Le drapeau noir flotte sur l’île d’Oléron

Le drapeau noir flotte sur l'île d'Oléron

Après un polar parisien qui se déroulait dans les allées de la librairie du Monde libertaire, Jean-Marc Raynaud nous offre une plongée dans le microcosme anar de l’île d’Oléron. Ze roman de l’été.

Ça flinguait sec sur l’île d’Oléron en juin 2009. Pas moins de trois crimes bousculèrent les paisibles Charentais qui s’apprêtaient à recevoir des nuées de baignassous (baigneurs pleins de sous). Boris Chardavoine, député-maire de Boyardville (là où se dresse l’illustre Fort Boyard), fut le premier à subir une mystérieuse « botte de Nevers » : une balle entre les deux yeux. Le directeur du Crédit Agricole de Domino et le curé de Chaucre connurent le même destin tragique. La tête du premier fut déposée devant l’étal du boucher avec du persil dans les narines. Le second fut retrouvé crucifié sur la porte de l’église, la tête à l’envers. Glissée dans son string, une inscription : « Ni dieu, ni maître, ni gorille ! ». Un A cerclé ornait le front du banquier et du cureton…

La ficelle était un peu grosse. Qui voulait faire porter le chapeau aux anarchistes du cru ? C’est ce que Ed Merlieux et Ted Chaucre fins limiers des services secrets de la Fédération anarchiste (FA) vont tenter de découvrir avant que l’affaire ne vire à la chasse à l’ultra anarcho-autochtone comme à Tarnac.

Jean-Marc Raynaud réussit un exercice de style amusant. Parallèlement à sa désopilante enquête policière, il fait un joli tour d’horizon des initiatives libertaires oléronaises dont il est ou a été l’un des initiateurs. De la colo Bakounine à la crèche parentale l’Ile aux enfants, de l’école libertaire à l’université populaire Bonaventure, en passant par les éditions Libertaires (quelques auteurs du catalogue, Thierry Guilabert, Benoist Rey, Jean Le Gal, Wally Rosell…, deviennent pour l’occasion des personnages du roman) et le Club du livre libertaire, nous sommes au cœur d’une bouillonnante activité anar.

Au fil des pages illustrées, parfois codées, les initié-e-s reconnaîtront parallèlement le pizzaïolo, l’épicière et les sympathiques maraîchères du marché de Domino, le marchand de journaux qui vend Le Monde libertaire, le bar de la pointe de Chaucre… et bien sûr la librairie du bout du monde, La Pêche aux livres, où le premier crime survient. Un circuit touristique bien plus enthousiasmant que celui proposé habituellement par les offices de tourisme.

Mêlant réalité, fiction et surnaturel (des morts illustres comme Maurice Joyeux, Juan García Oliver, Buenaventura Durruti… reprennent vie), le roman de Jean-Marc Raynaud commence avec l’agitation suscitée par l’annonce de la fermeture du Centre expérimental polyvalent et maritime en Oléron (CEPMO) qui laisserait place à un casino. Il faut savoir que le CEPMO, créé en 1982, est l’un des quatre lycées autogérés français avec ceux de Paris, Saint-Nazaire et Hérouville-Saint-Clair. Des jeunes lycéens anars qui ont usé leur fond de culotte à Bonaventure mènent la fronde.

Côté réalité, après une rude bataille, le lycée d’Oléron rouvrira bien à la rentrée prochaine à Maison heureuse avant de déménager sur Saint-Trojan-les-Bains. Ouf ! Côté fiction, les trois crimes seront élucidés et mettront totalement hors de cause les anarchistes installés au pays des naufrageurs. Ségolène Royal, présidente de la région Poitou-Charentes, et Brice Hortefeux, sinistre de l’Intérieur, se contenteront de la version officielle servie par des gendarmes un peu olé-olé-oléron. Ne comptez pas sur nous pour en dire plus.

Si vous n’êtes pas Chaucrin-e ou un-e habitué-e du 35 allée de l’Angle et que vous ne percevez pas toujours ce qui se cache entre les lignes, la lecture de Meurtres exquis à l’île d’Oléron vous fera tout de même passer un agréable moment en digérant une églade copieusement arrosée de vin blanc.

Jean-Marc Raynaud, Meurtres exquis à l’île d’Oléron, éditions Libertaires, 98 pages, 10€. Illustrations : Jean-Charles Vincent.