L’Art de pleurer en choeur

L'Art de pleurer en choeur

Erling Jepsen est né en 1956 au Danemark. Dramaturge et romancier à succès dans son pays, il vit aujourd’hui à Copenhague. L’Art de pleurer en chœur [Kunsten at graede i kor, 2002], qui est paru dans de nombreux pays et a été adapté au cinéma, est le premier de ses trois romans à être traduit en français…

« L’enterrement de Der Warming est le meilleur auquel papa et moi ayons jamais assisté. Il a tout ce qu’il faut pour faire un bon enterrement : il est solennel, bouleversant et hystérique ; et après notre prestation j’ai droit à une grande boîte de chocolats et papa à un gros cigare. » (page 138)

Curieux roman que celui d’Erling Jepsen ! Avec un titre à la couleur bariolée de tragi-comédie, l’auteur nous entraîne dans l’univers baroque d’une famille du Danemark rural des années 60. Le narrateur de L’Art de pleurer en chœur, un enfant de 11 ans, nous transmet son quotidien, ponctué – en apparence – d’événements banals : la routine de l’école, un élevage de lapins, la chute d’un père Noël dans l’escalier, une dispute avec un voisin à propos d’une haie, une fugue pour retrouver une sœur…

La langue de Jepsen, somme toute classique mais agréable à la lecture, nous entraîne progressivement dans un récit à la fois épique et descriptif, esquissant inlassablement la dualité (innocence/perversité) de son personnage principal. (Comme pour mieux souligner le réalisme romanesque de sa fable enfantine, Jepsen découpe ses chapitres sous forme d’avertissements : La joie de Noël/Le canapé rouge/Le château blanc/Monsieur Tabriel et la liste des morts…)
L’écrivain danois possède un art certain de conteur, incorporant dans sa mythologie personnelle personnages pittoresques et figures emblématiques : Gabriel, Tarzan, Mlle Port, Asger, Buddle…

Chaque chapitre peut se concevoir comme un jeu de piste batifolant en tous sens, construit autour des confidences et révélations partielles de l’enfant, au gré de ses humeurs. Comme dans un polar, les morts suspectes s’accumulent… Et Jepsen, tout au long de ce tortueux Art de pleurer en choeur, sait jouer avec les nerfs de ses lecteurs, les orientant constamment sur les méandres d’un complot familial. Peu à peu l’on est happé dans la spirale infernale de ce roman grinçant, qui nous plonge dans un univers incroyablement féroce où inceste, harcèlement familial, cruauté psychologique et mesquineries sociales constituent la toile de fond de ce tonique roman, dont le climat rappelle parfois celui du fameux Festen (1998) du cinéaste Thomas Vinterberg.

Le regard perçant du jeune narrateur scrute, tout le long d’un interminable fil d’Ariane, un père plutôt improbable : l’image au départ floue d’un épicier dépressif, rejeté à la fois par sa femme (qui le méprise) et sa fille, (victime de ses lubies), considéré comme un moins que rien par l’entourage social de cette petite bourgade du sud du Jütland. Pourtant, sauvé par un don de la rhétorique, celui de faire pleurer les gens lors des enterrements – ce qui contribue à les faire acheter dans sa petite boutique ! -, le père retrouve par ces étranges prestations tout le prestige social qui lui est dénié.

A la fois social, psychologique, et hautement farfelu, L’Art de pleurer en chœur s’avère un des meilleurs romans danois publiés récemment en langue française !

L’Art de pleurer en chœur, d’Erling Jepsen, roman traduit du danois par Caroline Berg, Sabine Wespieser éditeur, 312 pages, 2010.
Prix : 23 euros

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