« La répression est un vaccin », petite piqûre de rappel du cinéma italien !

 « La répression est un vaccin », petite piqûre de rappel du cinéma italien !

Elio Petri dans les années 70 évoquait le pouvoir qui rend fou. Gian Maria Volonte interprète un chef de la brigade criminelle promu directeur de la section politique à Rome. Il se croit au-dessus des lois et va méticuleusement assassiner sa maîtresse en laissant les indices de son acte à ses collègues. Il est l’homme qui décline cette « Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon ». C’est un film clé qui fait mouche et nous touche dans le monde d’aujourd’hui voué à la corruption, à la régression de nos libertés. A croire aussi et c’est la grande force de ce cinéma, que toutes les ressemblances, coïncidences ou zèles de sens ne seraient pas fortuites !

L’ennemi intérieur a éclot dans la maison poulaga. Un homme banal voué au culte de la carrière monte les échelons et va bientôt régner sur le poulailler. Etonnant non, comment, l’acteur engagé politiquement, Gian Maria Volonte pouvait interpréter des salauds pervers et narcissiques. Déjà pour Et quelques dollars de plus, il crevait l’écran ! Alors raison de plus quand il joue pour Elio Petri, le cinéaste formaliste qui rue dans les brancards et dénonce le pouvoir, quand celui-ci n’a plus de règles. Ces deux là on tendance à se fiche des récompenses. Ni l’acteur phare, ni le réalisateur ne se déplaceront pour recevoir l’Oscar du meilleur film étranger.

Le générique dure presque dix minutes. C’est un parfait bijou du genre. La problématique est posée. La courtisane brune incendiaire, la magnifique Florinda Boukan irradie le flic sans toit ni loi et lui révèle les clés de sa personnalité. La femme papillon déploie ses ailes et gobe son amant. Elle lui demande d’entrée de jeu : Tu me tues comment aujourd’hui ? Je te tranche la gorge. Ils endossent le cérémonial des corps épris de jeux dans les draps de soie noire. La lame de rasoir aura raison de la jolie carotide palpitante. Dans cet appartement chargé de décos Pop Art situé dans le ghetto juif de Rome aux vitraux Jugendstil autrichien, on s’aime entre chien et loup à crocs découverts. Quand le super flic découvrira que la belle aux abois avait aussi pour amant un extrémiste, il s’emploiera à le désarticuler, sauf que le jeune aura barre sur le flic, l’ayant déjà croisé et reconnu le soir du crime. Les plans très esthétiques sont ponctués par la musique d’Ennio Morricone très en forme comme toujours !

Tout le film joue sur les faux semblants des relations de pouvoir qui s’appuient sur le non dit et la pression qu’étincelle le silence consommé de la servitude volontaire du bon troupeau. Fin du générique, le flic prévient qu’il y a un eu un crime et donne le lieu précis. Il sort deux bouteilles de champagne au frais du réfrigérateur, quitte l’air de rien l’appartement et se rend décontracté du gland à la petite sauterie pour fêter sa promotion au commissariat. Durant son discours, il sèmera sa bile et sa hargne. Tout criminel est un agitateur en puissance et tout agitateur est un criminel en puissance. (…) Qui a-t-il comme différence entre des pilleurs de banque et la subversion organisée institutionnalisée légale ? Aucune. On croirait presque entendre Prisme Couvre-feu à l’oeuvre, vous ne trouvez pas ? L’abus de la liberté menace le pouvoir traditionnel et les autorités constituées. Le bon commissaire veut réduire à néant et au silence sans Karcher tout ce qui compte de subversif, bien avant l’ère Berlusconi ! Ce film est visionnaire aussi du point de vue du fichage des citoyens. Il y a une scène ou Gian Maria déboule dans la salle des machines avec ses premiers ordinateurs, ordonnateurs des renseignement généreux au sujet des citoyens bizarres ou pas dans la norme. Nous devons tout savoir, tout contrôler dans ce meilleur des mondes digne de la Stasi, pourtant particulièrement compétente dans ce domaine !

Un flic est plein de secrets comme un prêtre. C’est son amante religieuse qui se confit au lit entre deux séries de photos, qui reproduisent les derniers crimes atroces des journaux du populo. Même qu’un flic de l’enquête qualifiera ces photos du style de « Sang à la une ». Mais la jeune femme assassinée n’est pas la cruche attendue pour le repos du képi. Elle a su le percer à vif et le démasquer sans avoir lu une seule ligne de Wilhem Reich ! Balaise la nana ! Tu es sexuellement incompétent. Tu es comme un enfant. Il est le pur produit de la névrose que sécrète la maladie du pouvoir. Son autoritarisme, sa haine des autres, il la retourne contre lui-même, selon son bon plaisir de tout règlementer sa rigidité cadavérique véridique. Seule cette femme fine d’esprit autant que de corps, avec son côté morbide dans tous leurs jeux, lui a fichu dans la tronche ses quatre vérités. Encore bravo les femmes et encore bravo au réalisateur pas macho !

C’est du grand cinéma parfaitement écrit, tourné charpenté et je ne parle même pas de la partoche de ce génial Ennio Morricone qui s’est encore surpassé !
Petri le tourne en 1970, un an avant La classe ouvrière va au paradis. Il mérite toute notre attention si nous voulons analyser les raisons de l’instauration des régimes autoritaires qui se sont abattus en Europe dès les années 2000 qui riment avec les ismes d’un socialisme en chemise noire. Il évoque aussi, dans son Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon les attentats des années 70 en Italie et les premières retombées !

Un film unique, qui vous cale le derche à votre fauteuil et vous remue les neurones, avec des images réelles qui draguent la réalité actuelle et passée dans le sens du poil qui se dresse. Un chef d’œuvre, un de plus du cinéma italien des années 70 à voir ou à revoir dans l’urgence ! Histoire aussi de contredire le titre entre guillemets de mon article, que j’ai tiré du tube à essai du super flic qui énonce sa propagande politique qui pique à coup sûr !

Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon de Elio Petri, avec Gian Maria Volonte et Florinda Boukan, nouveau master restauré, version originale sous-titrée, couleurs, durée du film 109 minutes, distribué par Carlotta Films, juin 2010, 19,90 euros édition simple ou 24,99 édition collector limitée (2 DVD + CD)

Suppléments :
DVD 1 : Regards croisés (20 minutes) / La stratégie de la tension (25 minutes) / DVD 2 : Ennio Morricone, la musique au corps (19 minutes) / Elio Petri, notes sur un auteur (80 minutes) + inclus la bande originale du film composé par Ennio Morricone