La légende d’André Laude

La légende d'André Laude

Les éditions Levée d’encre viennent de publier La Légende du demi-siècle, un ouvrage d’André Laude, poète insurrectionnel décédé en juin 1995. Une chaude virée dans les mouvements artistiques qui ont agité le monde entre 1920 et 1975.

Disons deux mots sur les éditions Levée d’encre pour commencer. Elles sont animées par deux écrivains, Thierry Guilabert et François Vignes. Le premier n’est pas un inconnu puisque nous avons présenté ici sa biographie de Jean Meslier, un extraordinaire curé athée et révolutionnaire, publiée par les éditions Libertaires. Le second est notamment l’auteur du livre Les Compagnons du Verre à Soif qui rendait hommage à André Laude, poète anarchiste avec qui il fut ami pendant trente ans. La sortie de La Légende du demi-siècle ne doit donc rien au hasard.

Dans la préface, Il était un foie... André Laude, François Vignes revient sur l’année 1975. André Laude avait alors 39 ans. Il pigeait dans Le Monde, dans Les Nouvelles littéraires... Ce titre entrait dans sa cinquante troisième année et voulait tirer un numéro spécial consacré à un demi-siècle de littérature. Pour une somme modique et une caisse de bière, André Laude fut choisi pour relever le défi. La "légende" serait ainsi née dans l’urgence et la précipitation. "Si j’utilise le conditionnel, c’est qu’André avait souvent tendance à romancer sa vie, précise François Vignes. Et elle était parfois si miséreuse qu’il en avait toujours une de rechange sous la main." En effet, digne héritier de Blaise Cendrars, André Laude pratiquait le "mentir vrai". Ne fut-il pas dépucelé par Rosa Luxemburg ? C’est dire...

Le premier volet de La légende du demi-siècle, texte inédit, démarre dans les limbes de la grande boucherie de 14-18 pour se terminer au seuil des années noires suivantes. Une litanie de deuils qui, de l’exécution des anarchistes Sacco et Vanzetti aux USA à l’assassinat du poète libertaire allemand Eric Müsham dans un camp nazi, en passant par l’écrasement de Cronstadt par Trotksy, le meurtre de Federico Garcia Lorca en Espagne, le pace germano-soviétique et autres nausées, pointe le prix payé par les "coeurs purs" dans les sombres plis et replis de l’Histoire, celle qui s’écrit avec une grande hache.

"La vie est un grand écart", écrit André Laude. Face aux barbaries, il dessine un panorama captivant du monde artistique et intellectuel. Tout ce qui bouge est saisi au vol. Peintres, écrivains, musiciens, danseurs, poètes, cinéastes... de tous les "ismes" (dadaisme, surréalisme, futurisme...) sont là. Le texte d’André Laude tient de la chronique littéraire, mais aussi du commentaire sportif à la manière de ces speakers qui suivaient les 6 jours du Vel’ d’Hiv. Il y a du rythme, du rebondissement, du suspens. Malgré le temps qui nous sépare des événements, c’est vivant comme du quasi direct. La "Légende" rappelle aussi certains poèmes fleuves. Elle nous emporte dans des labyrinthes où l’on croise Isadora Duncan, Henry Miller, André Breton, Sade, Isidore Ducasse, Albert Londres, Joséphine Baker, Jean Vigo, André Malraux, John Reed, René Daumal, Louis Armstrong, Marlène Dietrich (la "Fleur du Mal")...

Dans ce conte parfois cruel parsemé de suicides, de trahisons, de doutes et néanmoins d’espoirs (Nadja est la première syllabe du mot espérance en russe), nous croisons aussi les Fratellini, Miro, Aragon, Satie, Fourier, Ravel, Desnos, Saint John Perse, Poulenc, Picasso, Méliès, Apollinaire, Honegger, Cocteau, Masson, Stravinsky, Artaud, Michaux, Soupault, Nijinski, Eluard, Chaplin, Maïakovski, Bunuel et tant d’autres. André Laude nous donne un kaléidoscope qui affole l’horloge du temps, qui emmêle les règles du Grand jeu, qui déchaîne les passions. "En peinture comme en musique, en littérature comme au cinéma, comme toujours depuis la nuit des temps, l’ancien et le nouveau s’empoignent furieusement, se contredisent, s’apostrophent, se lancent des défis tumultueux", rappelle André Laude.

L’ouvrage se termine en évoquant un livre de Marguerite Yourcenar paru en 1939, Le Coup de grâce. Un titre lourd de sens comme sera lourde la suite annoncée par les éditions Levée d’encre. Un second volet intitulé Les Années floues (1940-1975) va prochainement paraître. Autre bonne nouvelle, Les Amis d’André Laude associés aux Voleurs de Feu vont aussi publier un ouvrage de l’auteur du Testament de Ravachol, La Constellation du fils. A suivre donc.

André Laude, La Légende du demi-siècle 1- Des années folles aux années noires, éditions Levée d’encre, 114 pages. 12 euros. A commander chez Levée d’encre BP 50030 17480 Le Château d’Oléron. Courriel : levee.dencre@gmail.com

Plus d’infos sur le site des éditions Levée d’encre.

Photo extraite d’une interview d’André Laude par Hocine Bouakkaz.