L’expressionnisme comme révolte, en conférence avec Jean-Michel Palmier

L'expressionnisme comme révolte, en conférence avec Jean-Michel Palmier

Lors d’une conférence à Bordeaux en 1983, « Sur l’expressionnisme Berlin années 20 », l’historien d’art Jean-Michel Palmier spécialiste de cette période charnière tente de réhabiliter en France cette génération révolutionnaire et pessimiste par trop visionnaire (arts plastiques, littérature, théâtre, poésie, danse, puis cinéma….) à l’aune de la boucherie de 14 / 18 Ces artistes se verront pilonnés sous le sobriquet infamant d’art dégénéré par les nazis. Une génération sacrifiée : « Le drame vécu par ces artistes fut avant tout social et historique » Leurs œuvres n’auront pas été vaines, elles influencent encore les arts et la vie de la bohème alternative berlinoise, même encore de nous jours. Merci à Jean-Michel Palmier pour le travail acharné d’une vie à dresser des Ponts par delà les préjugés franco-allemands qui persistent par ignorance crasse !

Il est en France deux grosses pointures de la culture expressionniste : les historiens Jean-Michel Palmier chercheur hors normes et Lionel Richard, qui, comme par un heureux hasard signe la préface de cet ouvrage ! Jean-Michel Palmier est l’auteur notamment de L’expressionnisme comme révolte Apocalypse et révolution. Ce présent livre est la retranscription de sa conférence. C’est d’autant plus émouvant, puisqu’il nous possible enfin d’entendre la voix de Jean-Michel grâce aux 3 CD-Audio qui sont inclus dans l’ouvrage et de l’imaginer déambuler fumant clopes sur clopes au musée d’art contemporain de Bordeaux. Nommant avec l’aisance d’un funambule avisé pas loin de 200 noms d’œuvres et d’artistes et joignant le geste à la parole, envoyant des diapos irradier les mirettes du public en extase devant autant de simplicité et de connaissances offertes au grand partage de son amour de l’expressionnisme et de Berlin la ville phare et se prêtant ensuite avec enthousiasme aux jeux des questions.

A ses détracteurs qui poseraient le postulat selon lequel la République de Weimar décadente et ruinée a entretenu des artistes qui auraient cautionné la monté du nazisme, Jean-Michel Palmier répond dans l’un de ces plus fameux ouvrages : En choisissant comme titre pour ce volume d’essais « L’Expressionnisme comme révolte », nous reconnaissons notre parti pris : celui de Bloch contre Lukacs, l’interprétation de l’expressionnisme comme l’une des grandes révoltes artistiques qui ont marqué ce début de siècle, en dépit de son idéalisme, de son mysticisme, de son messianisme – et non comme un mouvement décadent, petit bourgeois, rétrograde, qui a préparé idéologiquement le nazisme. (page 28)

Il m’est impossible de mentionner tous les artistes et auteurs, avec leurs ramifications pour porter leurs œuvres complexes qui se mélangent et s’interpénètrent et ouvrent à tous les champs de la création. C’est aussi pourquoi dans un esprit de parti pris évident, poussée par le Bartos, un fou à lier de l’expressionnisme de die Brücke dans laquelle il se reconnaît complètement, puisqu’il écrit une biographie littéraire du peintre Ernst Ludwig Kirchner, ce cave ! Même si je dénis le qualificatif de mysticisme pour ce groupe d’artistes par Jean-Michel. Sans doute que ses affinités électives marxistes lui dressent parfois des œillères !

« Ayant foi dans une génération nouvelle de créateurs et de jouisseurs, nous appelons toute la jeunesse à se rassembler en tant que porteuse d’avenir. Nous voulons une liberté d’action et de vie face aux puissances anciennes établies. Est des nôtres, celui qui traduit avec spontanéité et authenticité ce qui le pousse à créer. » (Ernst Ludwig Kirchner, Programme de Die Brücke (Le Pont), 1906)

Cette injonction d’un jeune groupe autonome et autogéré cultivé ayant déjà lu Nietzsche, Rimbaud, Verhaeren, Walt Whitman prônant la liberté sexuelle et le nudisme dans sa création et son mode de vie apparaît à Dresde en 1906, et qui rassemble une série de jeunes étudiants en architecture pour la plupart qui vont vivre ensemble et mettre tout en commun. (…) Ils travaillent près d’une gare de marchandise et ce qui frappe, c’est d’abord la nouveauté de leurs procédés. D’abord, il y a une violence des couleurs qui est tout à fait inusitée. Ils vont se révolter contre l’académisme, ils vont très souvent faire des toiles où l’on trouve un certain mysticisme : ils peignent par exemple leurs petites amies nues au bord d’un lac dans la compagne et tout cela avec des couleurs très violentes. (…) Comme ils pensent que personne ne voudra voir leurs toiles, ils décident d’exposer ensemble, de signer ensemble et ils prennent le nom Die Brücke (Le Pont). (page 64)

C’est aussi la révolte contre le système corseté et muselé par un empereur autoritaire et grand guignol contre lequel se dresse cette jeunesse engagée. La célèbre Lettre au père de Kafka dont elle se réclame et contre l’obéissance du cadavre selon Heinrich Mann.

