« L’Aurore est le plus beau film du monde » (François Truffaut)

« L'Aurore est le plus beau film du monde » (François Truffaut)

Une fois encore, Carlotta Films nous offre à voir et admirer deux pépites du cinéma. Deux chefs-d ‘œuvres de Murnau restaurés en haute définition, en coffret ou en solo. L’Aurore tout d’abord brille encore de tous ses feux et nous envoute Son ambiance dramatique est portée par cette lumière si particulière. Les comédiens épatants jouent le drame muet en noir et blanc de la pulsion amoureuse, côté campagne et côté ville. Murnau devise tout son art de l’expressionnisme. City Girl renchérit et c’est tout l’art et le génie de Murnau qui nous saute aux yeux. Murnau était le magicien du clair-obscur qui nous a ouvert à la lumière. Murnau ou le dernier sursaut du cinéma muet avant qu’il ne devienne par trop souvent bavard !

Murnau (1888 / 1931) a toujours gardé lors de ses séjours de vacances en Bavière des relations avec la fine fleur expressionniste artistique (Franz Marc / Ludwig Meidner), autant que poétique avec la sacrée Else Lasker-Schüler, des liens qui se refléteront dans toute son œuvre cinématographique. Son premier film ne s’intitulait-il pas Le Cavalier bleu (1919), clin d’œil au fameux groupe d’artistes du sud de l’Allemagne ! Il est d’abord comédien avant de s’ébrouer derrière la caméra dès les années 1918 à Berlin. C’est surtout avec Nosferatu le vampire (1922), film fantastique à tous les sens du terme tourné en décors réels, qu’il sera remarqué à tout jamais. La famille Bram Stoker s’arrogeant tous les droits autour de Dracula !

Murnau avait l’œil caméra : « Il avait l’œil pour tout ce qui est lumière et mouvement » déclarait enchanté son chef opérateur Fritz Arno Wagner. Lumière et mouvement apposés au réel et vous avez une marque de fabrique expressionniste de son art tout craché. D’autant que la griffe caractéristique d’une part importante du mouvement expressionniste tournait autour de la thématique de la civilisation, qui putréfie tout sur son passage telle la ville tentaculaire, le Moloch. La nature bienveillante représentait la seule garante contre ce phénomène abominable toujours constant.

C’est à l’invitation de William Fox qui l’avait eu dans le baba avec Le dernier des hommes (1924), tourné totalement en studio, histoire aussi pour le petit génie de l’image d’expérimenter toutes les techniques de l’époque, que Murnau se rendit aux Amériques. Trois oscars au compteur en 1927 pour l’Aurore ne suffisaient pas au public pour aller à la rencontre de ce chef d’œuvre cinématographique de tous les temps. Déjà le parlant commençait à vouloir jacter à l’écran. C’est le début des déboires de Murnau avec la Fox, autour justement de cette thématique parlante qui ne l’enchantait guère. Il claquera la porte des studios pour aller tourner à Tahiti, Tabou, sorte de film poético lyrique et documentaire, un peu dans le style du geste de révolte d’un Gauguin qui avait largué les amarres pour se ressourcer dans les Mers du Sud. Le grand Charlot Chaplin le soutint toujours dans sa démarche : « Murnau avait porté le cinéma muet à un point de perfection absolue ».

L’Aurore ouvre plusieurs pistes et antagonismes. De la lumière avant toute chose qui se décline dans la tignasse de deux femmes. L’une brune, cocotte de la ville à la Kirchner (peintre expressionniste qui a représenté maintes femmes arpentant le macadam berlinois des beaux quartiers pour soutirer de leurs charmes l’argent des hommes), et l’autre blonde paysanne naïve et déjà engrossée, toujours amoureuse de son mari par l’esprit mais plus par le corps. Autour de ces deux figures féminines et entretenues, le mari mâle paysan veut céder aux sirènes de la civilisation et de tous les plaisirs qui s’y diffusent.
Le drame sous-entendu vient de la brune qui suggère à l’homme de supprimer sa femme pour pouvoir la suivre à la grande ville. Du petit village au bord d’un lac idyllique qui rappelle par bien des points des paysages bavarois ou autrichiens, une barque entraine l’homme et sa légitime à la ville. C’est durant la traversée que doit s’opérer le meurtre. Seulement l’homme fat échoue et sa femme depuis l’autre rive s’enfuie par le tramway. Je prends bien soin de ne pas nommer le prénom des personnages pour prouver qu’ils sont intemporels et donc aussi bien réels. Il l’a rejoint et pour se faire pardonner lui offre un café, s’en suit la visite de la ville. Luna Park avec des scènes mémorables comiques de la danse façon paysanne du couple que raillent les bourgeois. Celle aussi avec le bébé cochon noir qui a sucé du goulot et que seul l’homme est capable de rattraper. Chez le photographe où ils se font tirer le portrait comme de jeunes amoureux. Leur visite dans une église, où ils assistent à un mariage et c’est eux qui ressortent à nouveau mariés et soudés. Seulement bientôt les tentacules les enserrent à nouveau. Ils sont les sujets de dérision au milieu de la circulation routière et l’orage gronde. Il est l’heure de rentrer !

