Ils sont fondus ces Norvégiens !

Ils sont fondus ces Norvégiens !

Je connais au moins un remède à la sécheresse actuelle au Kamtchatka et au Portugal. Bodega Film qui distribue Nord annonce la blancheur de la couleur : « Une comédie road-movie complètement givrée ! », sans voiture avec une moto neige sur des sons de grattes amerloches cow-boy. Ca nous change de la littérature du Grand Nord quelque peu flippée dans l’existentiel terne. Avec ce film, on déménage. On trinque l’alcool au bidon et au mélange de cachetons et de joints. On glisse avec brio et humour, insolite à la suite du personnage de Jomar, dans ses rencontres bizarres et éclectiques.

Jomar ex skieur pro et fortiche se tourne les pousses comme employé de piste dans une station de ski. Basta la compétition et tout le tromblon, il tue le temps à trinquer fumer des joints et suivre les prescription de sa psychiatre préférée. Jusqu’au jour, où il apprend qu’il a eu un fils de quatre ans avec sa dernière compagne qui habite toujours plus haut dans le Nord. Ca le réveille aussi sec, il va laisser choir ce turbin, sortir de sa léthargie pour aller à la rencontre de son fils en moto neige, sans carte des pistes ni encore moins de lunettes de soleil. Quitte à se brûler les mirettes, ce film souffle tout le temps le chaud et froid. On ne sait jamais sur quel pied danser pour se réchauffer, tant Rune Denstad Langlo, le réalisateur, bouille les cartes et nous étonne à chaque nouveau plan, tant tous les personnages sont attachants et vraiment déroutants.

Etonnant metteur en scène qui a à son actif une carrière de producteur, un premier film documentaire pour fêter les 100 ans de la Norvège. Pays en résistance qui n’est jamais rentré dans l’arnaque du marché indistinct de l’Europe du fric et des frontières gercées. Avant de réaliser Nord, il s’est aussi intéressé à un groupe de hip hop. A part Jomar, interprété par Anders Baasmo Chrisitansen, acteur confirmé en Norvège, tous ses acolytes ne sont pas des pros. Il les a glané au fur et à mesure du tournage où ce sont des aminches. Les allemands depuis Berlin y ont vu un film très réussi qui a été primé au festival de Berlin 2009.

Au lieu d’aborder la dépression sous l’angle file moi un flingue, mon gag, le réalisateur a préféré nous dresser une galerie de portraits de gens pas du tout dans le commun des mortels. Burlesque et situations pour le moins peu banales sont le lot du récit où on ne s’ennuie jamais. Déjà le physique du héros, pas du tout raccord avec le blondinet rachitique et musculeux des clichés attendus, est rondouillard et barbu avec deux yeux bleus qui jettent des étincelles embuées. Il ne cause ni trop avec les mains ni encore moins avec la langue. Il préfère téter son bidon de cinq litres d’alcool comme carburant pour avancer toujours plus haut vers le Grand Nord, dans l’immensité des montagnes norvégiennes filmées en Cinémascope. Omelette norvégienne sans casser d’œufs, s’abstenir. Encore une invention abstraite !

En plus, il ne perd jamais le Nord, à partir du moment où il vole une boussole. Une mère grand qui a troqué le méchant loup contre Lotte une gamine orpheline l’accueille dans un placard pour qu’il recouvre la vue brouillée par la réverbération du soleil sur la neige. La gamine se prend d’amitié avec lui. Un jeune type complètement starbé, qui se cherche une sexualité masculine, s’éprend de lui dans une chorégraphie virile qui consiste à se saouler la tronche en se scotchant un tampon hygiénique sur le crâne ! Il se retrouve sur un champ de manœuvre avec de méchants kakis qui se véhiculent dans des chars à canon. Il y a aussi Ailo le Sam, trappeur introverti qui refuse le confort familial de sa belle famille pour camper dans la neige, un pied enchaîné à son moto neige, dès fois qu’un méchant loubard viendrait lui choucrouter sa tire ! Il y a aussi cette scène étincelante dans ce ciel si pur la nuit lorsqu’il crèche dans une cabane vide
et se chauffe aux lambris des murs. Sauf que, entre deux cachets et un gorgeon, il a omis de fermer la trappe du poêle à bois et se crame tout feu tout flamme !

Cette comédie n’est pas du tout glaçante, ni encore moins ennuyeuse, il se dégage une humeur joyeuse dans des situations de contact entre les personnages, aussi improbables que mémorable. Et ça marche à tous les coups. Humour décalé toujours, optimiste fondamentalement optimiste sont les caractéristiques de cet excellent film.

Nord de Rune Denstad Langlo, avec Anders Baasmo Chrisitansen, Kyrre Hellum, Marte Aunemo…, distribué par Bodega Films, version originale sous titrée en français, Couleurs, 76 minutes, juillet 2010, 19,99 euros

Suppléments : scènes coupées avec commentaire audio du réalisateur (13 minutes) / bande annonce & teasers