Un Strip-tease mental qui a la frite

Un Strip-tease mental qui a la frite

C’est certainement l’une des meilleures émissions de télé de ces 20 dernières années. Avec ses 780 épisodes déjà diffusés, Strip-tease est toujours à l’affiche depuis 1985. En plus de ses multiples rediffusions, l’émission s’enrichit de nouveaux épisodes chaque année.

En Belgique, elle passe en prime time, juste après le JT de 20 heures, et enregistre 30 % d’audience. Les soirs de foot, elle rafle 19% de part de marché aux matchs diffusés sur l’autre chaîne. Un record. En France, reléguée au placard des émissions de nuit de France 3, « Strip-tease » atteint quand même les 14%. Soit 4% de plus que les autres émissions programmées à la même heure. Un tour de force ! Devenue culte, l’émission a su fidéliser son public malgré ses incessants déplacements dans la grille des programmes Preuve que « Strip-tease », l’émission aux deux 7 d’or (1997 et 2000), n’est pas un documentaire selon Arte.

Le téléspectateur aime la qualité. Il va la chercher. A n’importe quelle heure.
Las de parcourir le monde pour des reportages de presse trop conventionnels, l’ex-journaliste belge Marco Lamensh et son ami caméraman Jean Libon plaquent tout. Ils décident d’explorer l’âme humaine et inventent « Strip-tease ». Au départ, personne n’y croit. Un an plus tard, c’est le succès. Le « Magazine qui déshabille la société » est à mi-chemin entre la télé et le cinéma. Le principe est simple. « Filmer des moments réels entre les gens, des morceaux de la vie en société, le quotidien de Monsieur Tout-le-monde. Une manière de décrire un état d’esprit fin de siècle », explique Jean Libon. Voyeurisme ? Non. Strip-tease n’est pas un « reality show » mais une réalité qui se montre, qui se déshabille. C’est la réalité à l’état brute. Tantôt tendre, tantôt cruelle. Mais sans paillette ni truquage. Plus proche du travail d’Edgar Morin que celui d’Alexia Laroche-Joubert (productrice de « Loft Story »), Strip-tease ne met pas les corps à nue, il dévoile les âmes avec pudeur. « Les gens se racontent. On les filme tels qu’ils sont, précise Marco Lamensh. La caméra n’est pas là pour les juger ou faire ressortir leur côté sordide ou ridicule.

Ce qui nous intéresse, c’est la dimension sociale qu’il y a derrière tout ça ». Car dans Strip-tease, on n’enferme pas les gens dans un bunker. Après de longues semaines d’un repérage minutieux, on va chez eux pour partager leur vie. Cinq jours au cours desquels une équipe de 3 personnes s’immerge jusqu’à faire partie des meubles. A l’heure de la soupe, on épluche les pommes de terre, on fait les courses, on descend les poubelles, on se tutoie. Et on finit par oublier la caméra. Une caméra invisible mais jamais cachée. Suivent dix jours de montage pour aboutir à de petits chefs-d’œuvre de 15 minutes environ. Un travail colossal qui nécessite un budget de 120 000 euros par épisode et qui exige une grande préparation de la part du réalisateur, monopolisé de six à huit semaines.

Il est arrivé qu’une réalisatrice passe un an à apprivoiser une personne avant que celle-ci accepte d’être filmée ! Généralement, tous se prêtent facilement au jeu : VRP, livreur de pizza, grand cuisinier, patron tyrannique, maire de village, star de karaoké, écrivain du dimanche comme, par exemple, l’inoubliable Claudie Franquinet, poète en survêt’, qui récite ses propres vers devant les 3 pauvres erres d’une une salle des fête de province. Certains appellent directement la production pour qu’on s’intéresse à eux. Souvent des vieilles personnes qui veulent devenir les héros de leur village en passant à la télé ou des apprentis-chanteurs qui veulent faire carrière. Mais Strip-tease n’est pas la Star Academy. Il existe toutefois des exceptions. Comme cet escroc, voleur de voitures d’occasions, fier de pouvoir montrer ses combines pour les revendre. « Un jour, nous n’avons pas pu tourner : la police était en planque devant chez lui, prête à le serrer, raconte Jean Libon. Il y a quelques années, il nous a rappelé pour que l’émission ne soit pas rediffusée. Il avait changé de métier. Il travaillait à présent pour la police fédérale ! » Autant de portrait où la réalité dépasse souvent la fiction. D’ailleurs les jeunes cinéastes ne s’y trompent pas. Nombreux sont les courts métrages inspirés indirectement d’un épisode de Strip-tease.

Benoît Pooelvorde, lui-même, avouait s’être inspiré du concept de l’émission pour son film « C’est arrivé prêt de chez vous ! ». « Un historien de l’an 2050 qui voudrait se faire une idée de la société de l’an 2000 apprendrait, je pense, beaucoup de chose en regardant la galerie de portraits que nous avons dressé dans Strip-tease, conclue Jean Libon ». Déci là, gageons que la télévision ne meurt pas étouffée sous le tas de déchets qu’elle produit tous les jours.