Pour ce qui est du sud de l’Allemagne, c’est le groupe le Blaue Reiter (Le Cavalier Bleu) plus connu autour des figures de Kandinsky et Franz Marc qui se cavalent en Bavière son panthéisme. Si on prend le groupe Le Cavalier Bleu, qu’est-ce qui est commun entre tous ces peintres, on a beaucoup de mal à le définir, mais on a par contre une théorie qui est hyper-structurée alors que le contenue de la La Brücke est un contenu assez mystique : fusion des corps et de la nature, révolte contre le modèle bourgeois, volonté d’aller vers l’ailleurs, mais ces deux groupes n’ont pas grand-chose en commun aussi bien au niveau du style qu’au niveau des théories. Pourtant, ce sont les deux premiers grands groupes qui correspondent à la naissance de la peinture expressionniste. (page 66)

Beaucoup d’artistes et de littérateurs succomberont aux champs d’horreur, et pour les survivants, on ne sera pas étonné de reconnaître dans les rangs au début du mouvement pacifiste, bon nombre d’expressionnistes.

La conférence est si touffue et foisonnante, si riche et pertinente, elle se lit avec facilité et est accessible à toutes à tous pour celles et ceux qui voudraient découvrir ou approfondir une époque aux confluents de tous les possibles, des pires et nuisibles avec pour tous ces artistes un espoir dans les arts pour changer le monde et qui seront assassinés d’où aussi après la guerre leur engagement politique et leur résistance au nazisme à par de rares cas de ralliement.

Pour finir (snif) et je ne devrais jamais finir tellement je suis emballée par cet ouvrage. La plupart des artistes sont des personnages de roman ou de film en puissance, car elles et ils vivaient leur art dans leurs tripes et leurs engagements. Je pense particulièrement à Fassbinder et Wenders qui ont aussi ressenti ce sentiment de rêve d’utopie et d’apocalypse. J’éprouve beaucoup de tendresse pour la poétesse Else Lasker-Schüler très représentative de la femme émancipée et entière de cette génération sacrifiée.
Elle « a été un objet de scandales permanents pour la bourgeoisie allemande. D’abord, parce qu’elle s’habille de manière assez bizarre avec des robes orientales, en plus elle vit sur les bancs des gares ou encore dans des chambres d’hôtel où elle entasse des jouets et des poupées. Elle paie ses consommations avec des bonbons de différentes couleurs. (…) Elle écrit des poèmes dans les cafés, des poèmes très sentimentaux et elle devra quitter l’Allemagne à l’époque de la montée du fascisme, car les SA l’attendaient en bas de chez elle pour la frapper à coups de barres de fer, en la traitant de juive pornographique. Elle émigrera en Suisse, où elle sera arrêtée pour vagabondage (ce qui est évident), puis en Palestine, où elle sera également mal accueillie. Car elle avait écrit des poèmes sur Jérusalem à Berlin, mais en y arrivant elle s’y sentait complètement perdue. Elle est morte à Jérusalem dans la misère la plus complète et presque complètement folle et elle a fait autant scandale à Jérusalem qu’à Berlin ; elle rêvait d’y rentrer et quand on a voulu traduire ses poèmes en hébreu, elle a dit : « non merci, en allemand ils sont assez juifs comme cela » (pages 69 / 70).

Un très grand merci à Jean-Michel Palmier, histoire de mémoire, l’expressionnisme allemand n’est pas mort. Merci aussi aux éditions Le Bleu du Ciel et à L’Institut national d’histoire de l’art pour leur collaboration à la publication de cet ouvrage. L’introduction de Florent Perrier est très instructive également en permet de comprendre la dimension de la passion fusionnelle entre Jean-Michel Palmier, l’expressionnisme et la ville de Berlin. Sans compter tout le bien que je pense de Lionel Richard pour la préface !

Sur l’expressionnisme Berlin années vingt, conférence de Jean-Michel Palmier, éditions Le Bleu du Ciel, cd + livre collection sonore, (3 CD-Audio : 183 minutes), 2009, 111 page, 25 euros