Comparution pour délit imaginaire

Comparution pour délit imaginaire

On m’a emmené ce matin au poste de Police de mon quartier. Ils étaient deux les policiers. Un très grand costaud aux oreilles décollées qui ressemblait un peu à Garou , en plus moche, et un petit teigneux à moustache style Gérard Jugnot, en plus con. Ils ont écouté ma déposition devant leur ordinateur vintage.
Ils tapaient lentement, mal avec plein d’espace et de ratures, mais ils ont dit que c’était pas grave, que c’était juste de l’administratif et que le législateur se foutait des fautes d’orthographe. Que l’important c’était qu’on comprenne la phonétique.

« Monsieur Viniale dites-nous la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ». J’ai dit je le jure, en croisant les doigts de pieds, pour ne pas que ça se voit trop. J’ai ri sous cape.

J’ai dit ce que j’avais vu, ce que j’avais fait, que j’étais un artiste libre et que j’avais rien demandé à personne. J’ai dit que parfois c’était dur le monde, que la pauvreté et la mort finissaient par me rendre malade. J’ai parlé de l’injustice aussi, de la sécurité sociale, de la maltraitance des vieux, des OGM, de la couche d’ozone et du prix de l’essence.

J’ai dit que finalement je devenais un révolté et que la cause des enfants noirs qui crevaient de faim commençait elle aussi à me foutre le bourdon. J’ai sorti aussi ma réflexion sur la crise immobilière, que je pensais que non seulement il était aberrant que les gens soient locataires toute leur vie, à cause de la flambée spéculative, mais surtout que c’était grave de demander autant de caution et de justificatifs lorsqu’on voulait simplement ne pas être à la rue.

J’ai raconté comme tout s’est passé. Comment je me trouvais tranquillement à faire le marché comme tous les samedi matin pour aider une dame âgée de mon quartier qui habite au neuvième étage et qui a du mal à se déplacer avec des choses lourdes.
J’ai dit que d’abord cela m’avait coûté le prix d’une heure de stationnement et un PV car j’avais dépassé le temps imparti de neuf minutes. Je n’ai omis aucun détail, j’ai été honnête et juste, franc et urbain.

Les deux corbeaux faisaient leur travail pendant ce temps, ils se relayaient au café et à l’ordinateur et notaient tant bien que mal ma déposition.

J’ai dit le prix des carottes, des navets, l’augmentation crasse de tout ce qui est bon et frais, la folie exponentielle qui a suivi l’institution de l’euro et tout ce que j’avais pu observer.

Je suis resté très mesuré, je n’en ai pas fait des tonnes, je n’ai fait que décrire le monde dans lequel je vivais, que je n’étais même de Gauche mais que tout cela commençait à me faire sérieusement réfléchir sur la société et la nature humaine.
J’ai vu dans leurs yeux imbibés que tout cela ne leur plaisait pas, les deux gars l’ont vu mauvaise, sont devenus tout rouge. J’ai senti un bouillonnement, une violence mal contenue, un énervement, une exaspération.

« C’est pour cela que vous êtes venu Monsieur Viniale, SEULEMENT, pour cela ? »
Je ne comprenais pas.

« Il n’y pas eu d’agression verbale ni physique, même pas une petite avec un individu basané de banlieue ou un jeune black, réfléchissez bien. »

Je répondais à la négative, j’ai bien été poussé au stand des fruits et légumes mais c’était par un gros monsieur à l’accent berrichon, c’est tout. Les flics ont pas aimé.

J’ai été mis dehors avec ces mots « Vous avez de la chance qu’on ne vous arrête pas pour DELIT IMAGINAIRE, fichez moi le camp espèce de portoricain de foire. »