Le retour, la nuit, sous la pluie soutenue, les éclairs vrillent et le fragile esquif chavire…

L’ombre et la lumière, comme des personnages à part entière de ce film se dispersent dans le liquide, l’eau du lac, « L’eau et les rêves » du père Bachelard ! L’eau et les sortilèges sous un ciel de plomb. « Comme l’eau est la substance qui s’offre le mieux aux mélanges, la nuit va pénétrer les eaux, elle va tenir le lac dans ses profondeurs, elle va imprégner l’étang ». Et c’est, comme si par la magie des mots de ce bon Gaston, Murnau les avait mis en images sans aucun moyen frime du cinéma déshumanisé actuel, juste avec ses tripes et son œil caméra servis par une équipe et des acteurs merveilleux. Seul le cinéma expressionniste pouvait rendre et prétendre au lyrisme de ce drame dans ses jeux de lumière. Du très grand art, un chef d’œuvre du 7ème art !

L’Aurore de Murnau, selon deux versions : version Movietone (90 minutes) et version Tchèque (76 minutes) / noir et blanc, avec Janet Gaynor, George O’Brian, Margaret Livingston…
Suppléments : Qui fut Murnau ? (12 minutes) / Murnau ou qu’est-ce qu’un cinéaste ? (42 minutes) /Four Devils (40 minutes) / Le retour de Murnau (26 minutes) / rushes et scènes alternatives (9 minutes)

City Girl (1930), ce film représentera pour Murnau, une fin de non-retour à son contrat avec la Fox et les studios d’Hollywood. Fox trop présent dans son terrier à épier tous les gestes de Murnau jusqu’à modifier le titre de son film, depuis l’échec public de l’Aurore, joue son chien- chien de flic. D’autant qu’il veut sortir une version remaniée qui plus est, parlante. Un comble ! Bien évidemment, Murnau ne peut le supporter. Ce film dans son esprit se rapproche du cinéma lyrique d’un Frank Borzage. D’ailleurs les deux acteurs principaux retenus par Murnau (Charles Farrell et Mary Duncan) sont ceux qui interprétaient La Femme du Corbeau de Borzage dont j’ai déjà parlé dans un précédent article ! Seulement, le public aveugle ne gueulait que pour le cinéma parlé et la légèreté des divertissements pour cerveaux disponibles, telles les comédies musicales en vogue. La grande crise de 1929 était passée par là, si bien que les drames paysans, le public n’en avait cure !

L’histoire : un jeune paysan, dont le père terrorise la ferme, doit se rendre en ville pour vendre la récolte de blé. Au lieu de revenir avec l’oseille escomptée, il reviendra avec une donzelle qui va coûter bonbon. Elle deviendra vite l’objet de conflit entre les deux mâles de la famille qui expriment leur testostérone à faune. Le père exploite ses ouvriers agricoles qui remettent le couvert sur la jeune épouse, jouet de leurs désirs inassouvis et raillerie du mari. Un vent de révolte sème la tempête qui va rafler la mise. Parfois, on se croirait dans un western tant la connerie des hommes ratisse large les passions humaines. Et la mariée qui rêvait de campagne déchante vite.
A propos de western justement, même si les Indiens des villes manquent à l’appel lors de la récolte, Murnau tourne en gros plans les machines comme s’il s’agissait d’une diligence. Encore une fois, avec le noir et blanc il parvient à des prouesses techniques ou la lumière naturaliste jazze et étincelle le mouvement des images.

City Girl de Murnau, noir et blanc, muet, 1930, 77 minutes, avec Charles Farrell, Mary Duncan…

Suppléments : City Girl ou l’essence de l’Amérique (27 minutes) / Murnau et l’avènement du parlant (30 minutes) / Le mouvement même de la pensée (28 minutes) / Galerie photos

Distribué par Carlotta Films, présenté soit en coffret master restauré DVD ou Blue Ray ou chaque film et ses suppléments.