« La petite Malika » : cas d’école ou droit à la différence ?

« La petite Malika » : cas d'école ou droit à la différence ?

L’histoire de Malika ou la chronique d’une beurette surdouée de 5 à 26 ans issue d’une cité de banlieue. Vingt-deux tableaux d’une exposition face à l’éducation nationale qui pousse en toile de fond son système à l’élitisme de la nation et gare à la sanction. Mais, il ne faudrait pas prendre Malika pour une pomme. Elle regimbe dans le décor et apparaît là où ne l’attendait plus. Roman écrit à deux mains par une frangine Habiba Mahany et son frangin Mabrouck Rachedi, épique et gorgé d’humour. Le regard de la gamine qui grandit plus vite que son ombre avec un cerveau gros comme son cœur sait nous toucher et titiller les incuries.

Quand à cinq ans des scrutateurs de conscience psy déboulent pour ausculter le cerveau agile de Malika devant le regard hagard de sa maman, ça donne : « Qu’est-ce qu’elle a encore fait, notre Malika ? / Rien madame Touil, nous pensons que c’est une enfant précoce. A 5 ans, elle a les facultés intellectuelles d’une gamine de dix ans. / Rassurez-moi, elle ne va tomber enceinte ! » (page 12). Elle saute les classes à saute-mouton et découvre la petitesse de sa taille vis-à-vis des autres enfants très primaires. Elle est douée d’une boulimie pour toutes les nourritures de l’esprit et du corps, si bien qu’elle se prend plein la tronche des surnoms grossiers : « la vache ou l’hippopotame ». Il y a aussi l’influence de papy Ali, le détenteur des livres, « Celui qui me répétait que c’était bien d’être différente, il appelait ça l’originalité » (page 23).
Et puis aussi il y a la maman qui s’émancipe de son ex Christophe pour le nouveau papa Mouloud pas très enclin à fêter Noël : « Le Père Noël, il porte une longue barbe, peut-être c’est un bon musulman ». (page 29). Ses rapports avec ses frères ne sont pas non plus si simples. On passe allègrement de cette double culture à la lecture de la réalité qui la submerge avec le regard d’une gamine, ce qui ne manque jamais de piquant et regorge de beaucoup d’humour. Malika pige vite toutes les interactions qui l’entourent. « Une loi de la physique moderne énonce que tout corps plongé dans un train de banlieue est soumis à la théorie de la relativité des horaires ». (page 48)

L’écriture est fluide, c’est un roman très agréable à lire. On suit le cheminement de Malika et sa scolarité éclairée. Les deux auteurs ne boudent pas leur plaisir d’aborder tous les sujets chauds des cités. Fichu fichu, pour cette gamine de 10 ans qui ne supporte pas de porter une cagoule en hiver. Elle devra même affronter les quolibets qui vont s’expurger de la bouche du directeur de l’école, et son homélie du garant de la laïcité républicaine. Avec tout le jeu des apparences qui se joue quand la télé y mêle sa lorgnette déformante. La baudruche médiatique se dégonflera comme par enchantement devant le regard aigri de « L’homme tronc qui entrait chez moi tous les jours à 20 heures » (page 63), quand la daronne claironne : « Ce fichu appartenait à mon arrière-arrière-arrière grand-mère recluse dans les montagnes du bled qui se fichait de la religion comme de l’an 40 ! » (pages 63 / 64).

Si j’avais le clavier méchant je pourrai m’empourprer et dire que le pendant de « La petite Malika » s’appelle « Le Petit Malik » déjà publié par l’auteur masculin et on boucle la clé sur un concept littéraire qui a déjà fonctionné. Même si Malika et Malik ont un parcours dissymétrique qui varie vis-à-vis de la cité d’où ils proviennent. Mabrouck Rachedi répond : « Malika finit par retrouver son point d’équilibre dans la cité. Avec la rencontre d’un « chibani », un vieux en arabe, elle réalise d’où elle vient. C’est à ce moment là qu’elle réalise que son identité n’est pas totalement réalisée et qu’elle fait un saut dans l’autre sens avec cette idée qui nous tient à cœur : transmettre. Elle nous ressemble sans doute un peu dans ce sens. A travers nos interventions scolaires et moi, mes ateliers d’écriture, nous avons cette volonté d’enseigner comme arme de transmission massive ».

En grandissant au fil de son intelligence à visage délié, la petite Malika deviendra géante et entreprendra de grandes études prestigieuses pour devenir un temps assistante d’un sénateur. Seulement elle n’oubliera jamais d’où elle vient, comme son papy qu’elle adorait. Retour à la cité sous les oripeaux d’une prof de français de collège qui se redécouvre dans le langage de ses élèves et leurs mimiques comme elle avait vécu. Elle croise même son double avec Fanta, une autre géni : « Cette jeune fille c’était moi » (page 224) et Abdoulaye le magicien qui par fainéantise invente des stratagèmes pour truander lors des interros écrites finira par devenir célèbre hors du cadre scolaire.

Tous les personnages ne nous sont pas du tout indifférents, ils se dégagent d’eux des qualités humaines qui leur permettent de transcender souvent les absurdités auxquels ils sont confrontés.

Habiba Mahany et son frangin Mabrouck Rachedi sont formidables et lisibles par toutes et tous et même à recommander aux jeunes qui peuvent éprouver des difficultés à la lecture, tant souvent les programmes scolaires prêtent plus aux carcans qu’à l’ouverture aux littératures libérées et émancipatrices.

La petite Malika de Mabrouck Rachedi et Habiba Mahany, éditions Jean-Claude Lattès, 237 pages, septembre 2010, 16,50 euros