Borzage à l’heure du parlant et toujours aussi expérimental !

Borzage à l'heure du parlant et toujours aussi expérimental !

Ayant reçu le Prix du syndicat français de la critique de cinéma du meilleur coffret DVD 2010 à propos des quatre chefs-d’œuvre de Frank Borzage, c’est tout naturellement que Carlotta Films a édité en mars 2011, Liliom long métrage parlant de ce réalisateur. Film ovni et totalement incompris à l’époque (1930) lors de la vogue de la comédie musicale, c’est pourtant une fois encore une œuvre très aboutie qui met en scène dans un drame sentimental, un certain réalisme poétique très touchant. A découvrir en première urgence, histoire aussi de se rendre compte une fois encore, combien tous les effets techniques actuels sont puérils, comparés à Liliom, film tourné par un homme très courageux à la limite de la théâtralité portée à l’écran.

Une comète cinématographique perle dans le ciel des écrans et zèbre nos esprits. Liliom est de celle-ci. La Fox avait donné son feu vert pour le tournage en sachant à l’avance qu’elle s’inscrivait dans une entreprise suicidaire. Mais vogue la galère. D’autant que Borzage a supporté l’insuccès de ce film où il a frôlé le désarroi du cinéma en s’entichant ensuite de deux à trois ouvrages alimentaires, pour enfin tourner « Bad Girl » qui sera couronné par l’oscar de la mise en scène.

Liliom, c’est aussi l’histoire d’un réalisateur, qui plus que Terry Gilliam de coutume, a enchainé les difficultés. D’abord, il avait pressenti son couple fétiche Charles Farrell et Janet Gaynor. Sauf que cette dernière, fière de sa gloriole au sommet de sa carrière pour bon service avec Murnau, était devenue très exigeante avec son contrat et demandait toujours plus d’oseille. Tant pis pour elle…. Borzage s’envola pour New York et touche du bois à la scène, une certaine Rose Hobart qui avait déjà joué la pièce et la connaissait comme sa poche. Un autre atout de taille, c’est son regard à la Romy Schneider. Le noir et blanc l’accentuant encore davantage. T’as de beaux yeux tu sais, poupée !

Comment porter à l’écran un drame sentimental tiré d’une célèbre pièce de théâtre de l’auteur hongrois Franz Molnar ? D’autres s’y sont déjà risqués et s’y risqueront, dont quatre ans plus tard en 1934, le fameux Fritz Lang durant son exil en France et même en 1956, un autre cinéaste, selon les carcans de la comédie musicale.

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L’histoire se situe à Budapest. Julie et une amie se rendent à la fête foraine où elle s’éprend de Liliom, l’homme du carrousel qui sait séduire les donzelles pour qu’elles chevauchent ses chevaux de bois. Julie quitte son travail de bonne pour aller vivre avec lui. Les travaux ménagers l’accaparent tandis que Liliom rêvasse tranquillement. Lorsqu’elle tombe enceinte, Liliom qui rêve de fonder une famille en Amérique, s’imbrique dans la participation d’un braquage.

Le film se déroule en deux parties, la première où l’on suit les deux amants et leur relation qui s’intensifie, puis suite au drame où Liliom quitte notre monde et atterrit par un train dans le ciel à une espèce de purgatoire et tente de se racheter pour revenir sur terre.
Réaliser cette rupture entre les deux mondes, entre les deux niveaux du réel et une certaine forme de l’au-delà sans aucun moyen technique, à part la richesse des décors, quel talent, monsieur Borzage ! Le public est resté perplexe. D’autant plus qu’il n’a pas été aidé pour le découvrir. Le film est interdit en Angleterre, France et Allemagne pour des raisons religieuses. En Autriche et par « respect » avec l’origine de l’auteur de la pièce de théâtre, il est diffusé uniquement en version originale dans le but de réduire l’audience. Les cathos eux n’y vont pas par deux ciseaux, ils amputent tout simplement la partie qui traite de l’au-delà. Il n’y a rien à voir, le film s’achève quand Liliom trépasse.

Au niveau du jeu des acteurs, Borzage demandait à Rose Hobart de parler en récitant carrément son texte lors de certaines scènes en s’inscrivant dans les distanciations du théâtre dont était si friand un Berthold Brecht. Quelle modernité !

Les décors abstraits de Harry Oliver bien visibles correspondent à l’écran à des formes géométriques et répondent parfaitement aux lumières sombres obscures de l’ici-bas, en contraste avec l’au-delà sans drame qui a gommé jusqu’à la musique des passions.

Un film vraiment étonnant, d’autant plus après avoir suivi dans plusieurs films le charmant Charles Farrell. L’entendre jacter est vraiment surprenant. Il limite ses mimiques et donne de la voix.

Moderne, courageux et intemporel, Frank Borzage se démène et nous offre un film très fort et passionnant. De l’audace avant toute chose et Borzage tourne ses films pour notre plus grande joie.

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Liliom de Frank Borzage, 1930, 88 minutes, noir et blanc, version originale sous-titrée en français, distribué par Carlotta Films, mars 2011, 19,99 euros.


Suppléments : préface d’Hervé Dumont (8 minutes) et galerie photos