Iljeon de Bruno Wajskop, briller malgré tout...

Iljeon de Bruno Wajskop, briller malgré tout...

Iljeon était son prénom. Une vie entière marquée par un tel néologisme identitaire n’est pas celle de monsieur Tout le monde. Iljeon est né d’un amour immense et sexué, celui de Danny le rockeur raté qui fut à la mode, pour les grands yeux verts de Monique., une petite blonde pulpeuse. Un couple bien étrange qui a donné une vision particulière du monde et de la sexualité à leur fils au nom-valise.
Iljeon est un grand lecteur, il écrit aussi au grand désespoir de sa mère qui en a soupé des artistes comme son père. Il écrit sa vie fantasmée avec Elle, sa femme idéale.

Elle pleure très fort, du nez, de la bouche, des yeux et de sa culotte, sa peau éjacule.Ils s’aiment. Ils se lèchent. Ils se lapent. (P 44)

Le drame tacite et inconscient de la vie d’Iljeon se trouve et s’éprouve dans cette difficulté d’effacer cette nomination originale en forme de fardeau, de renaître autrement délivré du poids de ses douleurs de l’enfance. C’est une des clefs de l’énigme. Tuer ce nom trop plein de signifiés étouffants, tuer le père qui fait de la mauvaise variété ou assumer son propre passé. Il se doit de trouver l’équilibre pour vivre véritablement. Alors il assassine l’amant de sa mère et va en prison.

Ce premier roman est un météorite qui brûle de ses rayons ardents d’une Espagne imaginaire, un flot interrompu de particules élémentaires, intimes, qui donnent du sens et des intrigues savamment dosées. Il y a aussi Marseille et Bruxelles, des seconds rôles pathétiques grotesques et attachants comme cette " Samu-elle " qui porte elle aussi le nom de son curieux destin. Il y a des parfums d’exil, de déracinement, avec en filigrane l’échec et l’impossibilité de créer. Ce " livre de ma mère " revisité, sur et avec elle, omniprésente, charnue et tentatrice comme dans une chanson d’Arno, est un vrai bijou précieux de fête foraine. Dans les yeux de la mère, il y a les joies et les drames, les folies et les dépits amoureux, la possession et mille autres choses qui se lisent dans la plume de Wajskop, inimitable et impressionnante.

Bruno Wajskop est un sensible, un élégant. Ses mots, ses histoires personnelles mêlées et baroques sont empreints de tact autant que de justesse. " Iljeon " est un labyrinthe précieux. Un jeu de miroirs brisés fait de flashs-back et de souvenirs réminiscents. Un puzzle de la mémoire vivante. Un roman essentialiste.

On est pris pendant 150 pages dans cette alchimie qui frappe là où il faut, toujours de manière surprenante, dans cette tendresse malhabile, dans ces amours qui ont du mal à se dire autrement que par les rapprochements bestiaux des corps qui suintent. La cruauté et le mal être sont là, " la glautitude " du monde aussi mais Bruno Wajskop sait mettre cette noirceur en scène avec pudeur et légèreté si bien que dans son univers parallèle rien ne touche le piteux, le pathos et la facilité.

Une vraie poésie à la fois tragique et bienveillante se dégage de la patte Wajskop qui a le don de faire parler mieux que quiconque les microcosmes avec ou sans accent du sud ou belgicismes. Il ne faut surtout pas passer à côté de tant de pertinence et d’évidence au sein d’un même ouvrage. Voilà, qu’on se le dise, on est en très bonne compagnie littéraire.

A lire absolument, c’est plus qu’un conseil, c’est presque un ordre amical.

Iljeon, Bruno Wajskop, éditions Que, 2001, 150 pages, 13 euros 45.

Iljeon, Bruno Wajskop, éditions Que, 2001, 150 pages, 13 euros 45.