LE FIOUPELAN, QUESACO ?

LE FIOUPELAN, QUESACO ?

Le fioupélan, c’est d’abord un crabe rigolo, avec de longues jambes toutes poilues comme ta soeur, mais c’est aussi un éditeur, que l’on trouve sur les mêmes côtes que le susdit crustacé, du côté de Marseille ! Un « éditeur en région », donc, tel qu’on raille du côté de Paris, comme si la région parisienne était hors du commun…

Un éditeur très diversifié mais économe de titres, car l’aventure est risquée aujourd’hui de vouloir vendre du papier intelligent, surtout lorsqu’on souffre de la malédiction culturelle d’être marseillais. Mais tel Samson Derrabe-Farrigoule défiant sa ville, et dont nous reparlerons quelques lignes plus bas, les éditions Le Fioupélan ont relevé cet incroyable défi… et tiennent bon depuis quelques années de livre en livre. Chaque fois une bonne surprise que le petit dernier des Fioupélan, car Jean-Marc Valadier, qui gouverne à la destinée de cette sympathique petite entreprise du savoir, est « un espèce de fada », aux goûts iconoclastes et au bon goût surprenant : on est toujours agréablement surpris par sa production, pour le moins toujours inattendue et rarement entachée de cet esprit de sérieux dont les arbitres de l’élégance croient encore trop souvent qu’il fait la grande littérature…

Cet hommage légitime rendu et l’ensemble de la production du Fioupélan offert à votre curiosité sur leur site, j’attirerai plus particulièrement votre attention sur le fait que cet éditeur, après L’Ecailler en d’autres temps, a repris le flambeau de l’Overlittéraure et accueille dans une nouvelle collection les titres (pour de vrai) décalés de ces auteurs (pour de vrai) déjantés, autant que talentueux et authentiques. Et je me fais un devoir (pour ceux qui sont en retard pour leurs cadeaux de Noël, les libraires de bon aloi et les lecteurs dotés d’un cortex) de vous faire l’article sur les trois sorties de décembre :

Josy Coiffure
,

par Anne-Marie Ponsot

Ca se passe à Marseille, dans son modeste salon de quartier, où Josy brosse avec tendresse la comédie du quotidien et met en scène une galerie de personnages attachants… mais irritants ! Disons qu’il vaut sans doute mieux les avoir en livre qu’en pension : Marie-Ange, shampouineuse en chef, une experte qui danse le « zlow » avec des rondeurs toutes felliniennes, Jeanine Pantalacci, « qu’elle est beaucoup pressée », Madame Locci « de longue tanquée » dans le salon, Jocelyne avec ses airs de craint-dégun, Mademoiselle Guillotot la prof d’anglais, la dame chic à l’accent jambon, sans oublier le plus beau, son mari « Rogié »…Ragots, rouleaux, sanglots, ciseaux, blues et blouses… Du haut de son tabouret en formica, comme un comédien qui jouerait tous les rôles, Josy fait vivre cette galerie de portraits cocasses, déroulant un hallucinant monologue, pétri de rires et de souvenirs, orchestrant une polyphonie de voix, d’accents et de caractères avec un phrasé d’une précision redoutable. Car Anne-Marie Ponsot a su rendre à merveille et à l’écrit la fougue, la saveur du verbe et la beauté du parler marseillais. Ce que relève autant de la transcription que de la prouesse ! Il faut dire qu’écrit en 1980, ce texte a été joué par l’auteur, également comédienne, près de 600 fois dans la France entière, faisant rayonner l’esprit de Marseille bien au-delà de la Viste et des Goudes …

Le Livre de Jobi
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par Henri-Frédéric Blanc

Jobi est un truand marseillais qui sévit dans le business des machines à sous : il gagne le sien en vous aidant à perdre votre argent, pour résumer... Jusqu’au jour où son boss et un « zélu », de façon presque futile, font le pari de lui pourrir l’existence, histoire de voir s’il a assez de jus pour « conquêter » Paris. Alors maux et malheurs se mettent à pleuvoir sur le pauvre Jobi, qui entame une vertigineuse descente en enfer… Polar mystique ? Brûlot azimuté ? Homélie dopée au pastis ? Le Livre de Jobi est en toute hypothèse l’opus le plus zénithal d’Henri-Frédéric Blanc, pape de l’Overlittérature : une œuvre à double fond qui cache sous le grotesque de la satire une ardente quête spirituelle. Enfin sont abordées la dimension transcendentale de la tchatche, la spiritualité de la galéjade, la sardinitude, oserait dire Ségolène, si cette girelle royale avait le bonheur d’être Marseillaise… Enfin, Jobi répondra à la question qui tourmente les théologiens depuis des millénaires : Dieu est-il fada ? Quant à l’auteur, nul n’en doute, qui a consacré son œuvre à l’informulable ! Régulièrement adapté au théatre et au cinéma, il vit actuellement à Aix-en-Provence comme un bourgeois (qu’il n’est pas) gentilhomme (qu’il est), en attendant de recevoir dans sa ville natale les honneurs qui lui sont dus.

SUR TES RUINES J’IRAI DANSANT
(s-t « Samson Derrabe-Farrigoule défie la ville),
par Gilles Ascaride

Marseille n’aime pas seulement imiter ses cartes postales, elle aime aussi dévorer ses propres enfants. Pour y être un peu plus qu’une sardine, mieux vaut s’en exiler !... Un seul refuse de se plier à cette malédiction millénaire : Samson Derrabe-Farigoule. Sa grande gueule défie la Grosse Ville en une imprécation flamboyante, vibrante de griefs accumulés. Sous le flot de son verbe vengeur, les murailles de la Ville-Mère, couvertes de trompe-l’œil pittoresques, se fissurent et croulent pour faire apparaître la très puante réalité. Un roman unique, dans le fond comme dans la forme, qui n’est qu’un cri et pourtant, mine de rien, le portrait sociologique de Marseille le plus exact qu’il soit donné de lire. Ceux qui s’intéresseront davantage au style singulier du plus frappé des Ascaride, fratrie généreuse qui compte également au cinéma comme au théâtre, liront avec le plus grand intérêt la « préface de con » de Serge valetti, ainsi qu’en postface la très instructive analyse « Oralité et littérature : du parler à la poétique oratoire dans Sur tes ruines j’irai dansant » par Médéric Gasquet-Cyrus, Maître de Conférences à l’Université de Provence, qui nous rappelle sans rire que « toute transcription de la langue parlée est un compromis entre des besoins de lisibilité et la précision des phénomènes phonético-prosodiques actualisés » Eh bien c’est parfaitement réussi !!

http://www.lefioupelan.com/