Bolognini, l’homme qui aimait filmer les actrices en Italie

Bolognini, l'homme qui aimait filmer les actrices en Italie

Mauro Bolognini estampillé à tord comme un « sous-Visconti » a pâti du succès phénoménal de la divine italienne comédie. Et pourtant ! L’édition Collection en 4 films chez Carlotta Films nous restitue un homme sensible, un orfèvre du cinéma et un formidable directeur d’actrices. « Bubu de Montparnasse » dépeint une jeune femme qui se vend à son amant en tant que prostituée, malade de sa condition. « Liberté, mon amour » met en scène Claudia Cardinale en femme rebelle fière d’être anarchiste durant les années 30 du fascisme italien. Dans « Les Garçons », à Rome les femmes sont utilisées comme accomplissements du désir chez de jeunes malfrats à la manque. Dans les « Vertiges », toute la vie d’un hôpital psychiatrique dresse le portrait de femmes autour du médecin chef en pleine montée du fascisme. Bolognini cinéaste à part entière nous ouvre son univers au féminin.

«  Bubu de Montparnasse » (1971) adapté du roman de Charles-Louis Philippe transposé en Italie du début du XX e siècle relate la vie de Berta interprétée par la sublime Ottavia Piccolo, couturière qui fuit sa famille pour vivre sa passion amoureuse avec Bubu, ouvrier boulanger de son état qui la vendra sur le trottoir de son plein gré. Ottavia en pleine jeunesse se déride les fesses pour son amoureux macro et se choppe la chaude pisse. Phénoménal film d’anticipation avec la syphilis qui annonce déjà les ravages du sida qui se transmet également par les relations sexuelles, de la part d’un cinéaste homosexuel qui accorde dans toute son œuvre le plus d’importance aux personnages féminins. Film en costumes et en couleurs. Film collage urbain, soutenu par des images en décor réel avec Milan pour le canal et Turin pour la rue des Arcades. Travail sidérant sur la couleur, des images à couper le souffle, tellement on se croirait dans certains tableaux impressionnistes au bord de l’eau au trémolo ! Ces prostituées grimées avec soin par Piero Tosi (costumier et scénographe que l’on retrouvera dans 9 films chez Bolognini) ressemblent comme des frangines aux Cocottes peintes par Kirchner dans ses tableaux berlinois sur un air « Ecoutez la chanson » de Verlaine chanté par Léo Ferré, pour le générique du film. Piero un intello s’éprend de la craquante Ottavia Piccolo. Mais c’est du pipo, quand viendra le moment de la sauver du macro et de la maladie : « Tu aurais pu te précipiter dans la rue et crier : ils tuent une femme. Pleure Piero. Pleure et crève. ».

Bubu de Montparnasse de Mauro Bolognini, 1971, couleurs, 97 minutes, Italie, distribué par Carlotta Films, juillet 2010, 19,99 euros

Suppléments : Préface de Jean A. Gili (9 minutes) / Piero Tosi, le souci de la justesse (21 minutes) et la bande annonce

« Liberté, mon amour », (1973), quand votre père vous nomme Libera Amore Anarchia, vous êtes forcément dotée d’un sacré caractère émancipateur de femme libre ! Quand elle croise des chemises noires dans la rue, elle ne se gène pas pour les traiter de « bandes de fils de putes ! » En plus elle s’habille toujours en rouge comme par provocation à l’uniforme fasciste et rétorque à son concubin : « Et pour les culottes, c’est eux qui décident ? ». Lorsque l’homme de sa vie très gêné par ses attitudes est convoqué par le camarde en chef fasciste pour lui ordonner de dresser cette femme émancipée qui dérange l’ordre nouveau, il s’entend dire : « Ta dame est fille d’un anarchiste. Jamais baptisée. Vous n’êtes pas mariés mais concubins. Elle s’appelle Libera Amore Anarchia ! ». Alors, forcément, ce couple et ses deux enfants déménagent souvent, chassés pour outrage au régime et mis au pain sec pour retrouver du boulot. Elle se rapproche de plus en plus de son père exilé de force sur une île. Elle lui rend visite parfois et renoue avec cet homme formidable qui a gardé sa joie de vivre et dans l’idéal anarchiste après avoir été maintes fois emprisonné. Il assène toujours ses quatre vérités aux cocos ou autres socio-démocrates qui confondent Socrate et la vraie vie : «  Je dis toujours ceci : il y a plus d’idées dans le fusil d’un brigand que dans la tête d’un démocrate ».
Ce film, du moins dans la première partie, pourrait prétendre à la joyeuse satire de la comédie italienne comme je les adore pour son humour bien marqué. Seulement ici, ce cher Mauro aime Claudia Cardinale qui joue l’époustouflante Libera inspirée des souvenirs personnels que le scénariste a gardés de sa mère. On ressent qu’elle a pris beaucoup de plaisir à jouer ce rôle.
Avec l’entrée en Italie des nazis qui étaient leurs alliés, tout bascule. A partir de 1943, les allemands considérèrent les italiens comme des traîtres et vont exercer la férocité et la barbarie extrêmes dont ils sont capables. Libera en digne héritière des idées généreuses de son père entre en résistance et fait sauter des ponts, convoie des armes et est de tous les combats de libération. Seulement, une fois le fascisme tombé en berne avec la guerre achevée, les plus grands espoirs donnent le tournis et on retrouve comme par hasard certains responsables fascistes qui se retrouvent à des postes de responsabilité. Libera ne peut pas le supporter et elle le clame bien haut. Le géni du cinéaste, architecte des lieux bien réels s’exerce encore en recréant les décors outranciers du fascisme italien de Rome à Libourne, Modène ou Padou. « Liberté, mon amour », le cinéma de la femme libre.

Liberté, mon amour ! de Mauro Bolognini, 1973, couleurs, Italie, 104 minutes, distribué par Carlotta Films, juillet 2010, 19,99 euros

Suppléments : Préface de Jean A. Gili (9 minutes) / Mauro Bolognini, au-delà du style (première partie, 29 minutes) et la bande annonce

« Les garçons », (1959), ou la rencontre avec Pasolini comme scénariste qui sera déterminante à Mauro ! Le charme du ténébreux Pier Paolo joue sur toutes les facettes. Comment un tel homme déjà bourré de qualité, qui a son univers propre à la poétique désordonnée et vit une double vie, peut apporter un regain d’attention à Bolognini qui s’exclamera à son sujet : « Je n’ai rencontre qu’un seul géni, c’est Pasolini ». Celui qui l’influencera de manière durable en composant sur la marginalité des petits voyous et des prostituées. Ces deux hommes sous influence réciproque sont le complément parfait. Pasolini a pris conscience qu’il pouvait devenir cinéaste grâce à lui et en même temps s’est senti trahi. Puisque lorsqu’il commencera à tourner pour sa propre caméra, il composera avec de véritables figures des quartiers marginaux au lieu de donner le change à des acteurs professionnel de renom comme chez Mauro.
Bolognini engage Laurent Terzieff et Jean-Claude Brialy, pour interpréter de petites frappes qui roulent auto frime et profitent des prostituées. Où l’on retrouve des femmes bernées qui vendent leur corps comme unique ressource, Elsa Martinelli est rayonnante dans son rôle. Toute la thématique du film repose sur l’univers pasolinien du tandem fric / sexualité, comme les instincts primaires de jeunes fanfarons à la con. Les femmes ne représentant alors qu’un artefact de godiches pour michetons. Le fric se brûle, se consume en dépenses…. Le générique est tout à fait dans le ton. Comme l’histoire d’un biffeton une nuit d’été à Rome. Un tas d’ordures l’espace nauséabond sous un pont, le papier monnaie tombé du ciel. Mille lires que le retrouve en fin de film comme pour achever l’histoire pathétique de deux zarbis sans vie. Le noir et blanc de l’image chez Bolognini accentue le cinéma phare des années 50 du cinéma italien.

Les garçons de Mauro Bolognini, 1959, noir et blanc, Italie, 90 minutes, distribué par Carlotta Films, juillet 2010, 19,99 euros

Suppléments : Préface de Jean A. Gili (9 minutes) / Acteurs dans le cinéma de Mauro Bolognini (13 minutes)

« Vertiges », (1975), inspiré d’un roman de Mario Tobino médecin psychiatre, ce film tourné deux ans après Liberté, mon amour, évoque le fascisme sous un autre angle. Un hôpital psychiatrique banal de Toscane où officie un médecin chef (Marcello Mastroianni) entouré de son cheptel féminin. Huit clos par excellence ! Dans le symbole de la folie, où ceux qui soignent ne sont pas éloignés par leurs pathologies des patients, Mauro veut surtout démontrer que la société italienne est tombée malade du fascisme. Chef, chef, vous êtes toute ma famille, comme dans la police ou l’armée, c’est tellement facile d’avoir un chef qui vous dicte ce qu’il faut faire et qui est responsable à votre place !
Marco Bellochio est le cinéaste de « Fous à délier ». Il ne laisse pas du tout indifférent Bolognini qui est au courant de tous les travaux sur l’anti-psychiatrie en Italie et de ses ramifications en France. Ras les murs pour faire sortir des prisons chimiques et corporelles, les esprits en marge du système imposé. Son propos n’est pas le même tonneau. Sur le choix de Mastroianni dans le rôle principal, il s’est expliqué que cet acteur prodigieux était le médecin qui correspondait à ses désirs d’avoir un acteur capable de jouer un homme quelconque doué des troubles psychiatriques. A la fin du film lorsque Marcello se sort de l’hôpital psychiatrique, il se confronte avec les chemises brunes qui brillent par le vide de leur ciboulot sous leur chemise noire.
Encore une fois, Mauro sait s’entourer d’une palette d’actrices formidables. Françoise Fabian froide et coincée dans l’étroitesse d’esprit d’un Sigmund à l’apogée de sa supercherie souffrant sous les cris d’Onfray, Barbara Boucher blonde incandescente dont le souffre à le goût et la malice de son aura à l’écran, Marthe Keller Suisse et propre, Adriana Asti qui joue un personnage de servante travaillée au corps par le désir est sublime et son monologue résume assez bien l’esprit du film : « Le monde n’existe pas, l’hôpital non plus. Rien n’existe ». Et pour le prouver, elle assène un grand coup de pierre sur la tronche du poussin qu’elle tenait dans la main.
Le film commence par un carnaval des fous où sous les costumes, on ne sait plus très bien qui est fou ou non. Piero Tosi, le génial homme de soin de la scénographie et des costumes, une fois de plus irradie. Autre film en costume et parure à la démesure de la folie ! Bolognini prouve une fois encore le décor qu’il sait tirer de son regard dans l’authenticité des lieux de ce huit clos très prenant et malgré tout sensuel. Encore du cinéma d’auteur qui a quelque chose à dire et à montrer sans démonstration intello précaire.

Vertiges de Mauro Bolognini, 1975, Italie, 97 minutes, couleurs, distribué par Carlotta Films, juillet 2010, 19,99euros

Suppléments : Préface de Jean A. Gili (10 minutes) / Mauro Bolognini, au-delà du style (seconde partie, 27 minutes)